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Les enseignements des derniers chiffres du chômage

La dernière publication des chiffres du chômage au troisième trimestre 2018, version Pôle emploi par opposition à la version BIT, agite les esprits et provoque des commentaires dans l’ensemble désabusés sur notre impuissance persistante à en faire baisser le taux. Il semble effectivement que nous nous trouvions sur un plateau un peu, mais très insuffisamment, déclinant. L’examen des chiffres donne-t-il des indications sur les origines du mal ?

Quels chiffres ?

Le graphique le plus parlant est celui publié par Pôle emploi :

Source : http://statistiques.pole-emploi.org/stmt/publication, le tableau des deux courbes 96/2018.

L’examen des données détaillées[1] permet de faire les remarques suivantes :

  • Comme l’indique Pôle emploi, les chiffres du troisième trimestre de la catégorie A (aucun travail) sont en légère augmentation (0,5%, soit 16.300 demandeurs d’emploi) par rapport à ceux du deuxième trimestre. La portée de cette remarque est cependant bien faible. Tout d’abord, les chiffres sont en diminution de 1,2% sur une année. D’autre part, les calculs de Pôle emploi sont effectués à partir des chiffres de la moyenne du trimestre et non de la situation à la fin du trimestre, qui, eux, sont en diminution de 21.000 demandeurs d’un trimestre sur l’autre. D’autre part, les chiffres du troisième trimestre, qui concernent la période estivale, sont régulièrement supérieurs à ceux du deuxième trimestre : il en a été ainsi en 2017, 2015, 2014, etc. La comparaison des deux trimestres en question n’a donc que peu de signification.
  • Les catégories B et C (travail partiel) sont en revanche en forte augmentation constante, et ce depuis 2009, comme le montre le graphique ci-dessus. Les deux dernières années depuis 2016 montrent clairement une évolution inverse des catégories A d’un côté et des catégories B et C de l’autre. Les statistiques ne permettent pas de déterminer à quel point il y a transfert des chômeurs de la catégorie A vers ceux des catégories B et C.
  • Les chômeurs des catégories D (formation) et E (contrats aidés) sont, sur une année, en forte diminution, surtout ceux de la catégorie E, ce qui n’est pas surprenant ; sur un trimestre ceux de la catégorie D sont en augmentation comme on peut aussi s’y attendre.
  • Au total sur les 5 catégories, compte tenu de ces évolutions diversifiées, on observe une stagnation sur le moyen terme du nombre d’inscrits à Pôle emploi (6.296.600 en septembre 2018).
  • L’époque moderne se caractérise par une forte augmentation des chômeurs de longue durée (1 an et plus) : de 35,8% en 1996 à 46,8% en 2018…
  • …ainsi que des chômeurs de plus de 50 ans, dont le nombre a été multiplié par 2,54 en catégorie A depuis 1996, alors que celui des 25-49 ans baissait de 3% dans le même temps (respectivement multiplication de 3,50 et 1,37 pour le total des catégories A, B et C). Cette évolution, particulièrement perceptible à partir de 2012, peut s’expliquer par le recul de l’âge de la retraite, mais aussi par d’autres causes, dont l’évolution de plus en plus rapide des qualifications requises.
  • En ce qui concerne les catégories de travailleurs, on remarque une très nette évolution contraire des chômeurs suivant qu’ils sont ouvriers ou employés, aggravée par l’absence de qualification. C’est ainsi que les effectifs des ouvriers qualifiés au chômage baissent de 665.000 à 592.000 entre 1996 et 2018, pendant que ceux des employés non qualifiés progressent de 693.000 à 1.168.000. Même constatation concernant les entrées :  elles baissent de 86.000 à 41.000 pour les ouvriers qualifiés, et progressent au contraire de 80.000 à 106.000 pour les employés non qualifiés. Il faut évidemment pondérer cela par le chiffre total de la population de ces catégories, mais il ne semble pas que la désindustrialisation de la France pendant la période se soit traduite par une augmentation du chômage des ouvriers.
  • Enfin, en ce qui concerne la formation d’origine des chômeurs, on ne constate pas de différence nette d’évolution dans le temps suivant les niveaux d’instruction, sauf peut-être pour la catégorie la moins instruite, mais évidemment c’est le taux de chômage par rapport à la population concernée qu’il faudrait connaître avant tout. Il est quand même intéressant de voir que le niveau d’instruction ne paraît pas plus jouer sur l’emploi maintenant qu’en 1996.

