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Le point sur la fiscalité actuelle

Partie II.2 Allons chercher la croissance !

Par Guy ROULIN, Avocat associé au cabinet Fidal
Le législateur a considéré qu'un des moyens de relancer la croissance consiste à favoriser la création et le développement des PME. Pour cela, par la Tepa au mois d'août dernier et par la Loi de Finances rectificative pour 2007 en décembre dernier, il a adopté un certain nombre de mesures fiscales pour inciter les contribuables ISF et les particuliers à investir dans des PME.

Mon propos d'aujourd'hui ne va pas être de vous détailler le régime et le dispositif de cette mesure fiscale relativement complexe. Je vous propose simplement d'analyser quelques idées fortes de ce dispositif et de soulever devant vous, quelques questions dans la mise en pratique de ce dispositif.

Grands principes généraux du dispositif gouvernemental.

Le contribuable a la possibilité, par des investissements directs ou par l'intermédiaire d'une société holding, de réduire son ISF d'un montant égal à 75 % de l'investissement fait dans une PME. La PME est définie au sens du droit communautaire. Cet avantage est annuel. Il s'applique sur la période de l'ISF. Il est plafonné pour un investissement direct ou pour un investissement via une holding à 50 000 euros, montant relativement significatif par rapport au montant moyen payé en matière d'ISF. Le législateur a également voulu ouvrir cette possibilité notamment aux petits contribuables ISF et à ceux qui paient des sommes relativement faibles, pour les inciter à investir, au travers de structures intermédiées, que sont les FIP, les FCPI ou les FCPR. Dans ce deuxième cadre, le législateur a considéré que le risque était moindre, donc l'avantage fiscal est réduit à 50 % du montant investi et plafonné à 20 000 euros. Sont pris en compte les investissements réalisés pendant la période ISF. C'est-à-dire du 16 juin de l'année n au 15 juin de l'année n+1 pour et au titre de l'ISF de l'année n+1. À titre d'exemple, les investissements effectués entre juin 2007 et juin 2008 viendront réduire l'ISF 2008.

Bien sûr, tout avantage fiscal n'est pas donné sans condition et sans contrainte. Les conditions édictées par notre législateur sont les suivantes :

- cet investissement doit être fait sous forme de souscription, non pas d'acquisition de titres au capital de PME au sens du droit communautaire. Ce sont donc des PME dont le chiffre d'affaires est inférieur à 50 millions d'euros, dont le total de bilan est inférieur à 43 millions d'euros et employant moins de 250 salariés. Il faut également que cette PME exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale ou agricole. En d'autres termes, sont exclues toutes les activités à caractère immobilier ou à caractère patrimonial. Exception est faite pour les holdings : un investissement au travers d'une holding peut donner droit à cette réduction d'ISF.

- Le contribuable doit conserver les titres reçus en échange de sa souscription et ayant ouverts droit à cette réduction d'ISF pendant cinq ans. Cinq ans posent une durée relativement longue. Quand vous investissez dans une PME en création, vous êtes, par hypothèse, minoritaire, donc vous signez un pacte d'actionnaire qui peut vous obliger à sortir soit pour laisser la place à un fonds d'investissement, soit dans le cadre d'une cession globale de l'affaire. Malgré vous, vous pouvez être contraint de céder. Le législateur a pris en compte cette réalité économique et autorise le maintien de la réduction ISF initiale, à condition que le bénéficiaire de la mesure réinvestisse le prix de vente de sa cession dans un délai de six mois dans une nouvelle PME éligible. Il y a donc une possibilité de remploi. Nous verrons que le texte a été rédigé de telle façon que cette possibilité de remploi s'applique en cas d'investissement direct bien évidemment, mais nous avons de grandes interrogations, voire de grands doutes, quant à son applicabilité pour des investissements au travers de holding.

Quelles sont les conditions à remplir par la PME pour accéder à cet investissement ?

En contrepartie de cet avantage et en contrepartie de l'abandon de la règle « de minimis », la PME doit être en phase d'amorçage, de création ou d'expansion. Je rappelle que l'amorçage et la création sont les périodes pendant lesquelles une entreprise n'a pas fait un euro de chiffre d'affaires. Dès qu'une entreprise réalise un euro de chiffre d'affaires, elle entre dans la phase de développement, dans la phase d'expansion.
Ensuite, elle ne doit pas être qualifiée d'entreprise en difficulté. Enfin, le montant des versements éligibles à la réduction d'ISF est plafonné à 1,5 million d'euros par an et par entreprise. Ce plafond s'applique sous réserve de la parution d'un décret qui, lui-même, est soumis à l'autorisation de Bruxelles. Alors seulement, par ce biais-là, la France pourra aider indirectement les entreprises. Nous sommes donc dans le cadre des aides indirectes, qui sont normalement interdites par la Communauté européenne.

