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Rupture conventionnelle collective : une avancée… ou un OSNI ?

La troisième des ordonnances de la loi travail institue une nouveauté, la rupture conventionnelle collective (RCC) dont le décret d’application vient de paraître le 20 décembre dernier. Deux entreprises viennent d’essuyer les plâtres avec des bonheurs divers, mais aussi dans des conditions très différentes, Pimkie et PSA. La première a vu sa proposition rejetée par au moins 75% des syndicats, la seconde a vu la sienne bien accueillie (sauf par la CGT), et devrait obtenir l’accord nécessaire d’au moins 50% des syndicats pour le 19 janvier.

Nous cherchons à savoir ce que cette nouveauté apporte. A priori c’est une avancée permettant d’apporter une certaine souplesse dans les ruptures collectives. A la réflexion, on n’est pas trop sûr de comprendre dans quelles hypothèses on va utiliser ce que nous avons tendance à classer parmi les Objets Sociaux Non Identifiés.

Qu’est-ce que la RCC ?

C’est un mode de rupture conventionnelle, nommé comme le grand-frère de la rupture conventionnelle individuelle que nous connaissons déjà avec un grand succès (3 millions en 10 ans). Mais le caractère collectif de la rupture fait ici une grande différence, et c’est plutôt au licenciement économique collectif, ou au plan de départs volontaires qu’il faut comparer la RCC. Voici un résumé des trois formes collectives de rupture, que nous commentrons ensuite. Précisons tout de suite que dans les trois cas le salarié a droit aux indemnités de l’assurance-chômage.

Licenciement économique collectif                 

Rupture conventionnelle collective (RCC)

Plan de départs volontaires (PDV)

Nécessite la preuve d’un motif économique sous contrôle judiciaire.

Nécessite une procédure lourde avec PSE (plan de sauvegarde de l’emploi).

Oblige à suivre un ordre objectif dans les licenciements.

Oblige à respecter la priorité de réembauche pendant une année.

Oblige à reclasser les salariés licenciés.

N’est pas un licenciement, ne nécessite pas légalement de motif soumis à contrôle, mais ne doit pas être utilisé à la place du PSE en cas de difficultés économiques.

Procédure plus rapide et souple (absence de PSE)

-Nécessite un plan, l’obtention de l’accord de 50% des syndicats, la manifestation de volonté de chaque salarié, et enfin la validation administrative par la DIRRECTE.

Ne comporte aucune obligation légale de reclassement, ni relative aux réembauches, mais oblige à s’en tenir au choix volontairement exprimé par les salariés. Les critères d’ordre des licenciements ne s’appliquent pas.

Tous les contentieux sont soumis à la juridiction administrative et non judiciaire.

N’est pas réglementé par le code du travail, mais par une jurisprudence (judiciaire) qui n’est pas bien fixée.

Proche de la RCC, n’est pas un licenciement, nécessite un plan et la manifestation de volonté de chaque salarié, mais ni accord syndical ni validation administrative.

Un PSE est obligatoire au-dessus de 50 salariés et de 10 ruptures, avec convention de reclassement personnalisé ou congé de reclassement. En cas de licenciements envisagés, des mesures de reclassement interne sont requises.

Les critères d’ordre des licenciements ne s’appliquent pas, mais la priorité de réembauche s’applique.

Les contentieux sont soumis à la juridiction judiciaire.

 

Les différences essentielles sont les suivantes : les licenciements pour motif économique définis par les articles 1233 et suivants du code du travail sont réservés aux cas de difficultés économiques. Ils sont extrêmement exigeants pour les entreprises, à la fois quant à la preuve de la cause réelle et sérieuse du licenciement (source de nombreux litiges portés devant les tribunaux de l’ordre judiciaire) et quant aux procédures et aux obligations des entreprises, notamment concernant le reclassement des salariés. En revanche, il s’agit de véritables licenciements qui ne nécessitent pas l’accord des syndicats. Les plans de départs volontaires ne sont pas des licenciements mais ils sont mal définis et réglementés et d’importantes obligations pèsent sur les entreprises. Ils reposent sur l’accord individuel du salarié. La nouvelle RCC emprunte au PDV le fait de ne pas être un licenciement et de reposer sur l’accord individuel du salarié. Elle a l’avantage d’être moins exigeante que le PDV et surtout beaucoup moins protectrice que le licenciement avec PSE, mais elle le paie, si l’on ose dire, par la nécessité d’obtenir trois accords, celui des syndicats, du salarié individuel et de l’administration.

Ces caractéristiques expliquent le sort qui a été réservé aux deux premiers projets de RCC : le rejet de celui de Pimkie, parce qu’on est très près dans son cas d’un licenciement pour cause économique qui serait privé des protections prévues par la loi (articles 1233 et s. et le contrat de sécurisation professionnelle), les avantages accordés par le plan patronal étant jugés très insuffisants par comparaison ; l’accueil favorable réservé au plan de PSA, parce qu’il est en fait la reprise d’un dispositif existant depuis plusieurs années dans l’entreprise, appelé le DAEC (Disposition d’Adéquation des Emplois et des Compétences), détaillant sept modalités de départ de l’entreprise. Ces modalités sont très avantageuses et appréciées comme telles, et les syndicats ont d’ailleurs fait de leur reprise la condition de leur accord. Surtout, en compensation des départs envisagés, PSA s’engage à embaucher un nombre égal de salariés, de sorte qu’il s’agit avant tout d’un rajeunissement des cadres. Mais combien d’entreprises pourront suivre la même voie ?

La RCC, un OSNI ?

En vérité, ni un cas ni l’autre ne sont vraiment justiciables d’une RCC. Toutes les fois que, comme dans le cas de Pimkie, on se trouvera dans une situation pouvant être qualifiée de plan social mais sans les protections de la loi, il ne faut pas s’attendre à un accord des syndicats. Le risque est d’ailleurs que des tribunaux viennent mettre tout accord éventuel à néant sur la base d’une nullité pour détournement de procédure…Et si PSA de son côté y a vu son intérêt par la rapidité de la solution, c’est dans un cas très spécial et parce que le DAEC expirait dans quelques semaines, mais sans, semble-t-il, que la RCC apporte véritablement quelque chose de nouveau. Au contraire d’ailleurs, PSA et les syndicats doivent  passer un second accord pour prévoir la reconduction d’avantages de reclassement existant antérieurement mais non compatibles avec le régime de la RCC. On a finalement peine à imaginer quels seront les cas d’application de cette RCC.

Nous avons souvent,  dans ces colonnes, fait reproche au législateur de définir de façon beaucoup trop restrictive la cause réelle et sérieuse du licenciement collectif, en refusant par exemple d’admettre une restructuration autrement que dans les cas où elle est motivée par des difficultés économiques. On peut penser que la RCC a pour objet d’y remédier d’une certaine façon en passant par la case de la rupture conventionnelle qui évite la réglementation du licenciement et de sa cause. Le législateur pense échapper à la critique en laissant la décision entre les mains de 50% des organisations syndicales. Mais imagine-t-on obtenir de ces organisations d’approuver officiellement les conséquences pour les salariés d’une restructuration qui, si la procédure avait suivi la voie normale d’un licenciement collectif, aurait été considérée comme dépourvue de cause réelle et sérieuse ?? On a beau tourner en rond, on en revient toujours au même problème.