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Intervention de Éric Besson

Colloque "Mettre l'emploi au coeur de la campagne"

5 millions d'emplois marchands créés en France en 20 ans, comment en créer 5 à 7 millions en 10 ans ?

Franck Stepler - Je vais demander à nos quatre intervenants de nous expliquer comment les candidats que vous représentez comptent répondre à cette question au travers de leur programme présidentiel.

Éric Besson - Le bilan est lourd : une croissance faible. Elle est plus faible pour la première fois depuis dix ans que la croissance allemande, plus faible que celle de la zone de l'OCDE, plus faible que celle de la zone euro et plus faible que la croissance mondiale qui, en 2006, était la plus forte depuis trente ans avec un taux de 5 %. La croissance mondiale de la législature qui s'achève a été globalement bien supérieure à la croissance mondiale de la législature précédente. Pour ce qui concerne le chômage, on est resté grosso modo à 9 % de la population active. Dans son introduction, le président Zimmern a bien voulu reconnaître que lorsque Lionel Jospin était à Matignon, la courbe s'était « légèrement » améliorée. Je donnerai deux chiffres : sous la législature actuelle, nous en sommes à 165 000 emplois créés, contre 1 800 000 emplois sous la législature précédente, ce qui fait un rapport de un à dix. Il ne suffit pas d'avoir des slogans sur le partage du travail, il faut à un moment s'intéresser aux résultats, et les résultats sont là. S'agissant de la dette, j'ai entendu qu'en 2002, nous n'avions pas été bons parce qu'elle avait trop faiblement augmenté ; elle a augmenté de 300 milliards d'euros en une législature – je n'ai pas besoin de beaucoup insister ! Les prélèvements obligatoires, il fallait les baisser, ils ont augmenté d'un point. Le déficit du commerce extérieur est de 30 milliards d'euros ; niveau que n'avait jamais connu le commerce extérieur depuis que la statistique existe en France.

Pierre Méhaignerie nous a aidés à rester jeunes ; en effet, le discours qu'il a tenu est exactement celui que j'entendais en 2002 lorsque nous étions à peu près dans les mêmes conditions. Le gouvernement Jospin n'aurait pas très bien agi et on allait voir ce qu'on allait voir : libérer les énergies, baisser les charges, baisser les cotisations sociales, baisser les prélèvements obligatoires, etc. En 2007, c'est à peu près la même chose, sauf que Pierre Méhaignerie est plus prudent, au lieu de parler du bilan depuis cinq ans, il remonte jusqu'à dix ans, voire vingt-cinq ans, disant que nous n'avons pas très bien réussi. Je lui rappellerai que c'est la majorité qu'il soutient qui gouverne depuis cinq ans, donc pourquoi ce gouvernement n'a-t-il pas fait ce qu'il avait dit en 2002 ?

De quoi avons-nous besoin ? Nous avons besoin d'une croissance forte et de politiques ciblées qui relèvent des pouvoirs publics. La croissance forte ne se décrète pas, c'est une évidence, mais elle peut être fortifiée, dopée ou elle peut être au contraire affaiblie. Cela veut dire qu'il faut avoir un bon diagnostic et qu'il ne faut pas gaspiller inutilement des milliards d'euros – je pense, par exemple, à la baisse de l'impôt sur le revenu qui était injuste socialement, mais surtout inefficace économiquement.

Nous avons besoin d'un colossal effort de recherche et d'innovation à définir entre la part qui relève de l'État et qui doit être augmentée – c'est pour cela que Ségolène Royal a pris l'engagement d'augmenter de 10 % par an pendant cinq ans le budget de la recherche –, et celle qui relève des entreprises qui n'ont pas, par rapport à la moyenne de l'OCDE, un effort de recherche et d'innovation suffisant. Cela veut dire que l'État, les collectivités locales et les entreprises doivent définir ensemble les secteurs stratégiques sur lesquels nous prenons du retard, ce qui explique nos 30 milliards de déficit du commerce extérieur à comparer aux 130 milliards d'excédent de l'Allemagne actuellement.

Nous avons besoin d'aider spécifiquement les PME-PMI. Pour notre part, nous estimons que les TPE sont plutôt bien aidées aujourd'hui, des efforts ont été faits en matière de création d'entreprise, que les grands groupes bénéficient d'un certain nombre d'aides, mais qu'il nous faut probablement renforcer les aides en faveur des PME-PMI, capital-risque, capital-développement.

Nous avons besoin d'un effort de réindustrialisation sur place, c'est-à-dire de faire un effort préventif pour pallier l'une des plaies de notre pays. Nous avons des zones de mono-industries avec des industries vieillissantes, ce qui fait que leur fermeture génère des drames sociaux que tout le monde connaît, il s'agit donc de faire un effort d'anticipation pour éviter que survienne la catastrophe et, malheureusement, lorsqu'elle est survenue, mettre des moyens importants pour la réindustrialisation sur place.

