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Les aides au logement à bout de souffle

Bien que le rapport du groupe de travail présidé par François Pupponi n’ait pas encore été publié sur le site de l’Assemblée nationale, les principales conclusions ont déjà été largement débattues dans la presse. L’audition du député devant la commission des Affaires économiques permet de refaire le point sur ce dispositif qui a sensiblement progressé en cinq ans passant de 15,9 à 17,8 milliards en 2014 soit 2% d’augmentation par an. Ce rapport devrait permettre de mettre à jour des données parues dans des précédentes études de l’IGAS, de l’IGA ou de l’IGF, mais il met surtout à jour un système à bout de souffle de l’aveu de M. Pupponi.

Les aides personnelles au logement

En 2014, les APL représentent près de 18 milliards d’euros distribués à 6,5 millions de bénéficiaires, soit un locataire sur deux. Le dispositif est financé pour 12 milliards sur le budget de l’État et pour le reste par un prélèvement sur la contribution 1% logement.

Les aides sont gérées et accordées par les CAF pour un coût de gestion non négligeable de 600 millions d’euros.

Cette aide est fortement redistributive si l’on en croit les chiffres du rapport, puisque 80% des bénéficiaires ont des revenus inférieurs ou égaux au SMIC ; 50% sont en dessous du seuil de pauvreté.

L’APL moyenne représente 220 euros, soit l’équivalent de 57% du loyer par l’allocataire mais il existe de très fortes disparités territoriales.

Le cas des APL-étudiants est à part : c’est en 1992 que cette aide a été inscrite dans les APL. Cette aide est accordée quel que soit le niveau de ressources des parents ce qui en fait une aide universelle. 750.000 étudiants touchent l’APL, dont seulement 32% sont boursiers. L’APL représente 1,5 milliard d’euros. Il faut rappeler que 7% des étudiants sont logés en résidences universitaires.

Les mesures préconisées par le groupe de travail :

Bien qu’il se défende d’avoir voulu rechercher des économies à l’occasion de ce groupe de travail, le député a préconisé plusieurs mesures « d’équité », selon ses termes, qui conduisent à générer plusieurs centaines de millions d’économies budgétaires. Il insiste surtout sur la nécessité de continuer son travail pour trouver des solutions au problème sous-jacent à l’inflation des APL, à savoir l’augmentation des loyers.

Parmi les mesures proposées dans cette première étape du travail figurent :

  • La prise en compte du patrimoine des bénéficiaires dans l’attribution / le calcul de l’APL. Comme pour le RSA, il est prévu de calculer un revenu fictif de 3% du patrimoine ajouté au revenu réellement perçu afin de fixer le montant de l’APL. Le député indique que des cas de bénéficiaires disposant d’une ou deux résidences secondaires lui ont été rapportés et qu’il n’est pas anormal de prendre en considération ces situations. Les économies attendues seraient de l’ordre de 150/200 millions d’euros ;
  • Le coût de gestion de 600 millions d’euros des CAF est aussi une source possible d’économies : actuellement la mise à jour du montant des APL est faite au plus près de la situation des bénéficiaires, ce qui signifie qu’à chaque changement de situation (perte ou reprise d’emploi par exemple), l’APL est recalculée, ce qui est très lourd, sachant que la formule de calcul est assez sophistiquée (voir la notice de 108 pages sur le site du gouvernement intitulé Éléments de calcul des aides personnelles au logement : ici). Le groupe de travail propose de faire comme pour le RSA, c’est-à-dire de figer les conditions d’attribution pour 3 mois/6 mois ce qui permettrait d’alléger le travail des CAF et donc le coût de gestion. Il est certain en revanche qu’avec cette méthode il y aura des gagnants et des perdants ;
  • Enfin le groupe de travail propose de revenir sur la mesure votée dans le PLF 2015 qui elle-même prévoyait de mettre fin au dispositif de l’APL-accession. Selon le député, cette vision relève de la fausse bonne idée pour faire des économies. Si l’APL-accession représente 900 millions d’euros elle permet à des locataires (bénéficiaires de l’APL) d’être aidés dans l’acquisition de leur logement (et donc de ne plus toucher d’APL). De plus, selon le député, si cette mesure devait être supprimée, le nombre d’accessions devrait forcément baisser. Il s’agirait de 12.000 à 15.000 ventes qui seraient annulées soit 200 à 300 millions notamment de pertes en TVA, sans compter les pertes en DMTO ;
  • Enfin concernant l’APL-étudiante, le groupe de travail ne propose pas la suppression du cumul APL et ½ part fiscale supplémentaire comme suggérée dans les rapports d’inspection, mais propose de retenir pour l’APL-étudiante les mêmes critères que pour les bourses, ce qui devrait permettre de générer 150 à 200 millions d’euros d’économies. Sur ce sujet encore, le député souligne qu’il souhaite poursuivre sa réflexion car il lui semble plus utile de transférer les fonds aujourd’hui utilisés à l’APL-étudiante pour la construction de résidences universitaires, ce qui devrait à terme faire baisser le budget général des APL.

Il ne s’agit là - rappelons-le - que des principales mesures, le rapport dans son ensemble n’étant toujours pas disponible sur internet.