Bien évidemment, si ces conditions ne sont pas remplies, nous tombons dans le régime général des aides indirectes de Bruxelles. C'est-à-dire que l'entreprise en question ne peut pas bénéficier d'aides indirectes, donc de sommes issues de la réduction d'ISF notamment, au-delà de 200 000 euros sur trois ans. Il faut ajouter, à cette aide ISF, toutes les aides indirectes que notre PME pourrait percevoir dans d'autres domaines. Il existe 51 aides indirectes. Je ne vous en dresserai pas la liste exhaustive ce matin. Sachez, à titre d'exemple, que ces aides englobent toutes les subventions du type OSÉO-Anvar, tous les abattements ou les exonérations propres aux JEI, les Jeunes Entreprises Innovantes, qui sont au cœur économique de ce dispositif, tous les abattements, les exonérations pour les implantations dans les zones de revitalisation, tous les abattements, les exonérations en matière de taxe foncière, taxe professionnelle, etc. dont bénéficient ces jeunes entreprises. Ce seuil de 200 000 euros est donc extrêmement bas, dans la réalité économique des choses. Cela constitue véritablement un handicap. D'où l'importance de cette demande de dérogation et de cette notification que l'État français a faite à Bruxelles.

Bien sûr, vous l'avez compris, ce dispositif ici résumé met en cause des enjeux extrêmement importants. Pourquoi ? Cela permettra de drainer des sommes très significatives vers des entreprises qui, elles aussi, ont besoin de se financer et d'accroître leurs fonds propres.

Deuxième élément extrêmement important. Dans ce dispositif, le fait de créer des holdings qui peuvent investir et regrouper plusieurs Business Angels est primordial, car il est essentiel que les Business Angels se regroupent en structure. Pourquoi ? Premièrement, cela permet de mobiliser beaucoup plus d'argent. Évidemment, 10 Business Angels investissent beaucoup plus qu'un seul ! Deuxième aspect, cela permet, à l'entreprise qui cherche des financements, d'avoir un seul interlocuteur et non pas 10. Regrouper les investisseurs est donc essentiel et indispensable.

Les fiscalistes habitués des jeunes entreprises et conseils des Business Angels, nous posons beaucoup de questions quant à l'efficacité de ce dispositif.

Première interrogation : sur le plafond de ces investissements

La première question concerne le règlement européen sur les aides indirectes. Je le répète : une aide indirecte est autorisée dans la mesure où elle ne dépasse pas 200 000 euros sur trois ans, ce qui rend en pratique le dispositif inopérant. La question est donc de savoir si la limite de 1,5 million d'euros qui est une exception donnée par ce règlement et qui s'applique dans le cas extrêmement précis de l'aide au démarrage, à l'amorçage et à l'expansion des PME, peut être appliquée en France, en fonction de ce texte. Aujourd'hui, nous n'avons pas de réponse, dans la mesure où la France a notifié ce dispositif à Bruxelles. Nous attendons la réponse des instances européennes. Manifestement, notre dispositif est un peu plus large que l'exception prévue dans le règlement européen, d'où nos interrogations. Autre question, quel autre type d'aide indirecte est inclus ? Bercy en a dressé une liste de 51, mais est-ce exhaustif ou extensif ? Là aussi, nous avons donc un certain nombre d'interrogations. Nous attendons également des réponses à ce sujet. Nous avons une autre interrogation qui va toucher les structures intermédiées, les fonds commun de placement, les FCPR, FCPI et FIP, qui ouvrent droit à cette réduction d'ISF et qui, eux, investissent assez massivement dans l'innovation, dans le capital-risque et dans le développement. Là aussi, l'application du règlement européen concernerait les FCPR, FCPI et FIP pour ce plafond de 1,5 million d'euros par an et par entreprise, non pas seulement en ce qui concerne leurs cibles et leurs propres investissements, mais en ce qui concerne leurs structures elles-mêmes. Cela signifierait donc qu'un FCPI ne peut pas lever, ni investir par an plus de 1,5 million d'euros. Là aussi, ce serait un frein à la mesure. Première interrogation donc sur le plafond de ces investissements.

