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ISF : vers une réforme de la fiscalité du patrimoine ?

Le fruit est (presque) mûr

Le Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO) vient de rendre son rapport sur le patrimoine des ménages, rapport que le président Philippe Séguin présentait la semaine dernière à la commission des Finances de l'Assemblée nationale.
Sans vouloir répondre directement à la question de savoir si l'ISF devait être supprimé, le CPO en faisait une étude critique d'où il ressort qu'une réforme d'ensemble de la fiscalité du patrimoine s'impose, et il semble bien que l'ISF n'aurait plus sa place dans un système rénové.

Première constatation, avec 65 milliards d'euros en 2007, le produit des prélèvements sur le patrimoine des ménages a considérablement augmenté au cours du temps et se situe en haut de l'échelle des pays de l'UE : il représente 3,4% du PIB français, contre 2,5% en 1997 (36% d'augmentation), et 1,9% pour la moyenne des 19 autres pays de l'UE membres de l'OCDE (soit 79% de plus). Et encore, ces chiffres ne tiennent-ils pas compte de la future « taxe RSA » de 1,1% sur les revenus du patrimoine.

Deuxième constatation, la France est maintenant quasiment le seul pays au monde taxant la détention de la fortune globale, immobilière et mobilière, en tant que telle. L'ISF est de nos jours une taxation portant essentiellement sur le foncier.
D'autres pays, comme le Royaume-Uni ou certains Etats américains, taxent la propriété immobilière, par le moyen des taxes foncières qui peuvent être plus élevées qu'en France.
En Allemagne, la suppression de l'ISF a été compensée par un relèvement de 3% de l'impôt sur le revenu. Mais il ne s'agit pas d'imposition « sur la fortune », qui, comme le relève le CPO, crée des inégalités fiscales entre personnes de revenus équivalents mais dont le patrimoine est différent, même s'il est improductif.
Par ailleurs, la France se singularise par une fiscalité qui comprend à la fois l'imposition foncière quasiment la plus lourde des pays examinés et une imposition sur la fortune.

Troisième constatation, l'ISF est une imposition très pénalisante, d'assiette étroite et de taux lourd et progressif, dont le rendement est au total faible (1,5% des prélèvements obligatoires en ne tenant compte que du bouclier fiscal à 60 % et non à 50 % comme applicable depuis 2008), et dont le dispositif est maintenant « mité » par un grand nombre d'exonérations compliquées, voir inintelligibles.

Philippe Séguin assigne idéalement à la fiscalité du patrimoine un triple objectif : un rendement optimisé, le moins possible d'effets économiques négatifs, et une juste répartition de l'impôt en fonction des capacités contributives. Et il conclut qu' « un système d'imposition fondé sur des assiettes larges et des taux proportionnels et neutres entre les différents types d'actifs paraît correspondre à un tel schéma, et est de plus en plus répandu en Europe. Est-il transposable en France ? »

Philippe Séguin ne répond pas à la question qu'il pose ainsi. Mais il n'est pas besoin d'être grand clerc pour comprendre qu'il appelle de ses vœux une réforme de la fiscalité du patrimoine d'où l'ISF serait absent, à condition cependant qu'il s'agisse d'une réforme d'ensemble de cette fiscalité, comprenant en particulier une révision de la taxe foncière dont les bases sont à la fois incompréhensibles et invalides parce que très anciennes – ce que personne ne contestera.

D'une façon générale, il est bon que le rapport du CPO tire la sonnette d'alarme sur l'accroissement considérable de la fiscalité du patrimoine en France, laquelle atteint ses limites et pose de nombreuses questions sur l'équilibre souhaitable entre les différentes ressources fiscales et une nécessaire cohérence au niveau de l'Europe.
Dans cette optique, il semble bien que l'ISF soit un fruit prêt à tomber de l'arbre aux impôts. Réclamer une suppression pure et simple ne serait probablement pas la bonne méthode.
En disant que le CPO « considère qu'une imposition du patrimoine est légitime (…) encore faut-il l'organiser de manière légitime et rationnelle », Philippe Séguin paraît tracer une voie acceptable par la majorité des Français pour instaurer une imposition à base large et à taux faible qui soit autre chose qu'un ISF simplement destiné à bouter les riches hors de France.

Deux principes pourraient être retenus :

- D'abord une réforme d'ensemble de la fiscalité sur le patrimoine immobilier, incluant la taxe foncière et la taxe d'habitation.
En effet, les bases de l'ISF et de la taxe foncière ne sont pas les mêmes dans la mesure où le contribuable évalue lui-même la valeur du bien pour l'ISF alors que la taxe foncière est calculée sur un ensemble de paramètres administratifs extrêmement compliqués et non publics.

- D'autre part l'élimination de toute imposition sur la détention de la fortune mobilière.
C'est en effet au regard de la fortune mobilière que la France se distingue défavorablement des autres pays. Lorsqu'un contribuable quitte la France, il continue d'acquitter l'ISF sur sa fortune immobilière située en France. En revanche il cesse d'être taxable sur sa fortune mobilière, c'est-à-dire les capitaux qui représentent les actifs les plus nécessaires à l'économie. Beaucoup plus qu'en raison de la perte de la contribution ISF, la fuite des contribuables à l'étranger pénalise la France parce que ces contribuables emmènent avec eux les capitaux dont nous avons tant besoin. Il est quand même paradoxal à ce sujet que seules les œuvres d'art aient été exclues de l'assiette de l'ISF, au motif de ne pas pénaliser le marché de l'art français, et que le marché des capitaux détenus par les particuliers soit, quant à lui, pénalisé – alors que les capitaux investis dans les entreprises sont plus utiles à l'économie que des œuvres d'art dormant sous les lambris.