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L'exercice du droit de retrait dans les transports est une grève sauvage

L'arrêt de travail sauvage à la gare Saint-Lazare, suivi par la fermeture de cette gare, a frappé les esprits et provoqué l'intervention du chef de l'Etat puis du président de l'Assemblée Nationale. Ce dernier a évoqué la création d'une mission d'évaluation sur le service minimum.
Il est certain que la loi instaurant ce service minimum présente des failles que les syndicats ont mises à profit en recourant à la grève un jour sur deux ou encore d'une durée de 59 minutes, ce qui est extrêmement efficace pour désorganiser les transports et ne coûte au salarié que 10 euros, selon la publicité qu'en fait le syndicat SUD lui-même sur son site.

Code du Travail

Article L. 4131-1.
« Le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d'une telle situation.
L'employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d'une défectuosité du système de protection. »

Article L. 4131-3.
« Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie et pour la santé de chacun d'eux. »

Mais l'arrêt de travail de mardi dernier à Saint-Lazare, de même que celui de samedi à Marseille ou encore de lundi à Besançon et aussi à Melun, sont présentés par les syndicats, non pas comme des grèves, mais comme l'exercice du « droit de retrait ».
Ce droit, qui n'a juridiquement aucun rapport avec le droit de grève, est réglementé par l'article 4131 du Code du travail. Il permet au salarié de se « retirer d'une situation » (traduisez : cesser le travail) « dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ».
L'employeur ne peut demander au travailleur de reprendre son activité aussi longtemps que la situation en cause perdure, et bien entendu celle-ci ne peut donner lieu à aucune sanction ni retenue de salaire.

Introduite dans la loi pour faire face à des situations comme celle des camionneurs qui refusent de prendre le volant d'un véhicule dangereux, cette disposition est de plus en plus systématiquement invoquée dans le service public pour servir de prétexte à un arrêt de travail dans les transports, dès lors qu'intervient une agression ou une situation similaire. Or, comme l'a rappelé le président Pépy, on relève, rien qu'à la SNCF, un millier d'incidents de ce type par an. Mardi dernier, 450.000 voyageurs sont restés sur le quai pour une bagarre insignifiante survenue la veille à Maisons-Laffitte.

Jurisprudence

Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise, 16 juin 2005, Moreau
Une partie du personnel d'un lycée professionnel envoie un courrier collectif au recteur de l'académie de Versailles l'alertant sur des « faits graves et incidents propres à mettre en cause la sécurité des élèves et des personnels de l'établissement ».
Ne recevant pas de réponse, ce personnel se met en grève pendant une semaine. Le recteur estime que « les agents ayant ainsi cessé leur travail devaient être regardés comme grévistes ». Le tribunal conclut « qu'il ne ressort pas du dossier que la requérante avait, à la date du 24 janvier 2991, un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présentait un danger grave et imminent pour sa santé ou sa vie ; que dès lors, et bien que les conditions de travail au sein de l'établissement aient été dégradées, ledit recteur n'a pas commis une erreur de droit en regardant la requérante comme gréviste en procédant à une retenue de rémunération de ce fait. »

C'est un parfait exercice illégal du droit de retrait et un détournement de la loi. Il est plus qu'évident que cet incident ne saurait être invoqué par l'ensemble des conducteurs de trains de Saint-Lazare comme présentant « un danger grave et imminent pour (leur) vie ou (leur) santé ». Le droit de retrait est un droit individuel et non collectif.
De plus cet incident est invoqué le lendemain des faits, et de deux choses l'une : soit par définition l'agression de lundi ne présentait plus de danger le lendemain, soit c'est le risque que l'on prend en compte, et ce risque est tout aussi évidemment permanent.
Dans la seconde hypothèse, il sera toujours impossible de mettre fin aux agressions, et donc à la « situation de retrait » comme le veut la loi. En théorie la reprise du travail ne pourra jamais être redemandée, et les arrêts de travail peuvent se multiplier plusieurs milliers de fois par an ! La loi est invoquée complètement à tort.

Le droit de retrait est la Rolls des syndicats. Ainsi détourné de sa vocation, son exercice devient l'équivalent d'une grève, avec les trois considérables avantages pour les salariés de ne nécessiter aucun préavis, de n'entraîner aucune obligation de service minimum ni aucune retenue sur salaire. Imparable et meurtrier si on laisse faire.
Or, à l'image du secrétaire d'Etat Dominique Bussereau qui a déclaré comprendre la « colère » des conducteurs devant une agression « inacceptable et condamnable » ( ?!), paraissant ainsi légitimer le détournement de droit manifeste commis, les autorités ont depuis des années laissé s'instaurer ce détournement sans réagir. Une façon de reconnaître l'impuissance de l'Etat devant le privilège de paralysie des syndicats ?

Le problème, c'est que dans le contexte actuel de bras de fer dans le secteur des transports, cette arme du droit de retrait, dont il n'était fait jusqu'à présent qu'un usage modéré, peut devenir létale pour les transports et donc pour la France.

Il est donc nécessaire de faire cesser le détournement de la loi. Il ne sert à rien en effet de clamer que l'arrêt de travail surprise à la gare Saint-Lazare est un scandale et d'évoquer un changement de la loi sur le service minimum alors que le service minimum n'est pas applicable en cas d'exercice du droit de retrait. Plus généralement à quoi sert de légiférer si on laisse les lois existantes être détournées en toute impunité ?

Même la CGT ...

Fonction Publique, organe de l'UGFF-CGT, juin 2006 No 130
« Le droit de retrait se distingue du droit de grève en ce qu'il ne constitue pas un moyen de pression du salarié sur l'employeur. Il n'est pas un droit collectif mais un droit individuel. »

Une façon pour les pouvoirs publics de reprendre l'initiative serait de dire fermement que le droit de retrait n'étant pas justifié dans de tels cas, tout arrêt de travail sera considéré comme une grève illégale, avec pour premières conséquences retenues sur salaires et application du service minimum. Même la CGT ne peut pas dire le contraire !