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L'Allemagne privatise ses hôpitaux publics en situation d'échec

Réformer les hôpitaux publics (Partie 2)

En Allemagne, la santé des habitants et la qualité des soins sont similaires aux nôtres. La prise en charge par l'assurance maladie est meilleure qu'en France pour un coût un peu supérieur. Mais le déficit de l'Assurance Maladie n'atteint pas les niveaux français. Les réformes sont mises en place dès que cela est nécessaire, particulièrement dans le domaine des hôpitaux, première source de dépense.

DKG

Contrairement à ce qui existe en France où les hôpitaux publics et les cliniques sont représentés par 2 fédérations antagonistes, la FHP et la FHF, tous les établissements de soins allemands sont représentés à Berlin par la puissante DKG (Deutsche Krankenhausgesellschaft).

Comme les Français, les Allemands ont la chance de disposer de 3 types d'établissements de soins : hôpitaux publics, hôpitaux privés à but non lucratif, cliniques privées. Le nombre de cliniques privées est historiquement faible mais la part des hôpitaux à but non lucratif (fondations, religieux ou mutualistes) est importante. Témoignage de la force de la régionalisation, les hôpitaux publics allemands sont gérés par les régions ou les municipalités et non pas par l'Etat comme en France.

Depuis 1990, de nombreux hôpitaux publics, trop petits et dangereux, ou mal gérés ont été fermés ou transférés au privé. Cela a été surtout le cas dans l'ex Allemagne de l'Est après la réunification.

Comme dans tous les pays, la chute de la durée moyenne d'hospitalisation de 13,8 jours en 1993 à 7,6 jours en 2005 a entraîné une forte baisse du nombre lits.

Nombre d'hôpitaux
1990 2001 2015 prévision Evolution 2001/1990
Hôpitaux publics 1 043 723 400 - 31 %
Hôpitaux privés 843 804 700 - 5 %
Cliniques privées 321 468 600 + 46 %
Total 2 207 1 995 1 700 - 23 %
Hors hôpitaux psychiatriques
Nombre de lits
1990 2001 Evolution 2001/1990
Hôpitaux publics 387 000 277 000 - 28 %
Hôpitaux privés 207 000 198 000 - 4 %
Cliniques privées 23 000 41 000 + 78 %
Total 617 000 516 000 - 16 %
Hors hôpitaux psychiatriques

Privatisation des hôpitaux publics

Etant directement responsables de leurs hôpitaux, les autorités locales allemandes ne peuvent pas repousser les déficits d'année en année ou faire appel à l'Etat, ni ignorer les problèmes de non-qualité comme cela s'est fait en France. La Tarification à l'activité (T2A) qui a été mise en place en Allemagne en 2003 a accentué la pression sur les municipalités [1], qui ont choisi plusieurs formes de privatisation. Certaines confient le management de leur hôpital au secteur privé tout en restant propriétaire de l'entreprise transformée en Société Anonyme. D'autres choisissent la privatisation, la ville conservant ou non une partie du capital. Pour expliquer l'avantage compétitif dont bénéficient souvent les cliniques, la DKG reprend exactement les arguments avancés en France : outils modernes de gestion, management et motivation des personnels, politique d'achats et absence d'interférences politiques. Mais la DKG témoigne aussi qu'il existe des hôpitaux publics performants qui réussissent, et que la situation géographique de certains établissements peut rendre leur rentabilisation impossible.

Privatiser un CHU

La privatisation de petits hôpitaux était devenue courante, mais celle d'un Hôpital Universitaire en 2005 a un peu surpris. Deux hôpitaux, les CHU de Marburg et de Giessen distants de 25 kilomètres, soit 2400 lits et 9000 salariés, ont été rachetés par l'entreprise Rhön Klinikum AG [2], et vont être fusionnés. L'affaire a été rapidement menée. C'est le directeur médical du CHU de Giessen qui en a pris l'initiative convaincu de la nécessité d'améliorer la qualité des deux établissements. Un appel d'offre a été lancé le 30 mai 2005 par le land de Hesse. Trois sociétés ont répondu et Rhön a été choisie le 17 décembre 2005 en fonction de ses différents engagements sur les soins, la recherche, les emplois, les investissements (370 M€) et le prix (112 M€). Plusieurs autres CHU seront probablement privatisés dans les années à venir.

Pluralisme = Expérimentation

Le réalisme et la rapidité de décision dont témoignent ces privatisations sont impressionnants. Quand on a vu les années qu'il a fallu en France pour fermer de petits hôpitaux dangereux pour les patients ou pour supprimer des hôpitaux redondants à Paris, on est admiratif. C'est la preuve de la supériorité d'un modèle décentralisé où chaque région peut conduire ses expériences sans affronter de crises majeures. Si elles réussissent d'autres régions s'en inspirent. Si elles échouent, elles peuvent essayer autre chose.

En arrière-plan, l'absence de monopole pour l'assurance Maladie Obligatoire (il y a une centaine de Caisses), évite la collusion qui existe en France entre la CNAM et des Hôpitaux publics.

La plupart des pays européens, Allemagne, Italie, Espagne, Europe de l'Est expérimentent la privatisation d'hôpitaux publics. Il s'agit souvent de cas d'établissements en grandes difficultés. Soit leurs déficits sont insupportables soit leur taux de fuite (les malades de la région vont se faire soigner ailleurs) atteint des records jusqu'à 90%. Même le Royaume-Uni dont le système de santé est totalement étatisé, après avoir essayé la cure d'austérité avec Margaret Thatcher puis englouti des milliards de livres depuis 4 ans avec Tony Blair, commence à faire appel au secteur privé.

En France, les efforts faits sur la consommation d'antibiotiques, les génériques, et les arrêts maladie sont louables, mais atteignent leurs limites. C'est dans le système hospitalier que réside le seul gisement d'économies capable de résorber le déficit de l'Assurance Maladie. Pourquoi ne pas expérimenter la privatisation d'hôpitaux publics ? L'exemple et la menace pourraient avoir des effets bénéfiques sur les autres.

[1] La T2A a été mise en place en un an. La convergence des tarifs sera achevée au 1/1/2009

[2] First Privatisation of a University Hospital, Interview of Pr J-F Leonhard, FAZ Institut, April 2006