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Réforme de l'assurance maladie : la méthode du bouclier sanitaire

François Ecalle présente dans cette note le « bouclier sanitaire » dont l'objectif est de réguler les dépenses de l'Assurance maladie, de ramener ses comptes à l'équilibre et d'améliorer l'équité du système entre les assurés. La Fondation iFRAP propose que ce système soit expérimenté en remplacement du dispositif actuel d'ALD (Affections de longue durée remboursées à 100 %). Selon les estimations de la Fondation, rien qu'en basculant le système ALD sur un système de « bouclier sanitaire », 5 milliards d'euros d'économies pourraient être réalisées par an.

L'assurance maladie a toujours laissé une partie des dépenses de santé à la charge des ménages. Aux tickets modérateurs, instaurés dès 1930, se sont notamment ajoutés le forfait journalier hospitalier, en 1983, et des franchises, en 2008. Leur effet sur les dépenses de la sécurité sociale passe par deux canaux : ils peuvent dissuader les ménages de recourir aux soins les moins utiles ; ils réduisent mécaniquement le montant des remboursements.

Cette participation financière est proportionnelle au prix des biens et services de santé (tickets modérateurs) ou à la quantité consommée (forfaits et franchises). Le « reste à charge » des ménages peut donc être très élevé, en euros et en pourcentage de leurs revenus, et poser un problème d'accès aux soins pour les plus modestes. Pour le résoudre, existent depuis presque aussi longtemps des dispositifs d'exonération ou de plafonnement des tickets modérateurs, forfaits et franchises. Le plus important est le régime des affections de longue durée (ALD) qui, créé en 1945, institue une prise en charge à 100% des soins nécessités par une trentaine de maladies « longues et coûteuses ». D'autres dispositifs exonèrent de ticket modérateur ou de forfait certaines catégories de personnes : invalides, femmes enceintes, nouveau-nés…

Les dépenses remboursées dans le cadre d'une ALD ont augmenté en moyenne de 8,5% par an depuis 2002 pour atteindre 78 milliards d'euros en 2009 (environ 10 millions de personnes bénéficient de ce régime). Le surcoût par rapport aux modalités de remboursement de droit commun est mal connu mais, pour les seuls soins de ville, il est estimé à 10 milliards d'euros. Les dispositifs d'exonération ou de plafonnement des tickets modérateurs et franchises sont complexes et incohérents, des personnes dans des situations équivalentes pouvant être remboursées différemment. Le remboursement à 100% dans le cadre d'une ALD ne vaut que pour cette affection, ce qui oblige les médecins à distinguer le traitement des autres pathologies dont soufrent une personne ayant une ALD et la sécurité sociale à vérifier que cette distinction est bien faite. Ces vérifications occupent le quart des moyens des services de contrôle médical avec pour seul résultat avéré une dégradation des relations entre les médecins et les caisses, la frontière entre l'ALD et les autres affections étant souvent artificielle.

Surtout, le principal objectif de ces dispositifs, limiter le « reste à charge », n'est pas atteint. Pour 1% des assurés sociaux, il est d'environ 3.000 euros par an, ce qui est difficilement supportable par ceux qui vivent avec des revenus inférieurs à la moyenne. Rapporté au revenu des ménages, le reste à charge diminue lorsque ce revenu augmente, ce qui contribue à renforcer les inégalités : il est trois fois plus élevé pour les 20% les plus pauvres que pour les 20% les plus riches (4,8% du revenu moyen contre 1,6%). Le bénéfice du régime des ALD n'empêche pas de supporter une forte charge financière : 7,9% des assurés avec une ALD, et 2,5% des assurés sans ALD, ont un reste à charge annuel supérieur à 1000 euros.

Il s'agit des restes à charge avant remboursement par des assurances complémentaires, mais celles-ci ont tendance à aggraver ces inégalités. En effet, plus de 6% des ménages n'ont pas d'assurance complémentaire, alors qu'ils ont souvent des revenus modestes, et les meilleures couvertures complémentaires sont souvent souscrites par les ménages les plus aisés (ou leurs employeurs). Il en résulte que 13% des Français renoncent à des soins pour des raisons financières.

Augmenter la participation financière des assurés est un moyen simple, automatique et rapide pour réduire le déficit de l'assurance maladie, qui sera probablement supérieur à 6 milliards d'euros en 2012, mais il se heurte à cette contrainte sociale que les dispositifs d'exonération de cette participation ne suppriment pas, alors qu'ils ont un coût fortement croissant. Ils n'ont jamais pu être réformés sérieusement et, en particulier, il s'est avéré pratiquement impossible de retirer une maladie de la liste des ALD ou d'ôter le bénéfice de ce régime aux assurés guéris depuis longtemps.

