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Jour de carence maladie dans le public : une bonne proposition

Chaque année, selon nos estimations, le surcoût du taux d'absentéisme dans nos trois fonctions publiques s'élève à environ 7 milliards d'euros pour les deniers publics. Ce surcoût provient de deux causes : pas de délai de carence dans la fonction publique et indemnisation à 100 % pour les trois premiers mois de congés maladie ordinaire. Grâce au député Dominique Tian, qui a déposé un amendement proposant d'instaurer trois jours de carence dans le public comme dans le privé, il est devenu évident que l'État, les collectivités locales et les hôpitaux publics ne peuvent plus conserver un système tellement laxiste qu'il a pour effet concret d'encourager l'absentéisme des agents. Le gouvernement a tranché : ce sera 4 jours de carence dans le privé et 1 dans le public. La justification de cet écart est que 80 % des salariés du privé auraient en réalité leurs jours de carence pris en charge par leur employeur. La Fondation a voulu décrypter cette information qui s'avère fausse. Selon notre étude des conventions collectives, ce serait en réalité au maximum 49% des salariés du privé qui auraient les 3 jours carence pris en charge, d'après les conventions de branche. Explications.

Même les élus de collectivités locales et les directeurs d'hôpitaux publics, qui souffrent pourtant au jour le jour de l'absentéisme de leurs agents font semblant de découvrir le problème. En cas d'arrêt maladie, non seulement les salariés du secteur public et para-public n'ont pas de jours de carence [1], mais ils continuent à toucher la totalité de leur salaire pendant 3 mois au moins. Évidemment, ce traitement privilégié pour la fonction publique a un coût. Dans son édition du 15 novembre, Le Parisien a estimé que les arrêts maladie des 5 millions de fonctionnaires coûtent 6,4 milliards d'euros par an à la collectivité – 1.280 euros par salarié du public − tandis que les 15 millions de salariés du secteur privé ne coûtent que 8,7 milliards à l'assurance maladie – soit 580 euros par salarié −.

Le secteur privé privilégié ?

22 jours en moyenne par agent territorial, plus de 22 jours par agent des hôpitaux de Paris selon la Chambre régionale des comptes, l'absentéisme maladie du secteur public arrive à des taux jamais atteints. Les opposants à la création d'un jour de carence pour les agents publics ont assuré sur toutes les ondes que 80% des 18 millions de salariés du secteur privé ne subissent pas non plus de retenues pour jours de carence et sont payés ensuite à 100% par leur entreprise, qui complète les indemnités journalières de la Sécurité sociale. Ce chiffre de 80% nous a semblé largement surestimé et nous nous sommes penchés sur un échantillon 44 conventions collectives. Résultat : seulement 49 % d'entre elles prennent en charge les 3 jours de carence et encore pas toujours à 100 %. Cette indemnisation dépend aussi de l'ancienneté dans l'entreprise.

Pour ce qui est des jours suivants les trois jours de carence, chaque convention collective est différente. Certaines conventions prévoient par exemple un maintien du salaire à 100%, mais après un délai de carence de 5, voire 11 jours d'arrêt maladie. Un exemple parmi d'autres : la convention de branche des banques signée en 2000 prévoit une indemnisation complémentaire du salarié par l'entreprise pendant les 3 jours de carence lors des premier et deuxième arrêts pendant la même année. Au-delà, les 3 jours de carence ne sont plus indemnisés.

Dans les entreprises moyennes et grandes, des accords d'entreprise ont pu être négociés, plus avantageux pour les salariés que le droit commun et/ou les accords de branche. Cela ne concernerait que 5 millions de salariés sur plus de 17 millions [2]. Les cadres sont également plus favorisés que les ouvriers ou techniciens. Certaines conventions prévoient même explicitement que seuls les cadres sont indemnisés pendant les 3 jours de carence.

Pour les non salariés, (entrepreneurs, ou professions libérales), les jours non travaillés ne sont compensés par aucun revenu.

