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Quelles mesures fiscales pour faire de la France une "start-up nation" ?

Le président de la République avait déclaré en juin souhaiter faire de la France une "start-up nation" et annoncé à cette occasion la création d'un fonds de 10 milliards d'euros pour l'innovation, mesure qui prend corps aujourd'hui avec le lancement de ce fonds abondé par la cession de 4,5% du capital d'Engie. L'appui aux entreprises innovantes devrait d'ailleurs être renforcé par de nouvelles mesures attendues dans le PLF 2018 avec la supression de l'ISF-PME et le recentrage de l'ISF sur l'immobilier. Le président de la République souhaite profiter du Brexit et du succès de la French Tech pour faire de notre pays un vivier d'entreprises innovantes. Si nous avons de telles ambitions, alors assumons des mesures fiscales fortes à l'image de ce qu'a mis en place avec succès le Royaume-Uni depuis 1994.

Chaque fois que le législateur entend encourager l'investissement direct dans les PME, il se heurte aux craintes de Bercy de nourrir des effets d'aubaine et de faire des cadeaux aux riches. Dernier exemple, fin 2016, la loi de finances avait adopté le compte PME innovation, proposition d’Emmanuel Macron alors ministre de l’Economie. Ce dispositif devait permettre à un investisseur de reporter l’imposition sur les plus-values réalisées à l’occasion de la vente de titres, à condition de les réinvestir dans les start-up ou des PME innovantes. Mais ce énième dispositif en faveur du financement des start-up n’a pas trouvé son public selon Les Echos : trop contraignant pour attirer les investisseurs (Bercy n’aurait pas voulu que la trésorerie soit exonérée d’ISF), critères d’éligibilité restrictifs (l’investisseur devait être membre du conseil d’administration). Enfin, l’exonération était limitée à l’IR mais pas aux prélèvements sociaux, avec une incertitude sur l’augmentation de la CSG.

Si aujourd'hui le gouvernment (Edouard Philippe s'est rendu tout récemment à la station F créée par Xavier Niel) envisage de nouvelles mesures à la faveur du PLF2018 et de la réforme de l’ISF pour inciter les particuliers à investir dans les start-up, nous lui proposons de s’inspirer de l’audace des mesures fiscales britanniques. Revenons sur les trois principales d’entre elles :

  • Entrepreneur Investment Scheme (EIS)
  • Seed Entrepreneur Investment Scheme (SEIS)
  • Entrepreneurs’ Relief (ER)

EIS

Le dispositif EIS a été mis en place en 1994 : il a été conçu pour aider les petites entreprises à haut risque à lever des financements en offrant un ensemble de déductions fiscales aux investisseurs qui acquièrent les actions de ces petites sociétés. En 2014-2015, dernière année pour lesquelles les chiffres officiels sont disponibles, on compte 24.000 entreprises ayant reçu depuis la création de l’EIS (1994) près de 14,2 milliards de £ d’investissements via ce dispositif, selon les chiffres du HMRC, le Trésor britannique. Pour l’exercice, en 2014-2015, c’est 3.265 sociétés qui ont levé 1.816 M£ et toujours pour cette même année, ce sont plus particulièrement 1.660 sociétés qui ont levé pour la première fois des fonds via ce dispositif pour 1.022 M£.

Pour être éligible au dispositif EIS, la société doit remplir les conditions suivantes :

  • Etre une société non cotée, ne pas être contrôlée par une autre société, avoir un actif brut de moins de 15 millions de £ avant l'émission d'actions et moins de 250 salariés au moment de la souscription au capital (ces seuils ont été relevés au moment de la création du Seed-EIS : voir plus loin) ;
  • Les fonds levés doivent être employés dans les 2 ans dans une des activités qualifiées pour l'investissement (les activités exclues comprennent les transactions sur les biens fonciers, les matières premières ou les instruments financiers, les activités bancaires ou d'assurance, les activités d'affacturage, de prêts de leasing, ou de perceptions de droits ou de royalties, les activités juridiques ou comptables, les activités agricoles, etc.) ;
  • Les activités commerciales doivent être conduites sur le territoire britannique seulement ou principalement.

Les avantages pour les investisseurs sont importants :

  • Une réduction d'impôt à l'entrée : de 20% du montant investi dans la limite de 500.000 £ dans la mesure où l'investisseur n'est pas connecté à la société (ne pas détenir plus de 30% dans la société), investir au minimum 500 £. Les actions doivent être conservées 3 ans. En 2012, le taux de réduction d'impôt EIS a été porté de 20 à 30% et le plafond d'investissement a été porté de 500.000 à 1 million de £ ; 
  • Une exemption d'impôt sur les plus-values au bout de 3 ans ;
  • Une possibilité de déduire les pertes issues des actions souscrites dans le cadre EIS de l'ensemble de ses revenus.

