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Pôle Emploi - Le point sur la fusion ANPE-Unédic

Au 1er janvier 2009, l'ANPE et les Assédic disparaissent. Leur fusion donne naissance à l'organisme majeur du service public de l'emploi français, Pôle Emploi, financé à 30 % par l'État et à 70 % par l'assurance-chômage. En France, le service public de l'emploi est éclaté entre plusieurs intervenants, les deux principaux étant l'ANPE et le groupe Unédic-Assédic. La dilution des responsabilités entre organismes opérant plus ou moins indépendamment les uns des autres crée des incohérences et des redondances.

Un projet depuis longtemps évoqué

En janvier 2004, Jean Marimbert, dans un rapport au ministre des Affaires sociales, dressait un panorama du marché du travail français et préconisait, entre autres, un partenariat étroit entre l'ANPE et le réseau des Assédic.

Allant au-delà de cette recommandation, les gouvernements successifs s'orientèrent progressivement vers la fusion pure et simple, décidée par le président Sarkozy (loi du 13 février 2008). La fusion sera effective au 1er janvier 2009.

Fusionner deux entreprises n'est pas simple ! Que dire de la difficulté d'opérer une telle fusion lorsque l'une des entreprises, l'ANPE, est un établissement public bureaucratique à structure pyramidale, employant 30 000 agents, dont 27 000 sont assimilés fonctionnaires, alors que l'autre structure est une fédération de 30 associations privées, les Assédic, largement autonomes dans leur gestion interne, employant 14 000 salariés sous contrat de droit commun ? Nous avons là deux systèmes de cultures très différentes, l'un calqué sur l'administration française, l'autre de type privé, gouverné par des collèges décentralisés associant paritairement les partenaires sociaux.

Une fusion difficile et controversée

Mais le projet gouvernemental va plus loin encore. Il prévoit que la très grande majorité des agents issus des deux structures exerceront le même métier, celui de « référent unique », associant les compétences des actuels conseillers de l'ANPE et des agents de prestation des Assédic.

Les deux structures disposent de personnels de haut niveau de culture et de formation, car leurs recrutements, très sélectifs, sont alimentés par des flux inépuisables de candidats extrêmement nombreux.

Lorsque les rumeurs de fusion se sont précisées, de nombreux membres du personnel de l'ANPE envisageaient favorablement la perspective de bénéficier de rémunérations aussi élevées que celles de leurs futurs collègues.

La délicate question des rémunérations

C'est qu'aux Assédic, on gagne en moyenne 35 % de plus qu'à l'ANPE. Un agent de prestation Assédic avec vingt ans d'ancienneté perçoit environ 35 000 € par an, ce qui est plus qu'enviable, alors que le conseiller ANPE ne touche en moyenne que 25 000 € après vingt ans de carrière. Las, il leur faut déchanter.

À la fusion, chacun conservera son statut et son salaire. Il faudra attendre la conclusion d'une nouvelle convention collective pour que les agents ANPE puissent choisir entre le nouveau statut privé, avec des salaires réévalués, ou garder leur statut public et leur salaire de fonctionnaire moins payé.

La présidence de la République veut que cette convention soit signée d'ici septembre 2009. Les directions générales de l'ANPE et de l'Unédic, plus réalistes, envisagent un délai de dix-huit mois. Certains parlent de plusieurs années. Pendant tout ce temps, des agents gagneront, à travail égal, 30 % de moins que d'autres collègues, ce que les syndicats ANPE ne veulent accepter à aucun prix.

De nombreuses incohérences

La fusion est particulièrement angoissante pour les cadres des deux structures. En effet, si les Assédic emploient deux fois moins de personnel que l'ANPE, elles ont en revanche deux fois plus de cadres ! Les impératifs de synergie veulent que là où coexistent une agence locale pour l'emploi et une agence Assédic, on ne conserve qu'une seule structure et un seul directeur.

La conclusion est évidente, tous ceux qui sont actuellement cadres ne retrouveront pas de responsabilités équivalentes. Le principe admis depuis le début des tractations est de répartir les postes d'encadrement sur une base 50/50 entre les deux structures. Jusqu'ici, les directions se sont longuement affrontées sur ce problème, non résolu à ce jour, et ont pris du retard dans l'examen de toutes les autres questions posées par la fusion.