Les salariés "décrocheurs" : un critère très significatif

Les entreprises accordent une importance de plus en plus grande au taux d'absentéisme. Les études montrent qu'il s'agit d'un signal d'alerte révélateur de problèmes de motivation, de moral et de management de l'organisation. Cela se détecte aussi bien au niveau d'un service que d'un établissement : un responsable qui s'absente facilement pour des problèmes mineurs ou toujours la veille d'un pont, ne doit pas être surpris de l'attitude de ses salariés. Un taux d'absentéisme élevé montre que les salariés ne sont ni très intéressés par leur travail, ni très responsables des résultats (de leurs élèves ou de la production de leur usine par exemple), ni très solidaires de leur collègues, sur qui le travail va forcément retomber, dans le privé.

Article 19 de la Convention collective du 9 janvier 2008 de la métallurgie de l'Oise

« Les parties signataires s'accordent à reconnaître que l'absentéisme désorganise l'entreprise, met éventuellement à contribution les salariés présents et conduit à une perte de compétitivité de l'entreprise.
Il est de la responsabilité des parties signataires de promouvoir toutes mesures permettant de réduire l'absentéisme, notamment en matière de maladie. »

Cette convention concerne 20.000 salariés.
Source : Légifrance

Pour lutter contre cette forme d'absentéisme, quelques entreprises ont mis en place des primes de "présentéisme" individuelles. Une méthode copiée par les hôpitaux publics de Marseille, et qui a fait baisser le taux d'absentéisme de ces agents publics, grâce à une prime de présentéisme de 219 euros bruts.

Les jours de carence : une lutte efficace contre l'absentéisme

Il faut rappeler que les jours de carence ne sont pas une mesure créée pour "punir les salariés malades", mais bien pour lutter contre le phénomène de micro-absentéisme, sous prétexte de maladie. Or les trois jours de carence dans le privé sont déjà, comme le montre le graphique ci-dessous, dissuasifs, et on n'observe pas de remontée de l'absentéisme à partir du 4e jour :

Source : « Les absences au travail : une analyse à partir des données françaises du Panel européen des ménages », Sabine Chaupain-Guillot et Olivier Guillot, ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 408-409, 2007

Conclusion

Le système public est non seulement il est coûteux pour l'employeur c'est-à-dire l'État, donc les contribuables, puisque les jours de carence et de maladie sont payés à 100%, mais les taux d'absentéisme restent du même niveau que dans les emplois les moins qualifiés et les moins intéressants des entreprises les moins bien gérées. Même les 35 heures, qui étaient supposées faire baisser l'absentéisme dans ce secteur, l'ont en réalité fait augmenter.

A la décharge des responsables des ressources humaines du secteur public, il faut reconnaître qu'ils sont largement dépourvus de moyens d'action : les embauches par concours sont basées sur les connaissances plus que sur la compétence et la motivation, le responsable n'a que peu d'influence dans le choix de son nouveau collaborateur, les carrières et les salaires à l'ancienneté, les évaluations sous la pression des syndicats…

En attendant de réformer plus profondément le statut de la fonction publique, il est juste d'appliquer aux agents publics un jour de carence maladie. Les salaires des deux jours suivants pourraient être versés hors prime, comme le stipulent certaines conventions collectives du privé, et les indemnités complémentaires des 3 premiers mois pourraient être versées à 80% du salaire, primes comprises. Cette mesure pourrait permettre de faire des économies (entre 500 millions et 2 milliards d'euros) et surtout de faire baisser le taux anormal de congés maladie qui désorganise les services publics et donne souvent une fausse impression de manque de moyens. Petit bémol : était-il vraiment nécessaire d'ajouter un jour de carence dans le privé -où le taux d'absentéisme est deux fois moins fort- qui impactera d'abord les petits salaires ?

[1] Jours de carence : les trois premiers jours d'un arrêt maladie ne sont pas payés. Mesure destinées à décourager les arrêts de complaisance

[2] Source : « Les conventions collectives, au cœur des relations employeurs-salariés », interview du Professeur Jean-Emmanuel Ray, septembre 2009, La documentation française.