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Pas de lignes d'autocars pour les voyageurs français

Tout le monde connaît Greyhound aux États-Unis ou National Express en Grande-Bretagne. Mais comment expliquer qu'il n'existe pas chez nous de grandes compagnies d'autocars assurant des liaisons entre les villes de France ? Parce que ce marché est encore strictement encadré : une incohérence si l'on songe qu'il est désormais possible de créer librement des compagnies aériennes en France et en Europe et une aberration d'un point de vue économique ou même écologique.

Comme le rappelle Christian Gérondeau, expert en matière de transports et auteur des Danseuses de la République : SNCF, transports publics et autres (2004), depuis 1934 et la coordination rail-route, le développement des transports routiers a été strictement encadré dans notre pays, au bénéfice de la SNCF. S'il s'est libéralisé pour le transport de marchandises sous l'influence européenne, y compris pour les transporteurs étrangers, il est en revanche toujours réglementé pour le transport de voyageurs. Au nom du principe de subsidiarité, Bruxelles n'a curieusement rien imposé dans ce domaine.

C'est donc la loi LOTI – loi d'orientation des transports intérieurs – qui fixe les principes généraux. L'autorité concédante – État pour les lignes nationales, collectivités territoriales pour les lignes départementales ou régionales – examine le projet de desserte et rend son avis. Hervé Mariton, député de la Drôme et auteur d'un rapport au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale sur les transports [1], indique : « Après une instruction par les directions régionales de l'équipement, les collectivités concernées doivent être consultées ainsi que la SNCF et l'instruction doit prendre en compte les conséquences possibles du service projeté sur l'équilibre des dessertes ferroviaires de la SNCF, ce qui aboutit à faire obstacle à toutes les tentatives. ».

Transport international par autocars : le cabotage interdit

Il existe bien des compagnies de transport international de voyageurs, notamment la société Eurolines, filiale de Véolia, qui assure des liaisons à prix très compétitifs au départ de Paris, vers de nombreuses villes de province et d'Europe, mais ses autocars ne sont pas autorisés à pratiquer le cabotage sur le territoire français, c'est-à-dire à prendre puis déposer des voyageurs entre deux villes françaises sur un trajet transfrontalier.

Quant aux liaisons locales par autocars, celles-ci sont assurées par des sociétés publiques ou privées qui travaillent déjà avec la SNCF, le plus souvent dans le cadre d'un plan local de transports et ne sont donc pas prêtes à déterrer la hache de guerre avec l'opérateur historique ni avec les collectivités locales pour accéder au marché national. Pourtant, les lignes d'autocars coûtent dix fois moins cher à l'exploitation que les lignes ferroviaires, et un train moderne coûte entre 2 et 4 millions d'euros selon sa capacité, contre 200 000 euros pour un autocar de grand confort, rappelle Christian Gérondeau.

Dans son rapport, Hervé Mariton s'est intéressé à deux exemples de pays ayant libéralisé le transport par autocar : l'Angleterre et la Suède. Christian Gérondeau souligne d'ailleurs que ce fut même l'une des premières mesures mises en place par Margaret Thatcher.

Au Royaume-Uni, le transport par autocars a été dérégulé dès 1980 et la compagnie National Express est devenue leader sur le marché avec des départs vers 1 700 destinations et près de 18 millions de voyages assurés par an ; elle emploie 1 800 personnes (chiffres 2008). Cette compagnie exploite également des trains et des bus. La Suède a déréglementé plus tard, en 1999, le transport interrégional de voyageurs. Hervé Mariton indique qu'en dérégulant le transport routier de voyageurs, la Suède avait pour objectif « d'offrir une alternative moins polluante et plus sûre que la voiture individuelle, et une alternative moins chère et plus flexible que le train » et rappelle que plusieurs études menées dans ce pays ont montré que ce mouvement avait été bénéfique pour le pays.

