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Partage de la valeur ajoutée : les entreprises ne sont pas coupables

Si l'on en croit les déclarations d'Olivier Besancenot et Benoit Hamon, 10 points de PIB auraient été volés par une minorité de privilégiés à la majorité de la population ces trente dernières années. Les salaires des Français ont-ils réellement été sacrifiés au profit de la rémunération du capital ? Ce n'est pas si simple. Jean Philippe Cotis, directeur général de l'INSEE, a été chargé début février par Nicolas Sarkozy de conduire une mission d'analyse sur le partage de la valeur ajoutée. Le rapport final devrait être rendu début mai, et servira de base à une discussion entre les partenaires sociaux.

La stagnation du niveau de vie et du pouvoir d'achat est un sentiment partagé par une grande partie de la population. Mais les coupables ne sont pas les entreprises, et encore moins les actionnaires. Les travaux de l'iFRAP montrent au contraire que les véritables causes se trouvent dans la faiblesse des gains de productivité de notre économie, et dans son incapacité à créer des richesses.

Valeur ajoutée, profit, de quoi parle-t-on ?

La valeur ajoutée est la différence entre ce que l'entreprise a produit, et ses consommations intermédiaires en biens et services. La somme des valeurs ajoutées de toutes les entreprises, à laquelle on ajoute la valeur ajoutée des administrations (évaluée à son coût, à défaut de pouvoir calculer une production), constitue le Produit Intérieur Brut (PIB) de la France.
La valeur ajoutée rémunère le travail par les salaires, les créanciers par les intérêts, et l'Etat par les impôts. Ce qui reste, le profit, est dépensé en investissements pour moderniser l'outil de production, et rémunère les propriétaires de l'entreprise par le dividende.

Existe-t-il un partage optimal de la valeur ajoutée ?

La répartition de la valeur ajoutée a subi des variations importantes depuis 1960, dues notamment aux effets du choc pétrolier sur l'économie. Néanmoins, les valeurs sont aujourd'hui très proches de leurs moyennes sur longue période. L'équilibre entre salaires et profits et les déterminants de ce partage sont difficiles à apprécier. En fait, la théorie économique nous enseigne que la répartition de la valeur ajoutée repose sur les fondamentaux de l'économie, et doit fluctuer autour d'une valeur d'équilibre presque immuable. En France, la valeur d'équilibre de la part salariale, soit la moyenne observée sur la période, se situerait autour de 67%.

Les coupables ne sont pas les entreprises

Source : INSEE

De 1959 à 1973, la part des salaires est demeurée relativement stable autour de 67%. Durant cette période de forte croissance, les salaires et les profits augmentaient rapidement, soutenus par des gains de productivité élevés et des investissements massifs. Les années 70 voient au contraire les profits s'effondrer, tandis que les salaires continuent d'augmenter et que l'inflation bat des records. Le partage de la valeur ajoutée s'en est trouvé profondément déformé en faveur des salariés.

La rigueur économique et l'ouverture de la France au commerce mondial de la fin des années 80 a eu pour effet de ramener le partage à un niveau proche de sa moyenne sur longue période. On note toutefois une augmentation de la part de l'Etat à travers les impôts, qui passent de 5% de la valeur ajoutée en 1972 à près de 10% en 2007. Le partage de la valeur ajoutée s'est stabilisé depuis 1987. La part des salaires dans la valeur ajoutée représente aujourd'hui 65% environ, et celle des profits 25%. Les 10% restants reviennent à l'Etat.

Les coupables ne sont pas les actionnaires

Source : INSEE

Pour qu'une entreprise soit capable de produire des biens et des services, il faut en premier lieu qu'elle dispose de capitaux. Ces fonds sont apportés par les actionnaires, les propriétaires de l'entreprise. Leur unique rémunération est le dividende, si tant est que l'entreprise puisse se permettre d'en distribuer. Le dividende est la contrepartie du risque pris par les actionnaires sur leurs fonds propres. Par conséquent, son évolution ne doit pas être appréciée en proportion de la valeur ajoutée, mais en proportion de la quantité de capitaux apportés. Le graphique, qui débute en 1981, témoigne de la baisse continue de la rentabilité pour les actionnaires depuis 25 ans. Elle s'établit en moyenne à moins de 4%, soit guère plus qu'un contrat d'assurance vie classique qui ne comporte aucun risque. Les actionnaires ne peuvent donc pas non plus être considérés comme les coupables du « hold-up » dénoncé par Benoit Hamon et Olivier Besancenot. Ils ont vu fondre la rémunération de leurs apports en capital. Alors, à quoi peut-on attribuer le sentiment général de baisse du pouvoir d'achat et de stagnation du niveau de vie ?

Les véritables causes se trouvent dans les faiblesses structurelles de l'économie française

Source : OCDE

Les salaires réels n'augmentent que très faiblement en France depuis une vingtaine d'années. Cela s'explique par le déclin du poids de l'industrie dans l'économie, et par le faible développement de secteurs à fort contenu technologique. Seuls les gains de productivité permettent d'augmenter les salaires. Or depuis 1990, ils sont beaucoup plus faibles en France qu'en Allemagne, en Angleterre ou aux Etats-Unis. L'essentiel des créations d'emploi en France se fait dans des secteurs qui génèrent peu de richesses (services à la personne, distribution). Ces services peu qualifiés créent un certain nombre d'emplois, mais sont le plus souvent peu productifs et mal rémunérés. D'autres secteurs de l'économie doivent au préalable produire des richesses, qui seront elles-mêmes dépensées en services. Cela n'est possible que dans les pays où l'effort d'innovation est une priorité. La France investit insuffisamment dans l'éducation et la recherche, et c'est pourquoi elle dépose peu de brevets. Le retard est énorme, et sera vraisemblablement difficile à combler.

Dépenses publiques dans l'enseignement supérieur par étudiant (USD)Dépenses de R&D
(% PIB)
Nombre de brevets triadiques [1] par million d'habitants
Japon 12 326 3,39 111,35
Etats Unis 24 370 2,68 53,91
Allemagne 12 446 2,53 74,86
France 10 995 2,08 39,86
source OCDE

Ne pas céder à la tentation

Le taux de profit des entreprises françaises est déjà extrêmement faible, de l'ordre de 10 points inférieur à la moyenne de la zone euro. Les dividendes ne cessent de baisser, et il est donc impossible d'attribuer une plus grande part des profits aux salariés. La part revenant aux actionnaires serait alors si faible qu'il n'en resterait plus aucun prêt à investir ses deniers. Evitons à tout prix de prendre des dispositions à la hâte qui pénaliseraient encore plus nos entreprises et notre économie. Le partage de la valeur ajoutée ne se décrète pas. Pas plus que la croissance du PIB ou la hausse des salaires. Pour améliorer durablement le niveau de vie, la solution passe par des réformes structurelles en faveur du travail et de l'innovation.

[1] brevets déposés à la fois aux Etats-Unis, en Europe et au Japon