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Pourquoi l'hôpital public conserve un "secteur privé"

Le secteur privé est une réponse partielle à un problème de fond : le statut de fonctionnaire et le blocage des rémunérations des meilleurs praticiens

Depuis sa création en 1958, le secteur privé des médecins à l'hôpital public fait débat. Tarifs élevés, dépassements du quota de clients privés, relations financières floues avec l'hôpital, priorité donnée à l'activité privée, relations ambigües avec les autres personnels de l'hôpital, incertitude sur la véritable valeur du praticien… Les nombreuses réformes précédentes n'ont pas résolu ces problèmes. Le rapport de Dominique Laurent, conseillère d'État, les décrit à nouveau. Marisol Touraine, ministre de la Santé, et Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l'État, auront-elles le droit et le courage de s'attaquer au fond du problème : la grille des salaires et le statut de la fonction publique.

L'objectif du secteur privé au sein de l'hôpital est simple : « Ce dispositif a été maintenu, dans le but de préserver l'attractivité du secteur public ». En clair, les meilleurs médecins, chirurgiens notamment, ne sont pas payés à l'hôpital comme le justifierait leur performance [1] ; il faut donc leur offrir un régime d'exception [2], au caractère dit « dérogatoire ».

À la question « Pourquoi est-il impossible de les rémunérer normalement ? » la réponse ne peut pas être : « Parce que cela coûterait trop cher ». En effet, même en donnant 40.000 euros par an [3] de plus en moyenne à chacun des 1.932 médecins de secteur 2 autorisés à avoir une clientèle privée à l'hôpital, cela ne coûterait que 80 millions, une somme représentant moins de 2 millièmes du budget des hôpitaux. D'autant plus que l'hôpital pourrait récupérer tout ou partie de ce montant sur le prix qu'il facturerait à certains clients.

La véritable réponse est : « La grille des rémunérations de la fonction publique ne le permet pas ». C'est donc bien ce statut qu'il faut réformer, et même supprimer, en commençant peut-être par les fonctionnaires de plus hauts niveaux. Il est curieux que cette solution ne soit pas évoquée dans les 240 pages de ce nouveau rapport et de ses annexes. Malgré la situation où se trouve la France, on hésite à s'attaquer aux tabous.

[(Un non-problème pour les hôpitaux associatifs, mutualistes, ou pour les fondations

Le problème de la clientèle privée ne se pose pas dans les hôpitaux privés sans but lucratif dont certains sont pourtant très performants. Pourquoi ? Parce que les salaires des médecins peuvent être fixés librement en fonction de leur compétence, leur spécialité et leur performance globale. )]

Ne pas être évalué & Ne pas évaluer

Les 10% de médecins hospitaliers autorisés à soigner une clientèle privée à l'hôpital sont déjà parvenus à un niveau élevé et généralement justifié dans la hiérarchie hospitalière. Mais les écarts d'honoraires demandés par des médecins de grade identique montrent que ce critère est insuffisant. Aller plus loin, décider plus finement combien ces médecins doivent être rémunérés, exigerait qu'ils aient le courage d'accepter d'être évalués par leur organisation (directeur, supérieurs, confrères), et que leur organisation ait aussi le courage de les évaluer.

De nombreuses professions sont évaluées discrètement : les clients des commerçants ou des industriels changent de fournisseurs sans avoir à leur expliquer pourquoi. C'est facile pour l'évaluateur, moins pénible psychologiquement pour l'évalué, mais la conséquence peut être aussi très désagréable : la faillite. La situation est plus délicate entre collègues amenés à se côtoyer pendant des années, mais l'évaluation reste indispensable pour l'organisation employeur, pour les clients et pour permettre à l'intéressé de s'améliorer dans les divers aspects de son travail. Un médecin excellent dans le traitement, peut être moins performant dans le diagnostic, la relation avec le malade ou dans le management de son équipe, ou le contraire.

Dans un domaine critique comme la santé, où il est admis que les « clients » disposent souvent de très peu de temps et de très peu d'informations pour faire un choix, laisser aux malades la responsabilité de juger du montant des émoluments de ces super-médecins, est un signe de lâcheté. Avec le risque que la réputation de certaines vedettes soit surfaite, ou perdure alors que leur compétence a décliné soit à cause de l'âge, de l'évolution des techniques ou de leur laisser-aller. On entend parfois : « J'espère que vous serez opéré par son assistant ».

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Rapport Dominique Laurent
L'activité libérale à l'hôpital

Conclusion

Les médecins ne sont pas les seuls à être enfermés dans la grille de la fonction publique. La grille concerne tous les fonctionnaires. À commencer par les meilleurs ou les plus prestigieux, professeurs d'université, directeurs d'hôpitaux, chercheurs, hauts responsables dans les ministères ou les collectivités locales, dont on fait semblant d'ignorer des écarts de performance considérables.

Pour contourner le problème, un système dérogatoire a été mis en place dans les hôpitaux. La nouvelle réforme va y rajouter une strate de règlements, contrôles et commissions, complexes et inefficaces. Pourquoi ne pas traiter le problème au fond en admettant qu'évaluer, récompenser à leur juste performance ou sanctionner les fonctionnaires constitue une responsabilité essentielle et incontournable de leurs responsables ?

[1] Le revenu d'un médecin hospitalier et universitaire en fin de carrière va de 9.000 à 13.000 euros par mois. Le revenu moyen dans la fonction publique d'État est de 3.000 euros. Un écart assez faible avant impôt, et encore plus après.

[2] La retraite des médecins à la fois professeurs d'université et hospitaliers n'était basée que sur une partie de leurs revenus. Cette véritable anomalie était mise en avant pour justifier l'existence de la clientèle privée. Une façon typique de créer un système extraordinairement complexe plutôt que de traiter le problème. Cette anomalie a été en partie résolue par des réformes en 2006 et 2010.

[3] La moyenne des dépassements actuels est de 36.000 euros.