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Interview | Philippe Burnel et le management de l'hôpital

Philippe Burnel est délégué Général de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) depuis 2007. Il répond aux questions de la Fondation iFRAP sur le management de l'hôpital.

Fondation iFRAP : Avant d'être Délégué Général de la Fédération de l'Hospitalisation Privée, vous avez exercé plusieurs postes de direction dans le secteur de l'hospitalisation publique. A la lumière de cette double expérience, estimez-vous que diriger une clinique et un hôpital sont des métiers similaires ? Exigent-ils des profils différents ?

Philippe Burnel : Ce sont des métiers similaires du fait du milieu dans lequel le directeur d'établissement exerce et qui structure une partie du métier : relations avec la tutelle, relations avec les médecins, proximité des sujets médicaux. Dans les deux cas, il est difficile de faire ce métier sans se passionner pour les questions médicales et d'accueil de personnes en situation de souffrance. Pour autant, si les finalités sont les mêmes, les rouages des « mécaniques de fonctionnement » ne sont pas les mêmes. Les cliniques sont des entreprises privées soumises aux strictes lois de l'économie, alors que les hôpitaux publics restent des administrations régies par les statuts et les règles. Incertitude du lendemain d'un côté, pérennité garantie de l'autre. La préoccupation du client est plus prégnante au sein des cliniques, les patients restant encore souvent avant tout des usagers du service public à l'hôpital. Enfin, la dimension plus réduite des structures privées conduit le directeur à être davantage au cœur du fonctionnement opérationnel, là ou l'équipe de direction d'un hôpital public est en posture plus éloignée. Ces différences de métier entraînent des profils différents pour les managers : Exigence de performance gestionnaire d'un côté avec ce qu'elle signifie d'implication concrète et quotidienne dans la marche de son établissement, exigence de performance plus politique et stratégique de l'autre pour des directeurs moins sollicités par le terrain et plus centrés sur la relation avec leur environnement politique et institutionnel. Bien sûr, il s'agit ici d'archétypes au sens sociologique du terme et la réalité est moins tranchée surtout depuis que l'introduction de la T2A tend à modifier les comportements des responsables des établissements publics. Pour autant, les différences décrites persistent.

Fondation iFRAP : En quoi la profession de directeur d'établissement de soins est-elle proche et/ou éloignée de celle de directeur d'entreprise de production ou de service ?

Philippe Burnel : Comme n'importe quel chef d'entreprise le directeur d'un établissement de santé a la responsabilité d'organiser un processus de production garantissant le meilleur service à ses clients, d'assurer l'équilibre de l'exploitation et de promouvoir le développement de son entreprise. Les conditions d'exercice de sa fonction diffèrent toutefois d'une entreprise traditionnelle dans la mesure où ce secteur relève de l'économie administrée avec une forte présence de l'État qui fixe les normes techniques de fonctionnement et les prix de vente. Surtout, la finalité de l'entreprise est porteuse de valeurs et d'exigences éthiques qui sont probablement plus présentes que dans une entreprise traditionnelle de production de biens ou de services. Le client est dans une situation particulière de faiblesse et de dépendance qui implique de la part de l'entreprise une attitude de bienveillance qui va au-delà de la satisfaction formelle du client d'une entreprise marchande. Par ailleurs, les médecins qui jouent un rôle essentiel dans le volume et la qualité de la production sont, au sein des cliniques, des travailleurs indépendants, heureusement soumis à des incitatifs, notamment en matière de rémunération, globalement convergents avec ceux de la clinique.

Fondation iFRAP : Vous vous être prononcé pour la diversité dans le recrutement des directeurs de Cliniques et d'Hôpitaux. Pourquoi ?