En résumé, le chômage est un phénomène au mieux stagnant en France, avec une tendance inversée entre les travailleurs à plein temps et ceux à temps partiel, plus concernés. Il touche d’autre part nettement plus les plus de 50 ans et surtout les chômeurs de longue durée.

Quels enseignements ?

On constate donc sur le long terme une forte augmentation des chômeurs de longue durée, ainsi que de ceux de plus de 50 ans, alors que par opposition il y a moins de chômeurs de catégorie A entre 25 et 49 ans en 2018 qu’il y en avait en 1996 alors que dans le même temps le nombre de chômeurs des catégories A, B et C a augmenté de 1,9 million. Il est aussi à noter que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, la catégorie des chômeurs de moins de 25 ans a considérablement diminué entre 1996 et 2018 : moins 29% pour la catégorie A et moins 8% pour les catégories A, B et C.

La conclusion qu’on en retient généralement est l’existence, spécifique à la France, de deux populations, celle des « « insiders » et celle des « outsiders », cette dernière étant composée de chômeurs éloignés du travail, surtout âgés de 50 ans et plus, qui parviennent d’autant moins à retrouver du travail qu’ils sont chômeurs de longue durée. Les outsiders sont aussi surtout des employés non qualifiés. Ces constatations amènent à corriger des conclusions souvent tirées sur le chômage des jeunes, plus contenu qu’on ne le pense et pas nécessairement lié à un défaut d’instruction primaire et secondaire. Idem pour le chômage des ouvriers – mais il peut y avoir plusieurs causes à cela.

Quels enseignements en tirer sur les réformes à engager pour faire baisser ce chômage endémique, généralement qualifié de structurel par opposition à conjoncturel ?

La doxa actuelle, celle qui est politiquement correcte, est tournée vers l’amélioration de la formation. C’est certainement un point fondamental. Mais on aurait tort à notre sens d’y voir le seul remède et de croire que l’insuffisance de qualification suffit à expliquer la montée du chômage. Comme on l’a vu plus haut, les statistiques ne paraissent pas montrer que le niveau d’instruction soit un facteur essentiel du chômage. Améliorer la formation est aussi une solution dont l’effet mettra du temps à se concrétiser.

Beaucoup d’autres causes se conjuguent pour éloigner du travail. Il y a l’absence de mobilité, à la fois dans la nature du travail et géographiquement sur le territoire, en rapport notamment avec les difficultés et le coût des déménagements. Il y a des défauts dans le système de traitement social du chômage, que ce soit dans l’assurance chômage (modalités d’indemnisation, permittence) aussi bien que dans la construction des aides sociales où l’incitation à travailler est insuffisante et mal conçue (effets de seuil des aides par comparaison au non travail).

Il y a enfin le lancinant problème de l’absence de compétitivité des bas salaires, que la baisse et même la suppression des cotisations patronales ne parvient pas à régler. Tous les pays étrangers qui ont réussi à baisser le chômage des non qualifiés ont instauré des contrats de travail non soumis au salaire minimum mais bénéficiant d’aides publiques venant en complément du salaire versé par l’employeur. Cette solution est d’autant plus nécessaire que notre Smic sur base 35 heures est le plus élevé de tous les salaires minima et le plus rigide. La prime d’activité va dans le bon sens mais est insuffisante à la fois pour l’employeur (car elle s’ajoute au Smic), et pour le salarié (par rapport aux aides accordées aux non travailleurs en raison des effets de seuil évoqués ci-dessus).

De vigoureuses réformes sont donc encore nécessaires pour lutter contre ce chômage généralisé dont on ne verra pas la fin si elles ne sont pas engagées.


[1] Il s’agit des données CVS/CJO, corrigées des variations saisonnières et jours ouvrés.