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"Ma santé 2022" : 54 mesures en attente de leviers

Comme Emmanuel Macron l’a annoncé, le plan "Ma santé 2022" vise l’ensemble du système de santé, et en couvre effectivement une grande partie : de la médecine de ville aux hôpitaux, des études médicales aux secondes parties de carrières des professionnels de santé, de la prévention aux soins d’urgences.

Sur le constat et les objectifs, les annonces sont conformes au consensus : pour les patients, il faut améliorer l’accessibilité et la qualité, pour les professionnels il faut rénover leurs pratiques médicales et leur rendre leur fierté, le tout à coût constant. Mais le diagnostic n'allant pas jusqu'aux racines des dysfonctionnemnts, la réforme n’active pas les leviers nécessaires ; ceux qui rendraient notre système de santé capable de résoudre les problèmes accumulés, mais aussi de s’adapter par lui-même aux besoins et évolutions inconnus des 50 ans à venir. 

Sur le plan financier, Emmanuel Macron. a annoncé une augmentation des dépenses de santé (ONDAM) de 2,3 à 2,5%. Une démission choquante, son discours ayant commencé par l'affirmation que la France dépense déjà assez pour la santé, et plus que les pays comparables. Créer un déficit supplémentaire de 400 millions d'euros par an quand la dette sociale se monte à 140 miliards d'euros, envoie un très mauvais signal aux Français, à nos partenaires et à Bruxelles.  

Sur la plupart des objectifs, la direction est positive, et des réformes règlementaires importantes vont pouvoir être appliquées. C’est le cas par exemple pour le processus de sélection progressive des étudiants en médecine, la réforme des études de santé, la fusion des numéros et des centres d’appel d’urgence (15, 18 et 112), la nomination de plus de médecins aux postes de directeurs d’hôpitaux, la fusion Aide complémentaire santé-CMU-C, la baisse de remboursement des médicaments princeps disponibles en génériques et l’alignement du mode de paiement des soins aux gardes libérales sur celui aux urgences des hôpitaux. 

Pour les très nombreux autres sujets plus complexes, où les solutions restent à découvrir et impliquent de nombreux acteurs, Emmanuel Macron et Agnès Buzyn ont prévu de la concertation. Une méthode souhaitable, mais insuffisante. Le Médecin traitant, la Tarification à l’activité (T2A) ou le Dossier médical informatisé personnel sont des exemples de réformes, excellentes en principe et longuement concertées, mais qui, quinze ans après, n’ont pas produit les effets escomptés. Faute d’avoir mis en place des mécanismes de motivation (intérêt du travail, reconnaissance en visibilité ou financière), de responsabilisation, de devoir et de pouvoirs suffisamment forts et bien ajustés pour que ces réformes réussissent. 

Parmi les 54 sujets abordés par le plan 2022, au moins 17 sont des objectifs ou des réformes majeures complexes[2]. Pour chacun se pose la question de son contenu, mais surtout des quelques leviers à activer pour qu’ils réussissent vraiment.  

Plan santé 2018 : objectifs et réformes

  1. Permanence des soins libéraux
  1. Paiement T2A à la séquence de soins
  1. Mesure de la Qualité
  1. Cabinet de groupe de médecins et de professionnels de santé
  1. Coopération entre professionnels de santé locaux
  1. Outils de partage des informations entre soignants
  1. 4.000 Assistants aux médecins libéraux
  1. 400 médecins hospitaliers salariés dans les déserts médicaux
  1. Dossier électronique médical personnel++
  1. Structuration de l’offre de soins en 3 niveaux d’établissements
  1. Partage des tâches entre médecins-autres professions libérales
  1. Coopération public-privé
  1. Télémédecine
  1. Utilisation des données médicales massives
  1. Rôle des directeurs et des médecins des hôpitaux
  1. Utilisation des nouvelles technologies
  1. Prévention
 

Identifier la racine des problèmes

Les dysfonctionnements que ce plan sont destinées à corriger sont multiples : 30% d’actes inutiles ou nuisibles, maintien en activité de services hospitaliers dangereux ou trop coûteux, reluctance à s''installer des jeunes médecins, retard dans le déploiement du dossier médical, de la télémédecine et des nouvelles technologies, déserts médicaux, dérives de la T2A, faiblesse de la prévention… Au delà du constat, c'est en recherchant les quelques causes de fond de ces problèmes qu'il sera possible de les traiter. Le cas de la chirurgie ambulatoire permet d'en identifier la plupart.

Le cas de la chirurgie ambulatoire

La France a pris un retard de 15 à 20 ans dans le domaine de la chirurgie ambulatoire. Cette méthode réduit pourtant fortement la charge de travail à l’hôpital, donc les coûts. Et elle est, le plus souvent, positive pour le malade moins perturbé par son séjour à l’hôpital et moins exposé aux maladies nosocomiales. Alors pourquoi ce retard, notamment dans les hôpitaux publics ?