Il faut sortir de cette impasse. Le redressement des finances publiques et la justice sociale imposent de réformer profondément les modalités de remboursement de l'assurance maladie et d'adopter, comme d'autres pays (Allemagne, Belgique…), un « bouclier sanitaire » dont le principe est le suivant.

Les tickets modérateurs, forfaits et franchises actuels seraient conservés. Les dispositifs destinés à en atténuer les effets (ALD, exonérations des tickets modérateurs et des forfaits…) seraient tous supprimés et remplacés par une seule disposition législative, beaucoup plus simple, selon laquelle le reste à charge sur une année ne peut pas être supérieur à un certain pourcentage du revenu annuel de l'assuré. En pratique, si ce pourcentage était atteint à un moment de l'année, les dépenses ultérieures seraient remboursées à 100% jusqu'au 31 décembre.

Ce pourcentage du revenu serait fixé, dans un premier temps, pour que la réforme soit financièrement neutre pour l'assurance maladie. Les simulations montrent qu'il serait compris entre 3 et 5%. Ensuite, chacun étant assuré de ne pas avoir à payer plus de 5%, par exemple, de son revenu annuel pour ses dépenses de santé, les tickets modérateurs et franchises pourraient être augmentés pour réduire le déficit de la sécurité sociale. Le pourcentage du revenu qui déclenche le bouclier pourrait aussi être relevé pour rééquilibrer les comptes de l'assurance maladie. Le Parlement serait ainsi amené à déterminer le montant maximum que chacun, en fonction de ses moyens, affecterait à ses dépenses de santé personnelles.

La part de la sécurité sociale dans le financement des dépenses de santé pourrait ainsi être réduite. Une diminution de quatre points de cette part, actuellement de 76%, mettrait les comptes de l'assurance maladie en excédent.

Des rapports administratifs ont validé la faisabilité technique du bouclier sanitaire, moyennant des ajustements du système informatique des caisses d'assurance maladie qui prendraient quelques mois.

Il ne s'agit pas de mettre les remboursements de l'assurance maladie sous condition de ressources. Les milliardaires continueraient à être remboursés comme actuellement et ils seraient seulement moins souvent protégés par le bouclier que les plus pauvres. La mise en place du bouclier, à dépenses constantes pour l'assurance maladie, ferait évidemment des gagnants et des perdants, plutôt dans le sens d'une redistribution verticale des revenus, mais les simulations montrent que les transferts seraient relativement limités.

Il pourrait toutefois sembler peu opportun d'opérer de tels transferts alors que des efforts très importants devront être demandés à tous pour réduire les déficits publics. Mais c'est la seule solution pour ralentir rapidement et fortement la croissance des dépenses de l'assurance maladie, qui était encore de 3,4% par an sur la période 2006-2010 malgré les plans d'économies lancés chaque année. Les gaspillages sont nombreux dans le système de santé et les économies potentielles sont considérables, mais l'histoire des réformes de l'assurance maladie est déjà très riche en France comme dans les autres pays de l'OCDE et personne n'a encore trouvé la solution pour dégager rapidement des économies à la hauteur des enjeux financiers en limitant ces gaspillages.

Le bouclier sanitaire n'améliorerait pas l'efficacité du système de santé, mais il ne la dégraderait pas non plus même si, une fois protégés par le bouclier, certains assurés étaient remboursés à 100%. En effet, c'est déjà très souvent le cas et ce ne serait probablement pas plus fréquent. En outre, pour que le reste à charge d'un assuré atteigne 5% de son revenu annuel, il faut généralement des soins prescrits par un médecin, ce qui pose le problème de la pertinence des prescriptions mais ce problème est indépendant de l'existence du bouclier.

La mise en place d'un bouclier sanitaire n'exonèrerait pas des efforts qui doivent être poursuivis sans relâche pour améliorer l'efficacité du système de santé et ne traiterait pas la question des dépassements d'honoraires qui ne seraient pas pris en compte dans le calcul du reste à charge. Elle permettrait seulement, mais c'est déjà beaucoup, d'augmenter la participation financière des ménages pour réduire le déficit de l'assurance maladie, de simplifier la réglementation et de contribuer à plus de justice sociale.