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Les 35 heures, c'est clivant

Pour : le partage du travail et la montée historique du temps libre. Contre : la baisse des revenus et la perte de compétitivité. Ces arguments quantitatifs ont été décortiqués par des montagnes de rapports, mais où est passée la question du qualitatif, de la compétence ?

Peut-on être un bon menuisier ou un bon enseignant en travaillant 35 heures ? Pour un chirurgien, c'est non.

Entre l'accueil de ses patients, l'étude et le diagnostic de leur cas, la nécessité d'opérer souvent pour entretenir son habileté manuelle, le besoin de se tenir au courant des nouvelles techniques et l'animation de son équipe, il serait très imprudent de confier sa vie à un chirurgien durablement [1] en dessous de 50 heures par semaine. On se demande d'ailleurs comment certains chirurgiens des hôpitaux ont pu accepter la règle des 35 heures – une insulte – sans réagir.

Le bon médecin généraliste, lui, doit couvrir un terrain très vaste. Il lui faut voir de nombreux cas pour acquérir de l'expérience dans des domaines très différents sur des patients très divers. Pour les cas les plus sérieux, il doit passer du temps en contact avec ses collègues spécialistes. Et la médecine évolue très vite. Les traitements utilisés aujourd'hui sont à 75 % différents de ceux d'il y a trente ans, il doit se tenir au courant en étudiant ou en participant à des cours et colloques.

Indépendamment des problèmes administratifs et de revenus qui le contraignent en France à beaucoup travailler, rien de sérieux non plus à moins de 50 heures.

L'obligation des 35 heures conduit logiquement au repli de chacun sur sa propre tâche et constitue un frein à la promotion sociale. Et pour une infirmière, entre ses actes techniques, son travail en équipe, sa formation, son travail administratif et sa relation avec les malades ? Attention, pour un agriculteur, un commerçant, un restaurateur, un artisan et les professions libérales en général, la question « peut-on être un bon professionnel en 35 heures ? » est considérée comme injurieuse.

Et pour un ingénieur ou un chercheur ? Flemming a découvert la pénicilline « par hasard ». Tout chercheur à 35 heures aurait mis cette moisissure à la poubelle. La descente de l'inspection du travail et la rafle faite en 1997 dans les couloirs de Thomson contre les chercheurs et techniciens passionnés par leur métier avait quelque-chose d'indécent et de vexatoire.

Dans les grandes entreprises, de telles méthodes aboutiront à délocaliser aussi des professions à haute valeur ajoutée. Dans les gazelles ou PME, elles conduiront à leur disparition.

Mais qu'en est-il pour les emplois moins qualifiés ? Pour un technicien de surface, gardien de musée, caissière de supermarché, pompiste, ouvrier à la chaîne, agent d'accueil ? Si ces personnes opèrent dans un environnement où elles ne veulent pas ou ne peuvent pas évoluer vers des postes plus qualifiés, leur compétence peut être acquise et maintenue avec des horaires très faibles : 10 à 20 heures de travail par exemple.

Ce sont leurs besoins de revenus et, éventuellement d'intégration sociale, qui leur imposent de travailler plus. Il existe de nombreux cas intermédiaires. Les chauffeurs routiers à l'international par exemple.

Entre les heures de conduite, les passages de frontières, la complexité des règlements, les problèmes mécaniques potentiels, les aléas météo et les contacts avec les clients, il leur faut sans doute plus de 35 heures pour être au niveau.

Pour le conducteur du métro, une fois son diplôme en poche et formé par la RATP, la courbe de progression entre un conducteur moyen et un excellent existe : confort des voyageurs, respect des horaires, consommation d'électricité, disponibilité, réaction en cas de problème, relation avec ses collègues. Est-ce que tout cela peut s'acquérir et s'entretenir en travaillant moins de 35 heures par semaine ? D'après leurs syndicats, il semblerait que oui : c'est inquiétant pour les conducteurs et explique sans doute pourquoi les métros peuvent être entièrement automatisés.

Sous-investissement personnel : un cas particulier mais important

En 1981, sa nomination avait fait la une des journaux. Mais en 2007, quand Yvette Chassagne décède à 85 ans, il n'y a toujours qu'une seule femme préfète en poste. Les femmes sont majoritaires en médecine et dans l'Éducation nationale, mais peu nombreuses aux postes de responsabilité. Dans les entreprises, la situation est la même. Au Parlement, c'est pire. Et les femmes sont payées en général 25% de moins que les hommes. Pourquoi ? Le temps où les familles négligeaient les études des filles est à peu près révolu, même s'il existe encore un biais vers des études moins porteuses. Aveuglement des employeurs et machisme des responsables ? Certainement. Mais pas seulement, alors que les entreprises traquent les meilleurs talents. Mettre au monde deux enfants ne prend guère que deux ans. Sur quarante années de carrière, c'est peu. Mais combien de couples se partagent équitablement un congé parental ? Combien quittent les réunions de dix-huit heures à tour de rôle pour aller chercher les enfants à l'école ou conduire le petit chez le docteur ? Combien se relaient dans un temps partiel à 4/5 pour être libre le mercredi ? Qui entend-on dire : « Je vais choisir ce métier pour pouvoir élever mes enfants » ? Qui perd son poste pour suivre son conjoint muté de Nantes à Lille ou de Paris à Pékin ? Même la médecine illustrerait ce problème. Alors qu'il n'y a jamais eu autant de médecins en France, la « pénurie » ressentie par les patients s'expliquerait par la féminisation de cette profession. Après dix à douze ans d'études difficiles choisies par vocation, les femmes travailleraient (en moyenne) un jour de moins par semaine que leurs confrères masculins. Est-ce que cela aura des conséquences sur leur carrière ?

En règle générale : Sous-investissement personnel => Sous-qualification => Sous-promotion => Sous-salaire

[1] Pratiquement toutes les professions peuvent s'exercer de façon satisfaisante, même à mi-temps pour une période limitée.