Pour conclure, le député indique que l'ouverture de ce mode de transport en France pourrait être une alternative positive pour le consommateur aux lignes ferroviaires sous-fréquentées, qu'elles soient régionales ou nationales, rappelant que le tarif kilométrique de la SNCF varie de 9 à 15 cts d'€ alors que le tarif kilométrique d'Eurolines est de 6 à 7 cts d'euros [2].

Une analyse que confirme la Cour des comptes dans le rapport qu'elle a consacré au système ferroviaire français en 2008 [3] et qui évoque des études sur l'état du réseau ferré français selon lesquelles « Lorsqu'une ligne est parcourue par moins de 20 trains de voyageurs par jour avec le taux d'occupation moyen du réseau régional, il est préférable de fermer cette liaison ferroviaire et de la remplacer par un service d'autocars. Le critère utilisé, le bénéfice socio-économique, est la somme de tous les avantages et inconvénients, monétaires ou non, de ces deux modes de transport pour la collectivité qui comprend RFF, la SNCF, les usagers de ces trains, les ménages qui subissent la pollution des autocars, etc. Or plus de 11 000 km des lignes UIC 7 à 9 [nomenclature qui correspond aux lignes à faible trafic] sont parcourues par moins de 20 trains par jour. » [4]

Pourtant rien n'est fait et le monopole de la SNCF est maintenu au prix de lourdes subventions payées par la collectivité publique. Rien que pour les TER, cette politique ambitieuse de transports voulue dans les régions à majorité de gauche se monte à 3 milliards d'euros.

Un bilan écologique qui tient la corde

Et contrairement aux idées reçues, la libéralisation du transport par autocar serait bénéfique à l'environnement. Non seulement si l'on considère qu'un autocar remplace 30 à 40 voitures particulières, mais également s'agissant des lignes sous-fréquentées de la SNCF. Le rapport de la Cour indique : « Le gazole représente 55% de l'énergie consommée par les TER et l'électricité est en partie d'origine thermique. Or la comparaison des émissions de CO2 ou d'autres polluants par voyageur kilomètre entre les modes de transport est très sensible au taux d'occupation retenu pour chacun de ces modes.
Si l'on prend les taux moyens constatés sur les liaisons régionales, il apparaît ainsi que les émissions de CO2 par voyageur kilomètre sont plus faibles pour les autocars que pour les TER (mais plus fortes que pour les Transiliens dont le taux d'occupation est plus élevé). ».

Un combat d'arrière-garde

Une fois encore, l'analyse économique et le bon sens s'effacent devant des décisions politiques pour défendre le monopole de la SNCF. Même si l'opérateur historique a réussi jusqu'à présent à défendre son monopole sur le trafic intérieur de voyageurs, une ouverture de ce marché à moyen terme est inévitable et le transport par autocar en fait partie. Le segment du transport par autocar ne remettrait pourtant pas en cause l'existence d'un opérateur ferroviaire performant, car il ne concurrence qu'une part minoritaire de l'activité de la SNCF [5]. Mais ce type de transport pourrait utilement répondre aux attentes de publics (jeunes, retraités, etc.) pour qui cette alternative serait appréciable, tant au niveau du prix que de la flexibilité offerte. Alors pourquoi interdire un marché qui pourrait fonctionner sans subventions publiques sur un réseau déjà existant, apportant une réponse flexible et accessible aux voyageurs et qui peut se traduire par des créations d'entreprises et d'emplois ? La protection d'un monopole vaut-elle un tel renoncement ?

[1] Rapport d'Hervé Mariton n° 3363 au nom de la Commission des finances de l'AN PLF 2007, annexe 38.

[2] Et c'est également positif pour le contribuable puisque les subventions représentent deux fois les recettes pour les TER.

[3] Rapport avril 2008 Cour des comptes.

[4] Pour un réseau total de près de 30 000 km.

[5] Voir sur ce point CO2, Un Mythe planétaire de Christian Gérondeau (2009).