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Michelin : Crise ou mondialisation ?

Michel Rollier, le patron de Michelin qui vient d'annoncer une réorganisation coûteuse en pertes d'emplois, a le mérite de dire clairement les choses. "Ce n'est pas la crise, c'est notre souci de renforcer la productivité et l'efficacité de nos usines pour qu'elles fassent face à l'avenir", a-t-il dit pour expliquer cette restructuration. Et il ajoute qu'il s'agit d'une « décision stratégique qui a pour unique but de garder en France une base industrielle forte ».
Dans le même temps, Michel Rollier reconnaît que la crise est « extrêmement violente », et s'est traduite par une chute d'activité de 25% au premier trimestre, voire 80% pour certains clients. Michel Rollier est probablement le seul des grands patrons à s'être ainsi exprimé aussi nettement.

Qu'est-ce à dire ?

Des restructurations par effet d'« Aubaine » ou par nécessité ?

Les syndicats reprennent leur accusation habituelle : la crise crée pour les entreprises un « effet d'aubaine » qui leur permet d'en profiter pour se livrer à des restructurations (sous-entendu honteuses). La déclaration de Michel Rollier donne donc apparemment du grain à moudre aux syndicats. Mais au fond, tout le monde dit la même chose, excepté que le terme d'aubaine est parfaitement mal venu, alors qu'il s'agit de tirer les conséquences d'un effet de nécessité que la crise n'a fait qu'aggraver.

Autrement dit, ce n'est pas une nouveauté si les sites français de production de Michelin souffrent d'un manque de compétitivité, et si par exemple l'usine de Noyelles-lès-Seclin est trop petite pour faire face à la concurrence, comme l'indique le patron du groupe. L'usine de Clermont faisait travailler 30.000 salariés en 1982, ils ne sont plus maintenant que 12.000. En 1998 Michelin était établi sur 24 sites en France, il n'y en a plus que la moitié dix ans plus tard. La tendance est ancienne et lourde.

Crise ET mondialisation

Le besoin de compétitivité traduit l'effet d'une concurrence accrue du fait de la mondialisation, ce qui n'a rien à voir avec la crise. Mais celle-ci précipite des évolutions par ailleurs inéluctables. Alors, crise ou mondialisation ? Les deux à la fois. Il y a en réalité plusieurs origines à une crise comme celle qui frappe l'automobile, et par voie de conséquence le marché du pneumatique. Lorsque ce marché se redressera, les causes structurelles demeureront si on n'y a pas porté remède comme tente de le faire Michelin en annonçant ses restructurations. La colère de Martine Aubry ( Noyelles est une ville du Nord) ou les préoccupations affirmées par le gouvernement n'y changeront rien.

Une autre évolution explique aussi les problèmes de compétitivité rencontrés par l'industrie française. C'est celle de la baisse continue des gains de productivité horaire. Le mois dernier, l'INSEE a mis à jour son tableau statistique de ces gains, qu'elle tient depuis 1950. Depuis 1970 où, pour l'ensemble des secteurs, le gain a atteint 9%, celui-ci n'a cessé de baisser en tendance moyenne, jusqu'à se limiter à 2% ces dernières années, pour devenir même nul en 2007 par rapport à 2006. On ne saurait oublier cette autre tendance lourde lorsque l'on parle de la compétitivité des pays développés.

Les remèdes ?

Michelin est l'un de nos champions mondiaux, et il le doit précisément… à la mondialisation, qui lui a permis de s'implanter toujours plus à l'étranger. S'indigner des restructurations inéluctables est vain ; on ne saurait non plus faire de procès à Michelin en stigmatisant des délocalisations de sa part, car pour vendre sur les marchés étrangers il faut y être implanté, et donc s'y « localiser ». C'est le prix que doivent payer les champions. Pour ses activités en France, Michelin va accompagner ses restructurations par au moins 150 millions d'euros d'investissements, afin d'y maintenir une base industrielle. Peut-il mieux faire ?

Si donc nous voulons maintenir l'emploi en France, ce n'est pas en rendant impossibles les restructurations, c'est en trouvant d'autres marchés et en développant, mieux en inventant des secteurs nouveaux où les problèmes de productivité ne se poseraient pas, ou de manière atténuée. La presse titrait cette semaine sur 600.000 emplois à créer dans l'économie dite durable. C'est par là notamment qu'il faut regarder.