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Licenciements économiques : quand la Justice ubuesque se déchaîne

Le cas de l'entreprise Olympia

Depuis plusieurs années on entend parler dans les médias de sociétés françaises décidant de procéder à des licenciements économiques, et proposant des reclassements dans des filiales situées dans des pays « exotiques » à des conditions indécentes. Les salaires mensuels proposés sont par exemple de 59 euros pour aller travailler en Inde ou 110 euros (un dixième du Smic) en Roumanie. Chaque fois, bien entendu, la presse, notamment locale, s'empare de ces cas et cloue au pilori la malheureuse entreprise qui a beaucoup de mal à rester crédible en rétorquant que sa proposition est la conséquence d'une obligation légale.

De fait, l'administration est venue (Instruction DGEFP [1] du 23 janvier 2006) au secours des entreprises en évitant de les contraindre à faire ces propositions ridicules ou indécentes : son argument est que les propositions doivent, pour être « sérieuses », rester en adéquation « avec les attentes légitimes des salariés en application du principe fondamental de l'exécution de bonne foi des obligations contractuelles ». Cela évite effectivement aux entreprises d'être clouées au pilori.

Vous estimez cela raisonnable ? Vous avez tout faux. L'entreprise Olympia vient de voir confirmer par la Cour d'appel de Reims la décision du tribunal de Troyes la condamnant à payer 2,5 millions d'euros à 47 salariés licenciés pour avoir précisément omis (semble-t-il avec l'accord du comité d'entreprise) de proposer un reclassement dans sa filiale roumaine au salaire mensuel de 110 euros. Soit presque trois années d'indemnité. La société ne pourra normalement se pourvoir en cassation qu'en exécutant préalablement sa condamnation, ce qui, dit-elle, entraînera son dépôt de bilan.

Ubu se déchaîne. Sans évoquer avec nostalgie Saint-Louis rendant la justice sous un chêne, car nous avons depuis longtemps appris à différencier justice et équité, il est détestable que les juges s'en tiennent à l'application du droit lorsque celle-ci aboutit à rendre des décisions stupides. Nos magistrats savent d'ailleurs très bien ne pas le faire en règle générale – mais ici nous sommes dans le domaine du droit du travail, et tout est différent. Le principe d'application de bonne foi des contrats n'y est en pratique jamais invoqué qu'en faveur du salarié, et l'employeur ne peut pas s'en prévaloir. Autrement dit les deux parties, n'étant pas jugées égales dans leurs relations de travail, ne sont pas davantage traitées également et suivant les mêmes principes par le juge social. Jusqu'à justifier l'absurdité de certaines décisions.

D'autre part, il est encore détestable pour la lisibilité de la règle de droit qu'une décision de justice vienne envoyer à la poubelle, d'un revers de balai, une instruction administrative sur laquelle, dans ce domaine déjà si complexe du droit du travail, les justiciables devraient pouvoir légitimement compter. Combien de Français savent que de telles instructions ne s'imposent pas au juge ?

Enfin, et c'est encore plus grave, comment les juges peuvent-ils justifier d'un préjudice égal en moyenne à presque trois années de salaire, subi par chacun des 47 salariés concernés par la mesure de licenciement du fait qu'ils n'aient pas reçu la proposition en question ? En droit français, le plus célèbre des articles du Code civil (1382) fait dépendre la réparation de la réunion d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux. Mais, ici encore, pas en droit du travail. Ou plus exactement le défaut de proposition de reclassement entraîne l'absence de cause réelle et sérieuse, laquelle est automatiquement sanctionnée par une réparation égale à un minimum de six mois de salaire.

Par quel raisonnement le juge est-il donc passé de six à trente-deux mois ?? Alors qu'au cas présent la proposition elle-même n'étant pas « sérieuse » comme le dit l'instruction administrative, elle n'aurait été acceptée par personne et donc aucun préjudice n'a été en tout état de cause encouru par les salariés. (A supposer que la proposition eût été acceptée, le salarié aurait alors pris un emploi rémunéré 110 euros par mois, et l'indemnité accordée est donc égale à… pas moins de quarante années du salaire prévu par la proposition que l'on reproche à l'employeur de ne pas avoir faite !!).

Ubu passe ici à la vitesse supérieure. Toute occasion, même s'il ne s'agit que d'une irrégularité formelle, est bonne pour faire payer encore davantage les employeurs.

[1] Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle