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La Poste gardera-t-elle un actionnariat 100% public dans 20 ans ?

Autre question ... Le marché existera-t-il toujours ?

Les télégrammes ont disparu et les pneumatiques semblent dater du moyen-âge. Mais malgré ces leçons récentes, syndicats et élus locaux se passionnent pour savoir si La Poste, qui va perdre son dernier monopole, sera pour toujours une entreprises à capitaux 100% publics. La vraie question : La Poste existera-t-elle encore en 2020 ?

Après le téléphone, les fax avaient sonné l'alarme : il devenait possible d'échanger des documents à travers le monde entier, non pas à J+N mais dans la seconde. Avec Internet la menace a changé de dimension. Factures d'électricité, de gaz, d'eau, de télécommunications, impôts, feuilles d'assurance maladie et remboursements, virements sont couramment disponibles sur Internet [1]. Les particuliers et les entreprises l'utilisent comme principal moyen de communication. Dès que les signatures électroniques seront banalisées, même les échanges formels utiliseront ce réseau. Si le courrier papier continue à baisser de 3% par an, dans 20 ans le nombre de lettres aura diminué de moitié. La publicité adressée sauve actuellement l'activité courrier. Elle aussi peut passer demain par d'autres canaux. Autre soutien, la distribution très largement subventionnée de la presse, mais les journaux sont eux-mêmes concurrencés par Internet.

Les colis

Heureusement pour elle, La Poste traite aussi les colis dont le nombre augmente grâce au commerce électronique. Mais dans ce domaine la concurrence est forte et le nombre de colis va diminuer quand la musique, les films et les livres seront disponibles sur le réseau.

La Banque Postale

Rentabiliser ses nombreuses agences pour fournir des services financiers est tentant. C'est ce qu'avait fait la poste allemande, mais elle envisage de vendre cette filiale, considérant sans doute que les deux métiers (logistique et finance) sont trop différents. En 2009, la productivité de la Banque Postale française est faible par rapport à ses concurrents établis. D'après la Cour des Comptes, en 20 ans, La Poste a perdu la moitié de sa part du marché bancaire. Pour réussir, notamment face à la réunion des Caisses d'Epargne/Banques Populaires qui chassent la même clientèle, elle devra faire des efforts considérables de réduction (30%) de ses frais de gestion donc du nombre de ses salariés.

Deux autres Postes publiques

Royal Mail

Dans "Royal Mail", il y a Royal, et c'est sans doute pour ce détail que la poste anglaise n'a pas été privatisée par Margaret Thatcher. Mais faute d'évolution suffisante, la situation est "untenable" d'après le rapport commandé en 2009 par le gouvernement travailliste. Son activité baisse régulièrement et le fond de retraite de ses salariés est en déficit de 9 Mds£. Le Premier ministre travailliste Gordon Brown a décidé d'ouvrir son capital à une entreprise privée apportant des fonds et surtout les méthodes de gestion et de management nécessaires. Mais "Pas avant les élections" ont supplié 120 courageux députés travaillistes ! La réforme sera inéluctable ensuite, que les Conservateurs ou les Travaillistes gagnent en 2010.

United States Postal Service (USPS)

USPS souffre des mêmes problèmes que ses homologues européennes –baisse de 22% de son volume lettres en 10 ans. Mais curieusement USPS a conservé son monopole pour les lettres et n'a pas non plus été privatisée. Pour les colis, l'existence de concurrents très puissants (FedEX, UPS …) l'ont contraint à se moderniser dès les années 1980 ou à disparaître. USPS s'est profondément réformé, a abandonné son statut d'administration pour devenir une agence gouvernementale, réduisant son nombre d'employés de 150.000 en 10 ans. Mais cette restructuration est insuffisante : en déficit depuis 3 ans, ses pertes pour 2009 atteindront 7 Mds $, et 25.000 emplois vont être supprimés ainsi que des centaines de bureaux fermés.

Ces défis n'ont pas été traités avant l'arrivée du nouveau Président Jean-Paul Bailly en 2004. Alors que les postes étrangères diminuaient fortement leurs effectifs (100.000 en Allemagne, 30.000 en Italie), La Poste embauchait 14.000 salariés à l'occasion des 35 heures. Se focaliser en 2009 sur la question de savoir si La Poste restera éternellement à capitaux 100% publics démontre une ignorance des réalités de la vie d'une entreprise, avec sa naissance, sa croissance, ses hauts et ses bas et sa mort si les choix nécessaires ne sont pas faits. La question n'est pas : "le changement de statut aura-t-il des conséquences sociales ?". Une chute de l'activité de 50% aurait des conséquences sociales très négatives, quel que soit le statut de l'entreprise.

En Allemagne, aux Pays-Bas, les Postes ont été privatisées dès les années 1990. Elles se sont développées dans de multiples secteurs et sont devenues des leaders mondiaux. Notre La Poste, enfermée dans son pré-carré et dans son statut, est en danger.

[1] Un énorme progrès du point de vue écologique