Quatre parties prenantes auraient dû ou pu exiger que cette nouvelle pratique se répande rapidement:

  • Les assurés et les malades : de façon générale, la santé est un domaine où la disymétrie d'information est considérable entre le client et les fournisseurs. Une impossibilité d'agir renforcée par le blocage qui existe en France sur les données de santé. 
  • Les payeurs : cette méthode d’organisation des soins étant connue et moins coûteuse, le payeur central, la CNAM, aurait logiquement dû favoriser les établissements pratiquant cette méthode, puis refuser de payer les séjours qui n’étaient pas justifiés. Mais la CNAM, et les responsables politiques nationaux et locaux étaient très réticents à mettre en question leurs hôpitaux et leurs collègues.

Les mutuelles et assureurs complémentaires en santé étaient certainement au courant des avantages de la chirurgie ambulatoire, mais n’ayant aucun moyen d'influer sur la gestion du système hospitalier, n'ont pas pu prendre d'initiatives comme ils ont commencé à le faire dans l'optique, le dentaire ou l'audiologie. 

  • Les fournisssurs de soins : des professionnels de santé ont certainement souhaité mettre en oeuvre cette méthode qu'ils voyaient pratiquer à l'étranger avec succès. Mais la chirurgie ambulatoire nécessite une réorganisation profonde des hôpitaux[1], donc des réaffectations de ressources, des changements dans le travail de nombreux personnels et des suppressions de postes. Des difficultés que les directions administratives et médicales des hôpitaux n’avaient aucune envie d'affronter tant qu'ils n'y étaient pas incités puis contraints.
  • Les Régulateurs : constatant le retard pris, les régulateurs publics du système (Ministère, HAS, Parlementaires...) auraient dû intervenir depuis logtemps. Mais comme la CNAM, leurs liens avec les hôpitaux publics les ont dissuadés d'intevenitr. 

Typiquement, ce dysfonctionnement structurel résulte de quatre causes générales :

  • Payeur passif ;
  • Régulateur en connivence ;
  • Absence d’évaluation de la performance (qualité et coût) ;
  • Absence d’ouverture des données médicales ;
  • Faiblesse de la gestion des hôpitaux.  

Si les cliniques privées ont été en avance dans cette pratique, c'est parce que les cliniques et leurs médecins (chirurgiens, anesthésistes) avaient deux motivations à agir : 1) le confort des malades et la qualité médicale des résultats, et 2)  leurs intérêts à utiliser au mieux les capacités humaines et logistiques de leurs établissements. Sans levier, rien de bouge.  

Autre cas:  la Tarification à l’activité (T2A) dans les hôpitaux, ou le paiement à l’acte dans la médecine libérale. Ils sont accusés, à juste titre, d'inciter les professionnels à surcoter les soins effectués et à en réaliser d'inutiles. En réalité, ce n’est pas la T2A ou le paiement à l’acte qu'il faut incriminer, mais la cause de fond, l’absence de mesures de la pertinence et de la qualité des soins effectués. Que ce soit chez le garagiste, à l’hôpital ou chez le médecin libéral, aucun mode de paiement ne peut être efficace sans évaluation de l'utilité des actes et de la qualité des résultats.   

Conclusion

Malgré la volonté évidente des responsables politiques qui se sont exprimés (Emmanuel Macron et Agnès Buzyn), l'activation d'aucun des leviers nécessaires pour faire progresser notre système de santé n'a encore été annoncé. Comme en médecine, une ordonnance de 54 médicaments ou traitements n'est pas souhaiatble. La Fondation iFRAP a identifié 7 propositions nécessaires pour atteindre les objectifs du plan "Ma santé 2022" et ceux des 50 ans à venir. Elles sont déjà largement en place en Allemagne ou aux Pays-Bas, des pays où le système de santé n'est pas perpétuellement en crise comme en France.  

Levier

Annonce
gouvernementale

Proposition iFRAP

Statut de la fonction
publique hospitalière

Non

Suppression

Autonomie et responsabilité
des hôpitaux

Non

Autonomie

Possibilité de gestion déléguée

Management des hôpitaux

Floue

Renforcement de la direction

Contrats Professions libérales médicales – État - Payeurs

Floue

Diversité

Évaluation de la qualité

Floue

Ouverture des données médicales

Publication des analyses

Monopole du payeur public

Non

Diversité des assureurs au premier euro

Liaisons Ministère, Régulateur
et Hôpitaux publics

Non

Séparation Hôpitaux / État

 

[1] Et des soins de ville

[2] Faisant en général consensus, mise à part : 1) le déploiement de 400 médecins hospitaliers salariés, renforçant une concurrence biaisée avec les médecins libéraux et une tendance à la complète fonctionnarisation des médecins libéraux, et 2) les 4.000 assiatants si leur rôle devait être fixé par la CNAM ou le ministère et s'ils devaient être payés directement par la CNAM, allant à l'encontre du besoin en professionnels de santé entrepreneurs capables de gérer des équiques.