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Le 1% Logement va-t-il venir financer les retraites complémentaires ?

Le 1% logement aussi nommé Participation des employeurs à l’effort de construction (aussi nommé Action Logement) a récemment annoncé une grande réorganisation de son activité. Assez étonnamment,  à l’occasion de cette annonce il a été indiqué qu’une réflexion était entamée pour apporter son patrimoine foncier aux retraites complémentaires fortement déficitaires. Quel sera l’impact d’une telle réforme ?

Présentation du 1% logement

La participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC) a été instituée en 1953 pour les entreprises du secteur privé. Elle concerne les entreprises de plus de 20 salariés qui devaient originellement consacrer 1% de leur masse salariale au financement du logement de leurs employés. Comme l’explique le site d’Action Logement qui présente la politique d’emploi des fonds collectés, la contribution a été abaissée à 0,45% depuis 1992 mais représente globalement 0,95% si on y ajoute le versement de 0,50% au Fonds national d’aide au Logement qui verse différentes allocations logement aux salariés. Ce qui continue à s’appeler le 1% est donc versé par 200.000 entreprises représentant 20 millions de salariés, pour lesquels sont proposés, soit des prêts, soit directement des logements locatifs dans un parc dédié. 

La mise en œuvre de cette politique de soutien au logement est assurée par l’UESL – Union des entreprises et des salariés pour le logement. Elle représente d’une part les organismes collecteurs, les comités interprofessionnels du logement (CIL), et d’autre part, les partenaires sociaux, syndicats patronaux et de salariés. L’histoire a voulu que ce soit le Medef qui en assure la présidence. Par ailleurs trois représentants du gouvernement siègent au conseil d’administration.

L’organisation de la collecte

La réorganisation annoncée concerne essentiellement l’activité recouvrement : ce système fonctionnait avec un très grand nombre d’acteurs (plus de 100). Il a été l’objet de fortes critiques, notamment après la publication en 2009 d’un rapport de la Cour des comptes faisant état de dérives dans la gestion des CIL. Et une première étape de concentration avait eu lieu avec un regroupement autour d’une vingtaine d’organismes collecteurs (23). Ces organismes sont non seulement chargés du recouvrement des cotisations mais aussi de la gestion des filiales qui gèrent le patrimoine HLM.

Les chiffres clés 2014

RESSOURCES

en M€

Collecte (y compris compensation de l’Etat*)

1832

Retour de prêts personnes physiques

987

Retours sur investissements locatifs

645

Emprunt Caisse des dépôts et consignations

700

Remboursement de la collecte et autres

-135

Total des ressources

4029

* L'Etat compense la diminution des ressources liée au relèvement du seuil en 2006 de 10 à 20 salariés pour les entreprises devant contribuer au 1% logement.

Source Action Logement

Principaux emplois en 2014 :

  • Financement du logement social : 1,2 Md€
  • Financement de l’ANRU : 900 M€
  • Financement du Fonds national d’aide au logement : 300 M€

Le site d’Action Logement indique que 66.500 logements ont été attribués en 2014 et 460.000 aides ont été versées (services PASS, PASS-foncier, GRL, etc.)

Au total, les CIL sont actionnaires de 79 entreprises sociales de l’habitat (ESH) gérant en direct 800.000 logements, leur patrimoine estimé est un peu plus large : 900.000 logements soit 40% de l’ensemble des ESH.

Les différentes « familles » de HLM

On compte 4 800 000 logements sociaux (type PLUS, PLAI, PLS) parmi lesquels :

  • Les offices publics de l’habitat (anciens offices HLM) : 2 100 000
    Ils sont gérés par des collectivités locales : villes, agglomérations, départements.
  • Les entreprises sociales de l’habitat (ESH) : 2 100 000
    Ce sont des sociétés anonymes mais qui ont des règles spéciales de valorisation du capital et de limitation du versement des dividendes.
    Les actionnaires principaux sont : le 1% logement, la Caisse des dépôts et consignations (SNI), les sociétés de crédit immobilier, les caisses d’épargne, certaines entreprises (AXA par exemple), des Medef locaux, des collectivités locales,…
  • Les sociétés d’économie mixte (SEM) : 600 000
    Elles sont souvent des émanations des collectivités locales (ex. RIVP)

Les CIL ont une compétence générale de collecte, plus géographique que professionnelle. Néanmoins leur périmètre ne correspond pas à un découpage administratif défini. Certains sont à cheval sur plusieurs régions. Ce point n’a pas été sans poser problème, certains CIL se faisant « concurrence » pour solliciter les entreprises à cotiser auprès d’eux.