Il nous faut encourager l'investissement. Nous pensons que l'impôt sur les sociétés, spécifiquement pour les grandes entreprises, les petites bénéficiant déjà d'un taux réduit sous couvert d'un plafond, doit être modulé, le profit taxé différemment selon qu'il est réinvesti dans l'entreprise (moins taxé) ou distribué en actions (plus taxé). Nous voulons une fiscalité qui soit plus favorable au travail et à l'emploi, portant sur la fiscalité individuelle – peut-être aurons-nous l'occasion de discuter de ce que devrait être pour nous l'incitation au travail, ce que pourrait être un rapprochement de l'assiette de l'impôt sur le revenu de l'assiette de la CSG. Nous pensons, par exemple, qu'il convient de ne pas privilégier les successions, mais s'il faut faire des efforts fiscaux, les faire en faveur des fruits du travail et pas en faveur de la succession.

Pour ce qui concerne la fiscalité de l'entreprise, nous voudrions débattre de ce que pourrait être un basculement progressif des cotisations sociales sur la valeur ajoutée plutôt que sur le travail. Nous pensons qu'il faut lancer une grande réflexion sur les exonérations de cotisations sociales qui représentent environ 23 milliards d'euros, qu'il faut les moduler en fonction des conditions d'emploi et encourager le CDI. Je pense inutile de préciser que nous ne sommes pas favorables au contrat nouvelle embauche qui ne nous a pas paru convaincant. Nous voulons utiliser ces exonérations de cotisations sociales pour améliorer la grille des salaires. L'un des problèmes que l'on a, ce n'est pas le niveau du SMIC – à nos yeux insuffisant –, mais le tassement de la grille des salaires, donc comment utiliser les exonérations de cotisations sociales pour faire en sorte que le tassement soit moindre ? Nous avons des suggestions à faire sur cette question.

Nous pensons que nous devons aller vers une harmonisation sociale et fiscale au niveau européen. Ne nous faisons pas d'illusions, nos partenaires ne nous attendent pas et il ne suffit pas de le dire pour que cela marche ! En revanche, il n'est pas interdit de lancer des négociations pour aller dans ce sens. Cela veut dire une assiette commune de l'impôt pour les sociétés – sujet en cours de discussion à Bruxelles – qui pourrait s'accompagner d'un taux minimal commun. C'est quelque chose à envisager, sinon, nous entrons dans des stratégies de dumping fiscal qui peuvent être suicidaires pour l'Union européenne. Cela veut dire également mieux utiliser le tarif extérieur commun ; c'est un outil qui existe, qui n'est pas du protectionnisme aveugle, qui peut permettre de faire bénéficier de coopérations renforcées de blocs régionaux harmonisés à blocs régionaux harmonisés. Nous pensons qu'il faut une politique plus intelligente de la concurrence qui pour l'instant est trop orthodoxe et ne permet pas l'émergence de champions européens industriels. Nous pensons aussi que la BCE doit, non pas voir son autonomie ou son indépendance enlevée, mais réintroduire dans ses statuts le fait que la croissance et l'emploi doivent être parmi les objectifs qu'elle s'assigne, au même rang que la lutte contre l'inflation.

Pour ce qui concerne les politiques publiques, une méthode, la négociation. C'est pour cela que Ségolène Royal propose, si elle est élue, dès son entrée en fonction, une grande conférence nationale sur les emplois, les salaires, le temps de travail, la protection sociale, l'État disant ou suggérant ce qu'il a en tête, mais laissant aux partenaires sociaux le soin d'en décider. Ce qui suppose au passage des syndicats forts et représentatifs pour pouvoir signer ce que l'on appelle des accords majoritaires. Un effort particulier est à faire pour le service public de l'emploi, d'où le débat sur le rapprochement ANPE et UNEDIC. Le point clé pour Ségolène Royal, la sécurisation des parcours professionnels, ce qu'elle a appelé « la couverture professionnelle universelle ». Cela se traduit par un effort spécifique en faveur de l'emploi des jeunes et cela veut dire en finir avec le non-emploi ou l'insuffisance d'emploi des plus de 55 ans. Enfin, négocier dans un contexte d'équilibre entre droits et devoirs une couverture chômage qui soit plus performante, c'est-à-dire pas de générosité accompagnée de laxisme, mais une meilleure indemnisation, un suivi personnalisé, un accompagnement, et en même temps, une incitation à la recherche d'emploi avec refus d'indemniser perpétuellement s'il y a volonté manifeste de ne pas revenir sur le marché du travail.

C'est donc pour nous un cocktail qui avait réussi en 1997 avec ce que l'on avait appelé la relance Strauss-Kahn : croissance forte avec des politiques ciblées en faveur de l'emploi.

Cet article fait partie du colloque Mettre l'emploi au cœur de la campagne