Et déjà on envisage des postes inédits de « chargés de missions spéciales » et autres placards ! En désespoir de cause, il a été décidé de mettre tous les postes d'encadrement en disponibilité pour un mouvement général en janvier 2009. Un beau jeu de chaises musicales dans une période où le chômage devrait bondir avec la fin de nombreux CDD non renouvelés du fait de la crise.

L'informatique n'est pas à la hauteur

Un autre problème épineux est constitué par l'informatique indigente qui sert à l'accompagnement des demandeurs d'emploi par l'ANPE. Le logiciel, Gide 1 bis, date de 1982 ! Il a été développé par l'Unédic qui en concède l'utilisation à l'ANPE moyennant rétribution.

Il s'agit d'une application archaïque, anti-ergonomique et surtout, totalement inadaptée aux formes nouvelles des emplois d'aujourd'hui. Gide 1 bis se révèle impropre à saisir correctement les mouvements des personnels intérimaires et temporaires.
Les listes de demandeurs d'emplois imprimées par les agents de l'ANPE, pour satisfaire les besoins de recrutement ou d'envoi en formation, sont souvent bien garnies en personnels indisponibles, car momentanément salariés.

Non seulement cette bizarrerie fausse les statistiques du chômage depuis longtemps, mais elle complique sérieusement le travail des agents ANPE et mécontente les employeurs qui ont tendance à conclure, à tort, à l'incompétence de ces agents.

Consciente de ce problème, la direction générale de l'ANPE avait commandé en 1997 un nouveau logiciel, baptisé Géode, qui devait résoudre tous les problèmes et être mis en service en 2001. Ce programme, dont le budget de départ était de 22,8 millions d'euros et qui au final a coûté 135,5 millions d'euros, n'a été mis en service expérimental qu'en 2004 et a été purement et simplement abandonné quelques mois plus tard, après s'être révélé totalement inapproprié au service attendu. Et depuis, rien n'a été fait.

Le Pôle Emploi démarrera en janvier 2009 avec le vieux logiciel de 1982 !

Quelle mission pour le service public de l'emploi ?

Ce que la Nation attend d'abord d'un service public de l'emploi, c'est qu'il contribue efficacement à résorber le chômage, qui mine l'économie et surtout la société française depuis 1975. Disons-le tout net, la solution réside plus dans la santé et la croissance de notre économie.

Une croissance forte et durable, supérieure à 3 % l'an, ferait chuter dans d'importantes proportions le taux officiel du chômage, mais surtout, elle permettrait d'élever considérablement le taux d'emploi (proportion des personnes occupant effectivement un emploi au sein de la population des personnes âgées de 16 à 64 ans).

La France réalise dans ce domaine une performance médiocre, fluctuant autour de 63 %, alors que l'Allemagne se situe au niveau de 68 %, malgré le handicap né de la réunification avec l'ex-RDA, USA et Royaume-Uni sont à 72 %, Danemark et Suisse à 77 %. Le service public de l'emploi ne crée pas la croissance, ni ne freine la récession d'ailleurs.

Son rôle principal est d'assurer la fluidité et la transparence du marché du travail, afin qu'une offre de travail donnée rencontre, sur son bassin d'emploi, une demande suffisante (et non excédentaire), répondant aux conditions nécessaires de disponibilité, de compétences et de motivation, et d'assurer des mises en relation rapides et pertinentes entre employeurs et demandeurs.

En temps de récession, s'y ajoute la préservation des compétences individuelles des personnes dont le chômage se prolonge.

Une fusion, pour quels services aux usagers ?

Le Pôle Emploi continuera pendant deux ou trois années à assurer la collecte des cotisations et la gestion des indemnisations. Si la collecte ne pose actuellement pas de problèmes, les indemnisations, en revanche, se font en ce moment avec un retard atteignant quelques semaines pour les nouveaux demandeurs d'emploi inscrits, et le chômage ne cesse de s'amplifier depuis août 2008.
On peut donc être inquiet dans le contexte de récession qui s'installe.

Le « référent unique »

Les rôles essentiels dévolus à Pôle Emploi sont la qualité de sa relation à l'entreprise d'une part, et celle de ses prestations en faveur des demandeurs d'emploi d'autre part : informer et conseiller les employeurs, écouter, accompagner, orienter les demandeurs d'emploi avec la psychologie requise par ces populations fragilisées.