La réorganisation annoncée

« Le Conseil d’administration de l’UESL du 9 avril 2015 vient de décider d’engager la constitution d’un grand et véritable groupe Action Logement. Ce groupe sera le premier financeur du logement en France et le premier opérateur du logement social. Il s’agit, pour le « mouvement du 1% logement » financé par les cotisations des entreprises, d’amplifier les réformes engagées depuis de nombreuses années, afin de rendre le dispositif plus lisible, plus efficient et plus équitable. »Voir le communiqué de presse d'Action Logement du 9 avril 2015 Voilà en substance la teneur de la réforme annoncée.

Cette réorganisation se traduit par la constitution d’un seul et unique organisme collecteur. Les filiales qui sont gérées par les CIL seront détenues directement par Action Logement. Dans cette opération, le Medef veut se montrer exemplaire et apporter sa contribution à la résolution de la crise du logement, en allant dans le sens des « critiques » du moment : le président de la République lui-même n’a-t-il pas dit qu’on comptait beaucoup trop de structures HLM en FranceConférence de presse du Président de la République du 5 février 2015 ?! Ainsi ce sera environ 20% du parc HLM qui sera regroupé sous une seule structure. 

Avec la réforme annoncée, Action Logement va devenir un acteur de poidsAction Logement va devenir également un acteur de poids face aux maires et aux très nombreux offices émiettés sur le territoire français. Ce ne sera pas sans poser problème lorsqu'il faudra trouver des terrains pour construire. , qui pourra mettre en œuvre la politique de relance de la construction, promue, notamment, dans le dernier livre blanc du Medef sur le logement. D'ailleurs, celui-ci commence par un long plaidoyer sur le déficit en logements et la nécessité de revenir à des niveaux de construction  historiquement plus élevés et de faire de la rénovation thermique. Il faut dire qu'au sein du Medef, la FFB, Fédération Française du Bâtiment, est une fédération puissante, et ses entreprises adhérentes sont très actives pour soutenir cette politique de relanceIl faudrait néanmoins s'assurer que l’on ne s’engage pas sur des constructions nouvelles de logement dans des régions où les besoins n’existent pas et, où, même, les HLM peinent à trouver des locataires.

Enfin, il convient de noter que dans les dépenses d’Action Logement une part importante revient à l’État au titre de la participation à la politique de rénovation urbaine. Mais il a été garanti que cette participation ne serait pas modifiée. Par ailleurs, aucun licenciement ne sera envisagé dans les différents CIL, paritarisme oblige… Ce qui explique que persone ne s'y soit opposé : ni les partenaires sociaux aux manettes du 1% logement et des retraites complémentaires, ni le gouvernement, ni même les principaux intéressés à savoir les CIL.

Un lien surprenant avec le débat sur l’avenir des retraites complémentaires

Plus étonnant, il a été indiqué qu’une « réflexion a été engagée visant à terme à faire en sorte que ce patrimoine foncier puisse revenir aux caisses de retraites complémentaires Agirc-Arrco, fortement déficitaires »Voir http://www.batiweb.com/actualites/legislation-et-reglements/la-reforme-daction-logement-est-en-marche-13-04-2015-26303.html ; Cela nécessiterait bien sûr des modifications législatives et réglementaires.

Les modifications juridiques nécessaires concernent la valorisation du patrimoine des actuelles ESH qui est pour l’instant très encadrée : le capital ne peut être valorisé et les dividendes sont très limités. À ce sujet, il est prévu une loi d’habilitation avant la fin de l’année pour permettre au gouvernement de légiférer ensuite par voie d’ordonnances.

L’idée était dans l’air depuis les années 2000. En effet, en 2005 avait été créée une association filiale du 1% logement, Foncière Logement, dans le cadre du plan Borloo pour la rénovation urbaine. Cette structure poursuivait 3 objectifs : participer à la rénovation urbaine en construisant des logements libres dans des zones ANRU pour favoriser la mixité sociale et participer à la construction de logements sociaux dans le reste de la France. Enfin, il était prévu que le patrimoine ainsi créé devait contribuer au financement des retraites complémentaires par répartition.

Mais avec l’annonce qui a été faite il s’agit d'apporter aux régimes complémentaires l’ensemble du patrimoine du 1% logement soit près de 900.000 logements. La valeur vénale des biens détenus par les ESH du 1% Logement pourrait représenter environ 60 milliards d’euros sur lesquels il faut imputer des dettes – environ 40 milliards – ce qui ferait donc une valeur nette de 20 milliards d’euros qui pourraient être libérés soit en ouvrant le capital, soit en vendant les actifs, c’est-à-dire en vendant les appartements par exemple à leurs locataires. Cette somme ne règle pas le problème des retraites mais représente quand même un bol d’air au moment où se tiennent les négociations Arrco-Agirc et que des décisions difficiles sont peut être en préparation. L’annonce tombe donc à pic. Mais face à l'ampleur du problème des retraites, ce procédé, aussi surprenant soit-il, donne le sentiment de ne pas vouloir s'attaquer aux problèmes de fond et évoque plutôt un sursis qu'une véritable réforme des retraites complémentaires.