SEIS

En 2012, le dispositif Seed EIS (SEIS) a été mis en place pour offrir des avantages renforcés aux particuliers investissant dans les plus petites entreprises au niveau de l’amorçage :

  • Les investisseurs utilisant le SEIS peuvent mettre 100.000 £ par année fiscale ;
  • La réduction d’impôt sur le revenu est égale à 50% ;
  • Si les parts sont détenues 3 ans, elles sont par la suite exemptées d’impôt sur les plus-values ;
  • Les investisseurs ne peuvent détenir plus de 30% des parts de la société.

Les conditions sont les suivantes :

  • Les entreprises percevant les fonds SEIS ne peuvent recevoir plus de 150.000 £ par ce biais ;
  • Les entreprises doivent avoir moins de 25 employés ;
  • Les entreprises doivent avoir moins de deux ans ;
  • Les entreprises doivent avoir des actifs de moins de 200.000 £

Au titre de l’exercice 2014-2015, 2.290 sociétés ont reçu des fonds au titre du dispositif Seed-EIS pour des investissements pour 175 M£.

Pour de nombreux observateurs, cette dernière mesure est un moyen d'attirer les investisseurs pour mettre en œuvre leur projet d’entreprise. Un conseiller du Center for Entrepreneurs et investisseur en série, Angel Dale Murray, a décrit le dispositif SEIS comme « le plan le plus généreux du monde pour les investisseurs providentiels ». L'importance de EIS et de SEIS pour débloquer l'investissement dans les petites entreprises ne doit pas être sous-estimée. Dans un sondage auprès des investisseurs providentiels, 74% des répondants ont déclaré que les régimes étaient importants ou très importants pour leur prise de décision en matière d'investissement et 86% ont déclaré qu'ils utilisaient ou utiliseraient régulièrement EIS / SEIS. Environ 58% auraient investi moins, ou pas du tout, si EIS / SEIS n'était pas disponible.

Entrepreneurs’ relief 

L’entrepreneurs’ relief permet de diminuer l’impôt sur les plus-values en cas de cession par l’entrepreneur de ses titres (en totalité ou en partie). Les gains seront ainsi taxés au taux de 10% contre 28% au taux normal.

Il faut pour cela remplir certaines conditions : être l’administrateur ou l’associé, selon la forme juridique de l’entreprise, et posséder au minimum 5% des droits de vote et les avoir détenus au minimum un an avant la cession. Les activités d’investissement sont exclues du dispositif.

Il n’y a pas de limite dans le temps où l’on peut appliquer ce dégrèvement (nombre de fois où un investisseur peut l’appliquer) et le plafond est fixé à 10M£.

Cette mesure a été présentée comme extrêmement positive sur l’esprit d’entreprendre dans un manifeste signé de nombreux jeunes entrepreneurs britanniques : « Une des choses qui fait que l'esprit d'entreprise est si attrayant en Grande-Bretagne est que, contrairement à beaucoup d'autres pays, les entrepreneurs ne sont pas punis pour leur succès. »

Ce régime initialement calibré à 80.000£ a été porté par le gouvernement de coalition de D. Cameron à 10 M£.

Coût fiscal des mesures :

Le Trésor britannique nous indique que le coût des mesures a été en 2015-2016 de :

  • EIS : 395 M£+85 M£ sur les plus-values ;
  • SEIS : 80 M£ ;
  • ER : 3500 M£ mais recalibré à 2.000 M£ pour 2016/2017.

En comparaison, voici le poids des déductions en France (VMT2-PLF 2017) :

  • IR-Madelin : 72 M€
  • ISF-PME : 580 M€

Proposition iFRAP

La Fondation iFRAP propose que le PLF2018 soit l’occasion de mettre en place des mesures audacieuses pour renforcer l’attractivité de notre système fiscal pour les investisseurs dans les start-up :

  • Renforcer l’avantage Madelin en le sortant du plafond global des niches à 10.000 euros (cf. amendement Eckert), en remontant le plafond de déduction maximum à 1 million d’euros pour un couple, et en remontant le taux de déduction de 18% à 30% et réserver ce dispositif aux seuls investissements en direct. Cibler sur les petites entreprises communautaires (moins de 50 salariés et moins de 10 millions d’euros de total de bilan) et exonérer de taxation les plus-values de cession après trois ans de détention. Ce dispositif fonctionnerait à l’image de ce qu’ont fait nos voisins britanniques, calibré entre l’EIS et le SEIS, donc pour un coût fiscal que l’on peut estimer encore inférieur à ce que coûte actuellement le dispositif ISF-PME ;
  • Faire fonctionner la SCT, article 239 bis AB du CGI, en considérant comme « investisseurs professionnels » les Business Angels qui investissent 100.000 euros et plus en direct au capital de la SCT.