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Le RSA, une vraie révolution…

et une bien triste vision du travail et des relations employeur-employé

De prime abord, une réforme de simplification salutaire de l'usine à gaz que constituent les minima sociaux, le RSA est beaucoup plus que cela : une vision peu attirante des relations de travail.

Tel qu'il se présente, le RSA consiste à remplacer les minima sociaux les plus importants : RMI et allocation de parent isolé (Api), en intégrant la prime pour l'emploi (PPE), le tout par une allocation unique généreuse, qui constitue un complément de revenu conséquent. Ce complément étant dépendant de la prise, ou reprise d'un travail, son objectif est d'inciter à cette reprise, par opposition au RMI actuel qui constitue une allocation différentielle (tout revenu du travail venant diminuer euro pour euro le montant versé du RMI). Le RSA se cumulerait au contraire avec le revenu du travail, à hauteur de 70 % de ce dernier.

En même temps, le RSA, allocation unique régulièrement dégressive en fonction des revenus du travail, est censé gommer les effets de seuil du système actuel. Simplification, justice, réduction de la pauvreté, on ne peut a priori que penser du bien d'une telle réforme. Mais, l'ambition profonde de Martin Hirsch pour le RSA, telle qu'il l'exprime, est de « veiller à ce que les aides ne soient plus accordées en fonction d'un statut, mais plutôt du niveau des ressources ». Faut-il reconnaître ici le fameux « à chacun selon ses besoins » de Marx ? C'est là que semble se situer la vraie révolution.

Le graphique ci-contre représente ce à quoi aboutissent les chiffres du barème (provisoire) du RSA, en fonction d'une part des revenus du travail, et d'autre part de la situation familiale, car le RSA est une prestation « familialisée ». Sans qu'on sache encore à quel niveau de revenu du travail le RSA s'annule (entre 1,1 et 1,3 Smic semble-t-il), on voit immédiatement l'importance prise par les revenus d'assistance par rapport à ceux provenant du travail : les premiers sont très supérieurs aux seconds pour un travail à quart-temps, et ils transforment presque les revenus d'un mi-temps en temps complet pour un couple mono-actif.

Vers une incitation au non-travail

L'État providence franchit un nouveau palier. Jusqu'à présent l'État fournissait soit des revenus de substitution (chômage, minima sociaux) aux individus sans travail, soit des aides aux entreprises pour leur permettre d'embaucher (exonérations diverses). Le voici maintenant qui s'immisce dans la relation employeur-employé en complétant de façon importante le salaire versé par l'employeur. Il est même prévu que ce dernier ne connaisse pas le montant de ce complément afin que le RSA ne pèse pas sur la détermination du salaire. Quelle défiance primaire à l'égard des entreprises qu'on ne veut décidément pas considérer comme des « partenaires » malgré l'utilisation que l'on fait du terme ! Est-il préférable de distendre encore les relations entre employeur et employé, et de déresponsabiliser le premier ? Que pourra devenir le jeu normal des négociations salariales dans un contexte où l'employeur ne fournit qu'une partie des ressources au niveau des bas salaires ? Est-ce ainsi que l'on compte réhabiliter l'entreprise ? En un mot, quelle vision de ces relations ont donc nos technocrates pour aggraver encore ce processus d'étatisation et de fiscalisation des rémunérations ? On peut s'attrister aussi que les commentaires du Medef sur le « Livre Vert » du RSA se bornent à des remarques d'ordre comptable sans évoquer ce problème de fond des relations de travail.

L'objectif d'incitation au travail pourra-t-il être atteint par une réforme qui ne rend que peu avantageux de passer d'un travail à temps partiel à un temps complet ? Dans le même temps, on entend évoquer par certains l'idée de financer le RSA par la pénalisation des entreprises qui ne voudraient pas limiter leur recours au temps partiel : encore faudrait-il que les salariés ne voient pas un avantage à s'en contenter !

C'est tout le système des rémunérations qui entre en porte-à-faux, et notamment le Smic, si proche, voire inférieur aux minima sociaux dans certaines configurations familiales. Car il n'a pas échappé au lecteur du tableau ci-dessus qu'un salarié au Smic, membre d'un couple mono-actif, parvient à percevoir 30% de plus que s'il est considéré « comme personne seule ». Le salaire se déconnecte de plus en plus de la rémunération du travail ainsi que du mérite. Par ailleurs, le système va entraîner un écrasement des rémunérations jusqu'à 1,3 Smic environ, c'est-à-dire une proportion importante des salariés. Et la suppression des avantages procurés par la PPE pour les bénéficiaires actuels les plus favorisés ne va pas aider à faire accepter une réforme où les « modestes » doivent consentir à des sacrifices en faveur des « pauvres » (l'allocution du président de la République annonçant la mise en place du RSA a été immédiatement suivie par des commentaires syndicaux sur une réforme qui allait aboutir à déshabiller Pierre pour habiller Paul).

Enfin, que vont devenir les « droits connexes » que perçoit le RMIste du seul fait qu'il bénéficie de ce minimum social : l'exemple le plus typique est celui de la CMU complémentaire dont le bénéfice est loin d'être négligeable, mais il y a aussi la prime de Noël, les avantages fiscaux dont l'exonération de la taxe d'habitation et de la redevance audiovisuelle, la tarification préférentielle du gaz et de l'électricité, la gratuité des transports, etc. Tous avantages dont le smicard ne bénéficie pas. Dans notre étude sur le RSA, parue dans Société Civile de juillet/août 2007, nous évaluions ces avantages à plus de cent euros par mois, ce qui permettait à un RMIste avec un enfant à charge de percevoir presque autant qu'un smicard. Quel sort faire à tous ces avantages pour éviter que le RSA aboutisse à agrandir la fameuse « trappe à inactivité » et augmenter encore l'intérêt à… ne pas travailler ? Martin Hirsch mentionne la difficulté dans le « Livre vert » sur le RSA, ainsi que la nécessité d'y remédier afin de réviser tous les effets de seuil mais il n'offre pas vraiment de solution, se contentant d'appeler les bonnes volontés à faire des propositions. Difficile pourtant d'imaginer de supprimer les avantages actuels qui aident à personnaliser l'assistance. N'entend- on pas parler actuellement d'augmenter au contraire les aides spécifiques relatives à la garde d'enfants ?

Nous n'avons pas abordé les problèmes de financement du RSA. La prudence, mais aussi l'incertitude, règnent encore sur cette question, évidemment capitale. Mais on voit que la route est encore pavée d'embûches et fort est le scepticisme que la réforme ne peut pas manquer d'engendrer.