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Manuel Valls est-il prêt à « réinventer » le modèle social ?

Le Premier ministre s'est plusieurs fois exprimé sur le sujet du modèle social. Son discours de politique générale du 16 septembre est un hommage, vibrant et très appuyé, au modèle social tel qu'hérité de « deux siècles de conquêtes sociales ». Mais, le lendemain, s'exprimant dans l'émission matinale « interactive » de France Inter, il affirme que notre modèle social doit être réinventé « car nous vivons au-dessus de nos moyens depuis 40 ans ». Qu'en est-il de ses intentions véritables, au moment où les seuls signes tangibles des réformes dans ce domaine consistent à augmenter la redistribution sociale par des recettes qui creusent autant de trous dans le budget de l'Etat ? Alors qu'on attend le verdict de Moody's sur la note de la France, ce n'est certainement pas ici que se dégage le « cap » que le Premier ministre se glorifie d'avoir défini.

Voici quelques extraits du discours du 16 septembre :

« Oui nous réformons, et nous allons continuer à le faire.

Mais réformer, ce n'est pas casser. Réformer, ce n'est pas régresser.

Et comme je l'ai déjà dit, il n'y aura pas de remise en cause des 35 heures ni de la durée légale du travail.

Réformer, ce n'est pas réduire le SMIC.

Réformer, ce n'est pas supprimer le CDI.

Réformer, ce n'est pas diminuer les salaires dans la fonction publique.

Réformer, ce n'est pas casser notre modèle social.

Réformer, c'est affirmer des priorités en refusant l'austérité ».

Et, en résumé : «  Au fond, la seule question qui doit nous occuper, c'est mener les réformes indispensables, avec courage, mais sans remettre en cause notre modèle social. Ce modèle auquel je suis attaché, auquel les Français sont attachés, et qui est même une part de notre identité, l'héritage de deux siècles de conquêtes sociales. Ce modèle, il faut l'adapter, le réinventer, mais il n'a pas vécu, il n'est pas dépassé. Il est au coeur de notre pacte républicain ».

Mis à part l'invite faite aux partenaires sociaux de négocier sur le travail le dimanche et les seuils sociaux ainsi que très vaguement la relance de l'apprentissage et très restrictivement le suivi des chômeurs, sujets d'ampleur limitée au regard de l'immense chantier du modèle social, il est frappant de voir que la définition de la réforme s'exprime essentiellement par une énumération d'anaphores (l'exercice est à la mode) négatives : « réformer, ce n'est pas… ». Mais qu'est-ce alors ?

Le Premier ministre concède par ailleurs que notre modèle social doit être « adapté », voire « réinventé », mais… « il n'est pas dépassé ». Comprenne qui pourra cette subtilité, surtout quand le lendemain à la radio, le même Manuel Valls reprend le thème de la réinvention nécessaire du modèle social, justifiée par le fait que « nous vivons au-dessus de nos moyens depuis 40 ans ». Mais c'est tout autre chose ! Renverser 40 ans de pratiques, nous applaudissons à l'expression de cette nécessité, mais, bien entendu, cela signifie s'attaquer, non pas à l'interdiction du travail le dimanche ou aux seuils sociaux (ce qui présente l'avantage de ne rien coûter à l'Etat), mais bien aux dépenses publiques. Et là, silence total.

Le Premier ministre ne s'attaque pas aux 40 ans de pratiques par lesquelles nous vivons « au-dessus de nos moyens », bien au contraire, il les multiplie.

Dans une autre longue anaphore de son discours, Manuel Valls se défend de pratiquer l'austérité, en énumérant les mesures prises pour augmenter la redistribution sociale :

« Quand nous préservons le budget de la culture pour la création et le spectacle vivant, nous ne faisons pas de l'austérité.

Quand nous augmentons le RSA de 10% et que nous lançons un grand plan de lutte contre la pauvreté [comprenant la hausse très importante du plafond de la CMUC, NDLR], nous ne faisons pas de l'austérité.

Quand nous créons les emplois d'avenir et une « garantie jeunes » pour aider à débuter dans la vie, nous ne faisons pas de l'austérité.

Quand nous augmentons l'allocation de rentrée scolaire et les bourses pour les étudiants, nous ne faisons pas de l'austérité.

Quand nous permettons à 150.000 personnes depuis 2012 de partir à la retraite dès 60 ans, nous ne faisons pas de l'austérité.

Quand – et je vous l'annonce aujourd'hui – nous revalorisons le minimum vieillesse à 800 euros, et quand, de plus, nous verserons aux retraités qui perçoivent moins de 1.200 euros par mois une prime exceptionnelle, malgré la faible inflation, nous ne faisons pas de l'austérité ».

Bien sûr il s'agit de protéger les plus faibles, comme le dit Manuel Valls, qui suit la politique menée depuis 40 ans, et notamment par le gouvernement précédent (hausse du smic, de l'AAH, etc.). Mais à quel discours se fier ?

A quoi il faut maintenant ajouter la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu, dont le résultat serait (d'après le secrétaire d'Etat au budget Christian Eckert) d'annuler l'impôt pour 3 millions de foyers fiscaux ou de le faire baisser pour 6 autres millions (sur un total de 37 millions de foyers fiscaux), et semble-t-il de faire tomber encore plus, de 48,5% à 47% le nombre de foyers payant l'impôt sur le revenu.

En dehors du fait qu'il est très déresponsabilisant et contestable de concentrer le paiement de l'impôt sur le revenu, symbole de la solidarité nationale, sur une minorité toujours plus resserrée de contribuables, voici encore deux citations de Manuel Valls au cours de l'émission radio rappelée plus haut :

« Nous avons atteint un niveau de prélèvements obligatoires qui est insupportable…

La redistribution par l'impôt a créé les conditions d'un blocage de nos compatriotes vis-à-vis de l'impôt »

Mais que fait donc le Premier ministre sinon d'augmenter la « redistribution par l'impôt » et donc le « blocage » de la société ? Et lorsqu'il croit devoir dire que la réforme sera « neutre » pour les contribuables qui ne seront pas bénéficiaires de la baisse des impôts, cette affirmation n'est qu'un artifice puisque la perte de 3,3 milliards d'euros des recettes perçues des bénéficiaires ne pourra être financée que par la dette, laquelle devra toujours être prise en charge par les contribuables (ceux qui paient des impôts).

En résumé, pour que les Français cessent de vivre « au-dessus de leurs moyens », faut-il « casser » le modèle social, ou seulement le « réinventer » ? A voir les mesures sociales égrenées par le Premier ministre, on a bien l'impression que le fait même de ne pas les multiplier, signifierait pour lui « casser » le modèle en question, autrement dit envisager l'impossible sous un gouvernement tel que le sien.

Autrement dit, nous continuerons à vivre au-dessus de nos moyens, et ce seront les contribuables (ceux qui paient l'impôt) qui en supporteront les conséquences. Alors que le président de la République a annoncé lors de sa conférence de presse que "la France ne fera pas davantage que 50 milliards d'euros d'économies", tout laisse à penser que nous n'aurons pas de sitôt la réponse à ce dilemme.