Deuxième interrogation, les Business Angels

La deuxième interrogation vise directement les Business Angels, dont un des enjeux majeurs est de s'organiser et de se regrouper. Il s'agit de l'investissement au travers des holdings. En cette matière, le texte de loi nous précise que : « L'objet de ces holdings doit être exclusivement l'investissement dans des PME. » Bercy a tendance à nous dire que : « Est exclusif l'objet d'une société dont l'actif est investi à 90 % au moins dans des PME. » Si cette interprétation perdure, nous sommes, là aussi, face à une impossibilité matérielle : comment une société holding peut-elle consacrer 90 % de ses ressources à investir dans des PME ? Si elle investit 90 % dans des PME, avec quoi financerait-elle ses frais ? La holding a besoin d'un volant de trésorerie pour faire face à ses frais de gestion, payer son commissaire aux comptes, sa vie quotidienne, l'étude de ses dossiers. Autre aspect, cela interdit à la holding en question d'avoir un petit volant de trésorerie pour investir et saisir une opportunité ou participer à un deuxième tour. La définition de l'objet exclusif est donc extrêmement importante et peut, là aussi, nous empêcher d'avoir un outil ou un dispositif complètement opérationnel. Si la définition pose « 90% de ressources destinées à exercer l'objet », cela conserve le volant de trésorerie nécessaire. Par cet exemple, vous voyez comme la définition est extrêmement importante.
Deuxième interrogation, le remploi. En matière de holding, le texte est précis : L'obligation de conserver les titres joue pour le souscripteur à la holding lui-même, mais également pour la holding qui doit conserver les titres des PME pendant cinq ans. Le texte de la Loi de Finances rectificative a été rédigé de telle façon que les holdings sont exclues du remploi. Cela induit qu'en cas de cession d'une participation dans un délai inférieur à cinq ans par la holding, le contribuable ISF sera tenu de reverser son avantage fiscal. Nous sommes donc, là aussi, dans une aberration par rapport au dispositif. Aberration même par rapport à l'intention du législateur : à la lecture des débats parlementaires, manifestement il s'agit d'une erreur d'écriture du texte, et non pas d'une erreur dans l'esprit du texte.

Enfin autre interrogation, le lien entre la souscription dans la holding et celle dans la PME. Le texte stipule que : Le contribuable ISF bénéficie de sa réduction ISF, non pas lorsqu'il investit dans la holding, mais lorsque la holding investit dans la PME. Il y a une certaine logique. Cela veut dire qu'il y a une transparence dans l'investissement. Dont acte. Mais cela veut dire aussi que nos gestionnaires de la holding auront un travail administratif énorme : il va leur falloir suivre, investissement par investissement et souscription par souscription. Globalement, il y aura un travail de suivi, de « traçage » entre la personne qui va investir dans la holding et qui va réduire son ISF et l'investissement dans la holding. Gros souci si notre holding investit sur plusieurs années et investit dans plusieurs cibles et fait plusieurs augmentations de capital ! Cela crée dans la pratique un suivi administratif très complexe.

Dernière interrogation : la fiscalité en matière de holdings par rapport à la fiscalité en matière de FCPI et de FIP.

Le but du législateur est de faciliter et de favoriser l'investissement dans des sociétés en création. Nous savons que le système de financement français souffre d'un manque : nous avons beaucoup de mal à trouver des financements entre 100 000 et 300 000, voire 500 000 euros dans une PME. Au-dessus de 500 000 euros, existent des structures d'investissement FIP, FCPI, etc., qui sont assez performantes pour ces volumes. Au-dessous de 500 000 euros, les rares investisseurs sont soit des fonds régionaux, soit des Business Angels. Nous avons donc dans ce créneau, vraiment un manque et un besoin d'attirer des capitaux. Schématiquement, notre Business Angel aura dans le dispositif plutôt intérêt à investir au travers d'un FIP ou d'un FCPI. La raison en est qu'il aura l'avantage à l'entrée d'une réduction d'impôt sur le revenu de 25 % et une réduction d'ISF pour le complément plafonné à 20 000 euros. Il aura aussi un avantage à la sortie : il bénéficiera d'une exonération de ses plus-values et des distributions du FIP et du FCPI s'il en a conservé les titres pendant cinq ans. En revanche, si le Business Angel investit au travers d'une holding, il aura certes une réduction ISF théoriquement supérieure, mais à la sortie il sera imposé sur les dividendes et sur les plus-values au taux normal de son impôt sur le revenu. L'analyse fiscale de l'intérêt et de l'attractivité du dispositif montre que la tendance sera plus favorable à l'investissement au travers d'un FIP ou d'un FCPI plutôt que d'une holding.

À titre de conclusion, ce dispositif est une très bonne incitation, il n'y a aucun doute, mais il doit être amélioré pour passer d'un dispositif « au profit et au bénéfice des chasseurs de primes fiscales » à un dispositif plutôt au bénéfice et au profit de véritables Business Angels et autres investisseurs providentiels.

Cet article fait partie du colloque Allons chercher la croissance ! Les entrepreneurs sont notre avenir.