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L'Humanité | Quelles dépenses 
pour quel modèle social  ?

Cette tribune a été publiée dans le journal L'Humanité du 14 décembre 2012, à la veille du Forum des think tanks auquel participait la Fondation iFRAP, sur le thème : "Quelles dépenses pour quel modèle social ?".

Un bon modèle social n'hésite pas à publier ses données, notamment budgétaires

Par Agnès Verdier-Molinié, directrice de la [* Fondation iFRAP*], think tank spécialisé dans l'évaluation des politiques publiques.

Dans sa conférence de presse du 13 novembre 2012, François Hollande a eu des mots très forts : « La dépense publique atteint aujourd'hui 57% de la richesse nationale. Ce chiffre ne dira pas forcément grand-chose aux Français : 57% de la richesse nationale. C'était 52% il y a 5 ans : est-ce que l'on vit mieux pour autant ? ». La réponse est clairement non : on ne vit pas mieux et le chômage augmente. La peur du déclassement n'a jamais été si grande en France. La plaie de notre société demeure le chômage. Pour contrer le chômage et son impact, on imagine, quel que soit le gouvernement, tous les ans de nouveaux dispositifs (emplois jeunes, emplois d'avenir, contrat d'insertion avec allocation pour 100.000 jeunes…) ou de nouvelles allocations. Chaque fois, ce sont plus de dépenses publiques, plus de guichets, plus de coûts de fonctionnement, plus d'emplois publics pour gérer la complexité des dispositifs et, à terme, plus de déficit, plus de prélèvements sur les entreprises, un coût du travail plus élevé et… plus de chômage.

Nous sommes dans une spirale infernale. Chaque année, les budgétaires sont contraints d'imaginer de nouvelles hausses des prélèvements obligatoires : taxe spéciale sur les hauts revenus, taxe à 75% sur les revenus dépassant le million d'euros, augmentation du forfait social sur la participation et l'intéressement, taxe de 3% sur les dividendes, gel du barème de l'impôt sur le revenu, déplafonnement des cotisations maladie et fin de l'abattement pour frais professionnels pour les indépendants, taxation sur les résidences secondaires dans les zones tendues et, pour les entreprises : augmentation de la CET, suppression des exonérations sur les heures supplémentaires… Et la liste va continuer de croître. Tous les jours, ce sont de nouveaux projets d'augmentation des prélèvements qui voient le jour.

En 2014, en France, le taux de prélèvements obligatoires sera de 46,5%. Le paradoxe de notre modèle social ? A force de vouloir protéger tous les Français, à force de généreuses politiques publiques annoncées la main sur le cœur, nous avons laissé filer les dépenses, additionnant les strates de décisions et les financeurs. Un exemple : l'Éducation, où l'État finance les salaires des professeurs, les communes les écoles primaires, les départements les collèges et les régions les lycées, tout cela sans aucune cohérence et surtout sans aucune transparence sur les coûts et les prix payés par la collectivité, c'est-à-dire nous. On demande à nos entreprises d'être compétitives, on ne le demande pas à notre sphère publique alors même que son coût impacte la compétitivité de nos start-up, de nos TPE, de nos PME, de nos ETI… Quelles entreprises créeront les emplois de demain (qui sont le seul vrai antidote contre le chômage) si le message que l'on adresse aux inventeurs et aux créateurs d'entreprises est un message anti-entrepreneurial ? Quels seront ceux qui prendront des risques dans le seul pays d'Europe qui ne sait jamais réorganiser la production de ses services publics, les évaluer, les réformer ?

Pour le coût de production de ses services publics, la France a un écart de 3 points de PIB par rapport à la moyenne des pays de l'UE. Cet écart ne se justifie pas. Malheureusement, tous les gouvernements qui ont dit vouloir faire des économies ont en réalité augmenté les impôts sans baisser les dépenses. En la matière, le budget de l'État 2013 n'échappe pas à la règle. Alors que le gouvernement annonce 10 milliards d'euros d'économies sur les dépenses de l'État, le budget de l'État augmente entre 2012 et 2013 de 1 milliard. Même si l'on prend en compte l'évolution spontanée des dépenses, ce sont seulement 5,7 milliards d'économies que nous avons pu chiffrer à la Fondation iFRAP. Notre modèle social généreux n'implique pas forcement que les gaspillages et les doublons soient permis à tous les niveaux de la décision publique. Les Suédois l'ont compris avant nous : une bonne protection sociale est une protection bien gérée. Un bon modèle social est aussi un modèle qui n'hésite pas à publier ses données, notamment budgétaires, et qui admet qu'un service public qui coûte moins cher aux caisses publiques n'est pas forcément moins au service des citoyens. En la matière, l'opacité généralisée qui règne encore aujourd'hui sur les statistiques publiques ne tiendra pas longtemps face à la demande citoyenne légitime de transparence.

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