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La fléxibilité du marché du travail - Réponse des intervenants

Colloque "Mettre l'emploi au coeur de la campagne"

La question que je vous poserai est donc la suivante : Comment modifier le contrat de travail pour créer deux millions d'emplois ?

Éric Besson - La question, telle que vous l'avez posée d'entrée, « comment débloquer les emplois que se retiennent de créer les entreprises par crainte des freins aux licenciements », est en même temps une thèse – une thèse respectable, mais une thèse que vous venez d'étayer. L'idée serait que les chefs d'entreprise n'embauchent pas parce qu'ils ont peur de ne pas pouvoir licencier, etc. Je vais partir d'un paradoxe qui répondra en partie à la remarque d'Hervé Morin tout à l'heure.

Au siècle dernier, l'année record en matière de créations d'emplois en France fut l'année 2000, avec 500 000 nouveaux emplois marchands, à comparer aux 165 000 de cette législature. Or, la grogne des patrons et des chefs d'entreprise n'a jamais été aussi grande qu'en 2000, année de l'application des 35 heures. Ce que je veux dire, c'est qu'il ne faut pas croire qu'il y ait une corrélation mécanique entre ce que disent les chefs d'entreprise et ce qu'ils font, et la règle d'or, c'est qu'un chef d'entreprise embauche en fonction de ses carnets de commandes, de ses perspectives de croissance et de sa possibilité d'investir, et non pas en fonction d'un environnement juridique, fiscal ou social qui vient au second rang derrière la conjoncture.

Concrètement, cela signifie qu'il n'existe pas une seule voie ; vous avez évoqué le questionnaire de l'iFRAP, c'est une donnée scientifique incontestable, mais il en existe quelques autres. L'OCDE a fait une étude extrêmement précise qu'elle a appelée « LPE » (législation de protection de l'emploi), à la recherche d'un lien éventuel entre le taux de chômage et la législation de protection de l'emploi ; la conclusion était qu'il n'existait pas de corrélation entre ces protections et le taux de chômage. Vous avez, au Centre d'analyse économique, qui est un organisme qui dépend du Premier ministre, un très beau rapport sur la même question qui montre qu'il existe deux voies pour arriver à peu près au même taux de chômage (de l'ordre de 4,5 à 5 %) : La voie anglo-saxonne avec à la fois des impôts peu élevés, une protection sociale limitée et des contreparties relativement faibles pour les personnes qui basculent dans le chômage. Avec ses caractéristiques, c'est-à-dire ce que l'on appelle des travailleurs pauvres, des personnes qui doivent cumuler travail et retraite ou plusieurs emplois, cette voie fait consensus en Angleterre et qui fonctionne bien. À l'opposé, vous avez le modèle scandinave ou le modèle social-démocrate, avec des prélèvements obligatoires élevés, et notamment un impôt sur le revenu très élevé, une obligation de rechercher du travail et une protection du chômeur au sens indemnisations, formation, durée de l'indemnisation, extrêmement forte.

Pour notre part, nous pensons que c'est par la négociation de ce que nous appelons la « couverture professionnelle universelle » qu'il sera possible de répondre à la fois à ce besoin de souplesse et de flexibilité que veulent les entreprises, et à la demande de protection des salariés qui, dès lors qu'ils basculent dans le chômage et s'ils manifestent la preuve de leur volonté de travailler, auront une réelle chance de travailler, d'être formés, d'être accompagnés. C'est à mon avis comme cela que nous pouvons résoudre cette question, en tout cas, c'est comme cela que les socialistes s'engageront dans ce débat.

Hervé Morin - Peut-on du jour au lendemain, avec une nouvelle majorité, rapidement revenir à un Code du travail dépouillé, simplifié ? C'est à mon avis impensable ; tout du moins, ce n'est pas ce que pense notre groupe. Je crois que nos compatriotes, avec globalement 4,5 millions de personnes sans emploi – si l'on veut bien regarder les chiffres réels – veulent des sécurités, des protections. Or, ils ont le sentiment, à tort ou à raison, que le Code du travail leur apporte des protections et, selon nous, ils ne sont pas prêts à s'en séparer, au moins dans l'immédiat.

En revanche, dans un pays qui, par des mesures comme celles que nous avons proposées, retrouve le chemin de la croissance et de l'emploi, retrouve confiance dans l'avenir, qui sait que chaque jour, il se détruit en France 10 000 emplois et qu'il s'en crée 10 000 autres, et qu'en fait, il faut en créer un peu plus qu'on en détruit – l'économie étant un cycle de destruction et de création permanent –, vous pouvez alors desserrer. Il y a selon moi une question centrale, c'est l'hyperjudiciarisation du contrat de travail et le sentiment d'incertitude majeure, ainsi que le traumatisme que représentent les Prud'hommes et éventuellement la Cour de cassation dans le cadre de la rupture du contrat de travail. Ce ne sont pas tant les conditions de rupture du contrat de travail qui sont compliquées, mais l'inquiétude et l'incertitude liées aux Prud'hommes et à la décision qui y est prise.