Tout cela reposera sur le nouvel homme-orchestre de Pôle Emploi, le « référent unique », qui réunit les savoir-faire des ex-conseillers de l'ANPE et des ex-agents de prestations des Assédic. Ces derniers bénéficieront pour cela de sept jours de formation. Ceux de l'ANPE auront trois jours pour assimiler les 52 régimes d'indemnisation du chômage.

Comme les centres de formation de l'ANPE, les seuls qui savent délivrer ce type de formation n'ont pas les effectifs de formateurs suffisants. On recrute à tour de bras depuis quelques semaines des agents dans les réseaux ANPE pour les transformer en formateurs.

Ils reçoivent à cet effet quatre jours de formation, dont, d'après un leader syndical de l'ANPE, ils sortent profondément inquiets et troublés. En lisant les divers documents relatifs aux fonctions de référent unique, on ne trouve nulle part de mention relative aux visites d'entreprises, jusqu'ici assurées, tant bien que mal, par les conseillers ANPE.

Doit-on en conclure que l'essentiel de la relation avec les entreprises sera assuré par téléphone, fax, messagerie électronique et par le site anpe.fr qui changera de nom ?

L'accueil des demandeurs d'emploi

La nouvelle direction a prévu de diminuer au maximum le flux de visiteurs dans les agences, en développant les services par Internet et les plateformes téléphoniques, déjà expérimentées au sein des deux structures qui fusionnent.

Il n'en reste pas moins qu'il faudra que les référents uniques procèdent aux inscriptions, dans un temps imparti de vingt minutes qui paraît excessivement court pour à la fois informer sur l'indemnisation et saisir les nombreuses informations nécessaires.

Combien de minutes restera-t-il pour écouter, comprendre la problématique individuelle du demandeur d'emploi et s'entendre sur un « contrat », surtout si les flux s'accroissent en fonction du taux de chômage ? Et ces référents devront également assurer des entretiens individuels mensuels, assurer des permanences téléphoniques, traiter les appels, fax et courriels des employeurs, organiser des recrutements, participer à l'accueil et à l'animation d'une zone de libre-service, etc. Les entretiens mensuels devront s'accomplir dans un esprit de coopération et de confiance mutuelle entre le demandeur et son référent.

Mais il est probable que cette relation sera fortement biaisée par le fait que le référent aura une obligation de repérer les manquements des demandeurs d'emplois à leurs devoirs, en vue de sanctions éventuelles. Comment obtenir franchise et vérité dans ces conditions ? Tout cela, bien sûr, se mettra en place au fur et à mesure des formations et validations de référents uniques.

En attendant, chaque ex-ANPE et chaque ex-Assédic assureront leur service comme avant la fusion. Mais Laurent Wauquiez, Secrétaire d'État à l'Emploi, estime que tout sera terminé pour fin juin 2009. Est-ce bien sérieux ?

Le point de vue des contribuables

Dans les arguments du Gouvernement pour justifier la fusion, figurent les économies budgétaires à réaliser grâce à une organisation plus rationnelle. Économies immobilières tout d'abord : un bâtiment unique là où il en fallait deux.

En attendant, nombre de sites actuels de l'ANPE sont inaptes à réunir les nouveaux effectifs. Il faudra de nouveaux locaux. Mais les baux de l'ANPE continuent à courir jusqu'à leur échéance. Quant aux bâtiments propriété des Assédic, souvent trop exigus pour la nouvelle organisation, que va-t-on pouvoir en faire ? En attendant que les synergies espérées de la fusion produisent leurs effets, il faut s'attendre à une lourde facture immobilière supplémentaire. Le Gouvernement annonce des économies dans la gestion courante. Il y aura un seul entretien là où il en fallait deux.

On regroupera les plateformes téléphoniques, qui devraient d'ailleurs devenir « virtuelles », c'est-à-dire sur le lieu habituel de travail, ce qui économisera des frais de déplacements. Ceux-ci diminueront encore avec la quasi-disparition des visites d'entreprises.

En revanche, le budget des frais de déplacements et de séjours vers les centres de formation grimpera fortement. Et puis, il y a tous les frais exceptionnels occasionnés par la fusion : toute la documentation à revoir, les sites Internet à changer, la signalétique, les honoraires de prestataires, etc.

