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Salaire minimum - Les effets pervers du Smic horaire

Il n'existe pas de « bas salaires » en France ! Constatation provocante, qui est néanmoins le point de départ de l'importante et très récente étude « Bas salaires et qualité de l'emploi : l'exception française ? » menée par E. Caroli et J. Gautié pour le très officiel CEPREMAP, dirigé par l'économiste Daniel Cohen [1].

Les bas salaires sont internationalement définis pour chaque pays comme les salaires inférieurs aux deux-tiers du salaire médian [2] du pays considéré. La constatation de l'étude se fonde très simplement sur le fait que depuis 2004, le Smic horaire français est supérieur à ce seuil (6,15 € contre 5,92 € ). Les auteurs indiquent cependant que les données fournies par les salariés aboutiraient à calculer que 10,1% des salaires horaires seraient « bas » car inférieurs au Smic, mais ils émettent un doute sur la fiabilité de ces données en raison de la sur-appréciation par les salariés du nombre d'heures travaillées. Quoi qu'il en soit, la France est une exception car, abstraction faite du Danemark avec un taux de 8,5%, les taux de bas salaires (donc inférieurs aux deux tiers du salaire horaire médian de chaque pays) sont de 25% aux Etats-Unis, de 21,7% au Royaume-Uni, de 22,7% en Allemagne et de 17,6% aux Pays-Bas.

Plusieurs systèmes existent en effet : aux Etats-Unis le salaire minimum fédéral est très bas (676 euros mensuels). Au Royaume-Uni l'institution du salaire minimum, assez faible, ne date que de 1999, aux Pays-Bas les partenaires sociaux négocient intensément et il existe, comme au Royaume-Uni, des salaires minima plus faibles pour les jeunes. Le Danemark, et aussi l'Allemagne (sauf dans le secteur du bâtiment) ne connaissent pas de salaire minimum légal, les salaires étant négociés dans le cadre collectif. En Allemagne et aux Pays-Bas le salaire minimum est moins élevé pour le travail à temps partiel. Il n'y a qu'en France que le Smic est fixé autoritairement et uniformément par la loi, et qu'il l'est à un niveau comparativement élevé.

Ce constat entraîne en France de nombreux corollaires et notamment les suivants :

- D'abord un effet d'éviction touchant la demande des employeurs en travailleurs peu qualifiés. L'« intensité capitalistique » française serait particulièrement importante en France, suggérant une substitution du capital au travail, et d'autre part « les emplois manquants ne sont tout bonnement pas viables si on les rémunère au tarif en vigueur » selon le professeur Solow, prix Nobel d'économie, qui a préfacé l'étude. Par exemple, l'emploi, de faible qualité, dans le secteur de l'alimentation serait en fort déficit en France par rapport à ce qu'il est aux Etats-Unis. Les employeurs auraient donc tendance à privilégier des activités à forte valeur ajoutée. Le Professeur Solow note aussi que les travailleurs plus qualifiés victimes de longues périodes de chômage élevé sont poussés à postuler pour des emplois non qualifiés, ce qui est une nouvelle cause d'éviction des travailleurs non qualifiés.

- Par ailleurs, pour pallier l'effet défavorable à l'emploi de l'augmentation du coût du travail, surtout depuis l'institution des 35 heures, la France a récemment conduit une politique d'exonération de charges sociales sur les bas salaires : « La France se trouve de ce fait dans une situation très particulière, l'emploi peu qualifié étant fortement subventionné par la puissance publique », souligne l'étude. On peut ajouter le fait que la France s'engage toujours plus dans cette direction avec l'institution du RSA. La facture dépassant les 30 milliards d'euros pour la collectivité, il s'agit d'un problème majeur touchant à l'équilibre des finances publiques et au déficit structurel ainsi engendré.

- L'étude ne manque pas enfin de relever le mécontentement des salariés français quant à la qualité de l'emploi, tout autant que leurs craintes de perdre leur emploi. Il existerait ainsi un redoutable cercle vicieux : les exigences des employeurs français pour la productivité de leurs salariés, venant compenser une durée du travail faible et un salaire horaire élevé, créent un mécontentement d'autant plus notable que l'écrasement constaté de l'échelle des salaires ne fait guère espérer des hausses substantielles de salaire. Dans le même temps, un sentiment particulièrement important de précarité, malgré la bonne prise en charge en France des conséquences financières du chômage, renforcent encore le malaise et conduisent les Français à se retourner encore davantage vers l'Etat pour plus de régulation et de providence.

Cette étude donne aussi l'occasion de mettre en garde contre la confusion entre le Smic horaire et le salaire minimum entendu comme revenu. Autrement dit la valeur du Smic horaire est une chose, le pouvoir d'achat en est une autre. Les statistiques de l'étude sont en effet fondées sur le Smic horaire. Elles mettent en lumière que le Smic horaire est supérieur au seuil des bas salaires. Le seuil de pauvreté, transposé à l'échelle mensuelle, est très proche du seuil des bas salaires puisqu'il est défini comme égal à 60% - certains utilisent un taux de 50%- du revenu médian. Ceci démontre bien que le problème de la pauvreté et du pouvoir d'achat en général se situe non par rapport au salaire horaire, mais au niveau du nombre d'heures travaillées : encore une fois c'est la recherche du plein emploi qui est en cause, afin que tous ceux qui le désirent ou en ont la nécessité puissent trouver un emploi à plein temps avec des périodes de chômage aussi courtes que possible.

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Dossier économie, emploi et salaires

Voici une étude qui, n'émanant pas de cercles libéraux, a le grand mérite de présenter objectivement le problème qui se pose à la France quant à sa politique des bas salaires. Les effets pervers d'un Smic élevé sont depuis longtemps relevés par nombre de chercheurs comme l'iFRAP l'a relevé (voir PDF ci-contre) et il est bon que le Gouvernement se soit récemment refusé à donner le fameux « coup de pouce » au Smic. Mais il faut aller plus loin et revenir sur le mécanisme automatique d'indexation qui est actuellement la loi, à défaut de pouvoir supprimer le Smic. On devrait aussi pouvoir s'inspirer des modèles étrangers, surtout en favorisant la négociation par branche entre les partenaires sociaux pour aboutir à des solutions souples que la détermination centralisée et uniforme par la loi ne permet pas.

[1] Le CEPREMAP (Centre Pour la Recherche EconoMique et ses Applications) est placé sous la tutelle du Ministère de la Recherche. L'étude fait partie du projet sponsorisé par la Russell Sage Foundation américaine et consistant à comparer le travail à bas salaire aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Danemark, en Allemagne, en France et aux Pays-Bas.

[2] salaire médian est celui qui divise la population en deux parties égales