Les questionnements de fond posés par ce rapport

Dans les débats qui ont suivi la présentation du rapport comme dans la littérature sur le sujet, les APL posent plusieurs questions :

Effet inflationniste

Dans une étude parue en 2005 (Gabrielle Flack), il avait été démontré que 80% de l’augmentation de l’APL accordée aux étudiants avaient été captés par les propriétaires. C’est un point sur lequel les critiques sont récurrentes : lorsque le propriétaire sait que le locataire peut bénéficier de l’APL il augmente le loyer d’autant. Les APL ont un effet inflationniste sur les loyers.

Ce point a largement été débattu pendant l’audition : le député François Pupponi qui est aussi président de l’ANRU a soulevé cette question, en indiquant que ce qui était vrai pour les étudiants l’était aussi pour les locataires du secteur libre et même dans certains cas du secteur social (à l’occasion d’un changement de locataire, les bailleurs sociaux relevant le loyer sur le loyer plafond). Dans le secteur social d'ailleurs, l'APL est perçue directement par les organismes HLM, et représente un tiers des loyers perçus. Il s’est demandé si la politique de rénovation de l’ANRU n’avait pas eu le même effet et s’est déclaré intéressé pour qu’au sein de l’ANRU, on puisse baisser les loyers de sortie, éventuellement en transférant des aides à la personne aux aides à la pierre, pour y parvenir. D’autres députés ont temporisé cette position considérant que l’effet inflationniste était certainement vrai pour les petites surfaces dans les villes universitaires ou pour le logement social « de fait ».

Néanmoins ce point mérite d'être approfondi : comme l'a rappelé le député Michel Piron, les loyers sont plafonnés et l’effet inflationniste est à relativiser. Par ailleurs les observateurs ne sont pas capables de dire si cet effet est le même partout sur le territoire. Or si le débat revient régulièrement sur la crise du logement et les prix excessifs de l'immobilier c'est oublier que sur une grande partie du territoire national, les loyers du secteur HLM sont au niveau du secteur privé et qu'il n'y a pas forcément une crise de l'offre.

Enfin, le député Olivier Carré a souligné que l’augmentation des loyers est aussi liée à la réglementation excessive qui pèse sur les bailleurs (normes techniques, juridiques, environnementales). Finalement ce débat fait ressortir deux visions qui se confrontent : ceux qui pensent que c’est en développant l’offre privée ou sociale que l’on pourra faire baisser les APL, ceux qui pensent que c’est en encadrant les loyers que l’on pourra les faire baisser. Néanmoins, tous ont souligné la nécessité d’intégrer les APL-étudiantes dans le débat sur la prime d’activité qui est en train d’être mise en place.

Débat aide à la pierre ou à la personne

Ce débat aide à la pierre ou aide à la personne est lui aussi récurrent en matière d’aides au logement. Les députés présents ont constaté que les aides à la pierre dans le secteur social n’ont jamais été aussi faibles et explique sans doute le déficit de construction qui conduit à la hausse des loyers et donc des APL. Mais là encore, il faut remettre en perspective cette affirmation qui ne concerne que les zones tendues. Dans le reste du territoire, les loyers HLM et ceux du secteur libre sont comparables et l'on voit même des organismes HLM peiner à remplir à leurs logements. C'est un point que l'on oublie régulièrement de soulever et qui pourtant mériterait de l'être car alors cela reviendrait à se poser la question de la nécessité d'un secteur social partout en France.

Coûts de gestion

Un dernier point important soulevé par ce débat c’est le poids des coûts de gestion : 600 millions d'euros. La mesure proposée s’inspirant du RSA devrait, selon le groupe de travail, permettre des économies. Cependant, on peut se demander si ces économies ne sont pas virtuelles car aujourd’hui la structure est en place pour accueillir et suivre les allocataires et il est peu probable que l’on retouche à l’organisation au motif que l’on revoit les règles de calcul. Surtout, il est peu utile que ce travail d’accompagnement doublonne avec celui effectué pour le RSA et l’on se demande si compte tenu de la nature fortement redistributive de l’APL il ne conviendrait pas mieux de fusionner les aides dans la future prime d’activité et ainsi simplifier le maquis réglementaire de l'aide sociale.

La conclusion unanimement partagée par le groupe de travail d'un "système à bout de souffle", "d'une dépense budgétaire qui pourrait être plus efficace", de "la possibilité de faire mieux en dépensant annuellement 18 milliards d'euros" montre que le débat sur les APL doit s'incrire dans une révision complète de la politique des aides au logement. On ne pourra sortir du système actuel qui voit l'enveloppe globale des aides croître inéxorablement qu'en agissant sur deux leviers :

- mettre en cohérence les APL avec les aides sociales en particulier avec les bourses pour les étudiants et la prime d'activité, avec un objectif de simplification, d'allègement des coûts de gestion et de meilleur contrôle.

- réduire la réglementation et la fiscalité qui pèsent sur les bailleurs privés et qui conduit à réviser à la hausse les loyers pour conserver un rendement décent de l'investissement immobilier : revenus fonciers imposés au barème, prélèvements sociaux, ISF, taxes foncières, taxation des plus-values dans un contexte où la loi ALUR conduit à l'encadrement des loyers

Notre pays dépense aujourd'hui 42 milliards d'euros, soit 2 points de PIB pour la politique du logement, soit deux fois plus qu'en Allemagne, et la dépense a progressé de 21% entre 2007 et 2013 : une remise à plat s'impose.