L'informatique, évidemment, est à réorganiser, et le plus vite possible ! La principale source de dépenses supplémentaires sera constituée par l'augmentation de la masse salariale globale. On a promis une fusion sans aucune réduction d'effectifs. Il y aura donc pléthore de cadres à rémunérer. Et puis, il y a l'épineux problème des différences de salaires entre agents des deux organisations.

La mise à niveau se fera forcément vers le haut de la fourchette. Le Gouvernement et la direction générale prévoient que cela se fera très progressivement… Si l'énorme pression qu'exercent les syndicats, appuyés par l'ensemble du personnel de l'ex-ANPE, ne les oblige pas à accélérer cette évolution. Toutefois, le contribuable sera peut-être épargné. Au départ, le Gouvernement finance 30 % du projet et les partenaires sociaux, c'est-à-dire l'Unédic, 70 %.

Mais, on peut penser que le Gouvernement pourrait se désengager petit à petit pour finir par abandonner toute la responsabilité du nouvel organisme aux partenaires sociaux. À notre sens, ce serait une excellente démarche.

Or, les partenaires sociaux disposent, pour financer Pôle Emploi, des apports des fédérations patronales pour une petite partie, et surtout des cotisations d'assurance- chômage. Vingt-cinq millions de cotisants salariés et quelque deux millions d'employeurs sont donc concernés.

L'augmentation récente des inscriptions de chômeurs et la diminution du nombre des offres d'emploi posent le problème de l'indemnisation des demandeurs d'emploi. Le patronat refuse toute majoration des cotisations et persistera probablement dans cette position sage de refus d'augmentation des prélèvements obligatoires.

Alors, faut-il s'attendre à une diminution du montant ou de la durée de l'indemnisation ?

En conclusion, l'impuissance publique !

On ne peut pas être optimiste quant aux résultats à attendre de cette fusion mal préparée. Les personnels y avancent à reculons.

Le 1er décembre 2008, une grève des agents ANPE a été suivie par 50 % à 60 % du personnel… Du jamais vu ! Habituellement, il y a environ 20 % de personnels grévistes ! Un an plus tôt (le 27 novembre 2007), l'annonce d'une fusion avait provoqué la grève de 60 % des agents des Assédic.

Quant aux usagers, ils attendront longtemps, très longtemps, les résultats positifs de cette réforme du service public de l'emploi. Pourtant, la transmission du service de placement aux partenaires sociaux est véritablement une bonne idée.

Les représentants des employeurs et des salariés sont bien plus experts que les ministres et les fonctionnaires dans les domaines du travail, de l'emploi et de la gestion de la ressource humaine. Les organismes privés sont plus adaptables et généralement plus efficaces que les administrations dans la gestion de services aux entreprises et aux personnes.

Mais la transmission de l'ANPE aux partenaires sociaux pouvait se faire sans fusion et en laissant aux partenaires sociaux le choix de la méthode (partenariat étroit ou fusion par étape), permettant la meilleure synergie des deux structures.

Une fusion de l'Unédic et de la direction générale ANPE, pour former une structure de coordination et de pilotage, aurait pu être envisagée en donnant une large autonomie aux directions régionales ANPE qui auraient alors mieux coopéré, non seulement avec les Assédic de leur région, mais aussi avec les conseils régionaux, les préfets de Région et les services déconcentrés des ministères. La fusion complète aurait pu, si nécessaire, se faire progressivement et ultérieurement.

Ce cas pratique, bien mal engagé, montre bien les insuffisances du pouvoir et des administrations dans les domaines qui ne ressortent pas de la sphère régalienne.

Le fonctionnement de l'ANPE serait même moins médiocre que celui d'autres administrations (Éducation nationale, Justice et même Finances…), mais la situation créée par les circonstances exceptionnelles de la fusion constitue un saisissant révélateur de l'impuissance publique.

L'auteur

Jean-Michel Bélouve est diplômé d'une grande école de management. Sa carrière le conduira aux postes de direction dans des entreprises puis dans des établissements publics régionaux. C'est de cette expérience professionnelle variée, qu'il tire son analyse des politiques de l'emploi et plus particulièrement du fonctionnement du service public de l'emploi. L'auteur a voulu partager sa pratique de la gestion de l'entreprise pour faire des recommandations pour une plus grande efficacité de Pôle Emploi.