Avec François Bayrou, nous avons écouté à peu près toutes les préconisations des centrales patronales. Je me permets de vous faire observer qu'il n'y en a pas deux qui font la même proposition ; du MEDEF à l'UPA, en passant par CroissancePlus, le Centre des Jeunes Dirigeants, etc., aucun ne fait la même proposition ! Les représentants des grandes maisons patronales que nous avons reçues récemment ont changé d'avis par rapport à ce qu'ils pensaient il y a douze ou dix-huit mois.

Je n'ai pas la solution sous le coude, car je pense qu'en politique, l'idée est de réunir l'ensemble des personnes concernées pour réfléchir aux évolutions possibles. En revanche, je répète que dès lors que vous aurez changé les conditions de la représentativité des syndicats, dès lors que vous aurez créé les conditions du dialogue social permettant une discussion équilibrée entre les salariés et le patronat, notamment sur le contrat de travail, seul l'ordre public social relèvera de la loi, laissant aux branches le soin de discuter des éléments concrets. Nous devons donc aller vers une transformation progressive de l'ordre public social de la loi au contrat, plutôt que d'aller vers un contrat de travail unique. J'observe d'ailleurs, si j'en crois l'ensemble des représentants patronaux, qu'ils ont besoin de contrats de travail différents parce que les conditions économiques et les missions sont différentes.

Pierre Méhaignerie - Oui, pour les TPE et les PME, la peur de l'embauche est pour partie la conséquence de la rigidité du système actuel. Oui, nos voisins européens ont une plus grande souplesse. Que pouvons-nous faire ?

Je pense qu'il y a un deal à négocier, qui demandera peut-être un an compte tenu de la nouvelle loi, entre les organisations syndicales et les employeurs. Ce deal consiste à échanger un assouplissement par le contrat unique ou un assouplissement sur le CDI sur deux points qui sont l'insécurité juridique et parfois le coût très élevé, contre une sécurisation des parcours professionnels. Nous sommes en train de faire cette expérience de la sécurisation des parcours professionnels dans sept bassins d'emplois ; le premier bilan de l'expérience réalisée dans le bassin d'emplois de Vitré montre que le salarié est sécurisé, parce que pendant un an, il reçoit la totalité de son salaire, qu'il est encadré pour reprendre le plus rapidement possible un emploi, qu'il peut être compensé s'il y a une perte de salaire pendant deux ans. Je crois que la négociation peut être engagée et aboutir à un assouplissement du CDI ou à un contrat unique, contre une sécurisation des parcours professionnels.

M. Besson a été un peu caricatural, mais je rappelle que le rapport de Jacques Delors sur le CERC indique que dans la période 1996-2001, la France n'était qu'au neuvième rang sur les quinze pays européens pour le taux de croissance. Certes, on peut trouver des emplois, conséquences de décisions administratives, mais ce qui pèse, c'est la croissance du PIB. Il est vrai qu'entre 2001 et 2006, nous sommes toujours au huitième ou neuvième rang, ce qui veut dire que nous n'avons pas suffisamment, ensemble, engagé les réformes de structure. Néanmoins, nous en avons engagé une, puisqu'en un an, nous sommes passés de 46 milliards de déficit public à 36 milliards et nous nous sommes engagés à poursuivre en réduisant le déficit public d'un minimum de six milliards d'euros par an pour arriver à 60 % d'endettement dans les trois prochaines années.

Patrick Louis - Il est évident que nous sommes dans un univers incertain et totalement imprévisible ; un homme politique ne sait pas ce qu'il va se passer dans deux mois, mais un chef d'entreprise ne sait pas non plus ce qu'il va se passer dans six mois. Il y a une tenaille : l'angoisse du patron et le besoin de sécurité du salarié. S'il n'a pas de sécurité, le salarié n'osera pas innover ou s'opposer. Nous pensons qu'il faut développer le système scandinave de la « flexi-sécurité ». Un chef d'entreprise ne peut pas embaucher quelqu'un s'il sait qu'il ne peut pas s'en défaire, c'est évident ! On ne rentre pas dans une baignoire si on ne peut pas la vider. C'est l'ABC de l'économie, on n'achète pas d'actions s'il n'y a pas de marché secondaire, et donc, à partir de là, il faut autoriser cela, mais il faut que la situation du salarié le rassure véritablement.

C'est le contexte économique actuel totalement nouveau qui impose une nouvelle manière de s'organiser. Nos contrats sont trop complexes, il y a trop de formes juridiques, il faut les simplifier, s'appuyer sur la « flexi-sécurité », ne pas attendre qu'une entreprise soit au plus mal pour autoriser les licenciements, mais bien sûr garder les causes réelles et sérieuses. Le problème pour nous n'est pas tant la simplification du contrat de travail que celle du droit du travail, c'est aussi le rapport entre le SMIC et le RMI qui est dissuasif, le travail à temps partiel difficile à mettre en œuvre, alors qu'il en faudrait davantage, c'est le statut des salariés protégés et c'est le rôle des inspecteurs du travail.

Cet article fait partie du colloque Mettre l'emploi au cœur de la campagne