Philippe Burnel : Ce n'est pas un procès en compétence fait aux directeurs d'hôpitaux publics – celle-ci n'est pas en cause -, mais le résultat du constat des effets néfastes d'un recrutement consanguin fondé sur les mêmes critères de sélection initiale, la même formation et une part (trop) importante à la formation par compagnonnage et enfin peu d'entrées dans le corps des directeurs en provenance d'autres métiers. De ce fait, les jeunes générations sont insuffisamment porteuses de renouveau et de contestation des pratiques anciennes et alignent très vite leurs comportements sur ceux de leurs aînés. A l'inverse, les cliniques ont un recrutement plus diversifié non seulement en termes de formation initiale mais également en termes de parcours dès lors qu'elles recrutent aussi des responsables expérimentés venant d'autres secteurs économiques. La recherche de compétences fonctionnelles (spécialistes RH, finances, logistiques…) l'emporte sur la connaissance du métier hospitalier qui prévaut à l'inverse chez les directeurs d'hôpitaux qui passent plus facilement d'un champ fonctionnel de management à un autre.

Fondation iFRAP : Comment vous situez-vous dans le débat « directeur médecin » ou « directeur ingénieur » ou « directeur école de commerce » ?

Philippe Burnel : C'est évidemment avant tout une affaire d'hommes et de cursus. Ceci dit, il me semble que les soignants qui ont franchi le Rubicon pour s'intéresser à la gestion bénéficient d'un avantage par rapport à des managers issus de filières de formation de type école de commerce ou ingénieur. Ils ont une forme « d'épaisseur » professionnelle supérieure que leur donne leur connaissance du cœur du métier et la sensibilité aux problèmes des soignants ou des besoins des patients. Ce n'est évidemment pas une règle générale et ce constat n'est pas de nature à remettre en cause l'intérêt de profils diversifiés. Mais, disons simplement que quand le changement de métier est réussi, la double compétence est à l'évidence un plus. Par ailleurs, quel que soit le profil du directeur, son efficacité dépend de son aptitude à travailler avec les équipes médicales. A l'hôpital public, en mixant au sein des directoires des établissements publics les profils administratifs et des médecins, la loi HPST a introduit un facteur de changement positif et intéressant dont l'effet est à suivre au cours des prochaines années. Il y a là une source d'émulation et de synergie qui peut peut-être renouveler la gestion hospitalière

Fondation iFRAP : Vous êtes vous-même diplômé de l'ENSP qui a formé la quasi-totalité des directeurs d'hôpitaux publics. Cette Grande Ecole s'est transformée en EHESP (Ecole des Hautes Etudes de la Santé Publique). Cette évolution vous semble-t-elle positive ? Souhaiteriez-vous que le mode de recrutement, les profils des étudiants ou le cursus des études soient modifiés ?

Philippe Burnel : La transformation de l'ENSP en EHESP correspond d'abord à la volonté de sortir l'École du cadre restreint d'une école d'application administrative pour en faire un lieu d'enseignement et de recherche d'un haut niveau académique. C'est évidemment une bonne chose.
S'agissant des directeurs d'hôpitaux, il est surtout important de diversifier les profils de recrutement en direction des écoles de commerce, d'ingénieurs ou des métiers de la santé. Il s'agit aussi de diversifier les parcours de formation au cours de la scolarité à l'École en permettant notamment aux étudiants de faire des stages au sein des cliniques ou d'autres structures de santé (industrie, réseaux, grands cabinets médicaux) et pas seulement au sein d'établissements publics.
Mais encore une fois, quelle que soit la qualité de la formation, il est absurde de maintenir une seule source de recrutement des cadres de direction. Les équipes de direction hospitalières doivent être plus diversifiées et les allers et retours être possibles entre le management hospitalier et celui d'autres secteurs économiques.

[(Philippe Burnel est délégué Général de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) depuis 2007.

Diplômé d'administration hospitalière de l'école des hautes études en santé publique (EHESP), docteur en sciences économiques, Philippe Burnel a été directeur des systèmes d'information et de l'organisation au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers puis de Montpellier. Chef de la mission programme de médicalisation des systèmes d'information au ministère de la santé, Chargé de mission à l'agence régionale de l'hospitalisation (ARH) d'île de France, Chef de la mission cliniques privées puis adjoint au sous directeur des affaires financières au ministère de la santé, Directeur de l'accréditation à l'agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (Anaes) puis directeur de l'accréditation et de la certification à la haute autorité de santé (HAS).)]