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Intermittents : le déficit sanctuarisé

Le ministère de la Culture se dit las des « crises à répétition » avec les professionnels du spectacle. Alors le gouvernement dans la nouvelle loi sur le dialogue social défendu par François Rebsamen, a choisi de « sanctuariser » le régime d’assurance chômage des intermittents et d’intégrer les syndicats représentatifs des métiers du spectacle aux négociations sur la convention d’assurance chômage. Il suit ainsi les conclusions du rapport de concertation remis en janvier au Premier ministre par Hortense Archambault, Jean-Patrick Gille et Jean-Denis Combrexelle qui enterrait toute véritable réforme des intermittents du spectacle. En dépit des recommandations de la Cour des comptes, rien n’est donc fait pour corriger les déséquilibres structurels du régime : 1,263 milliard d’euros d’allocations versées contre 232 millions d’euros de cotisations perçues. Au total un quart du déficit de l’Unedic depuis 10 ans pour seulement 3,5% des cotisants. C’est donc un joli cadeau que le gouvernement vient de faire aux intermittents afin d’acheter un peu de paix sociale à l’approche des festivals. 

Soigner les effets sans s’intéresser aux causes

Le gouvernement explique que les différentes crises qui ont jalonné les négociations entre partenaires sociaux depuis vingt ans (notamment 2003 et 2014) sur le régime d’allocation chômage des intermittents, ont engendré inquiétude et insécurité chez les différents acteurs, qui nuisent à la sérénité et à la qualité nécessaires des débats. Certes. On ne peut qu’être d’accord sur le constat. 

Mais le problème est que le gouvernement propose alors de sanctuariser dans la loi le régime des intermittents pour ôter cette « dimension émotionnelle et symbolique aigüe » des débats (ce qui déjà relève de l’incantation). Une ambition que l’on retrouve dans l’étude d’impact : pas de calcul des conséquences économiques d’une sanctuarisation mais une analyse sur la loi qui permettrait d’éviter les « mouvements sociaux dans le secteur du spectacle et de limiter leurs impacts sur ce secteur et plus globalement sur l’économie locale (liée au tourisme culturel), ce type de mouvement ayant entraîné par le passé la perturbation, voire l’annulation, d’événements, de représentations, de festivals, etc. ». Mais c’est vouloir soigner les effets sans toucher aux causes. En effet, il aurait fallu se demander quelle était l’origine de ces crises… Or ces crises, dont le ministère de la Culture semble si las, ne sont-elles pas les inévitables conséquences d’un système déséquilibré et peu efficace ? Et leur répétition, le signe qu’aucun ministre, par manque de courage, n’a réussi à réformer le régime en profondeur, obligeant alors ses successeurs à s’y reprendre chacun à leur tour ? « On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré », disait malicieusement Einstein. Le projet de loi du gouvernement est un clin d’œil. 

L’inévitable fuite en avant du régime ?

Il est illusoire de penser que cette inscription du régime dans la loi n’aura d’autres résultats que d’encourager une fuite en avant du régime ; en effet pourquoi remettre en cause des privilèges que le législateur vient de reconnaître dans leurs principes ? La loi aura beau jeu d’« enchâsser » les négociations professionnelles et interprofessionnelles ou encore d’officialiser l’existence d’un comité d’expertise (au demeurant de bonnes initiatives), il n’en demeurera pas moins difficile de rogner sur les conditions de cotisations et d’affiliation du régime une fois celui-ci consacré. 

Le gouvernement légitime ainsi implicitement le déséquilibre financier du régime des intermittents. Et alors qu’il assume déjà la charge du différé d’indemnisation depuis novembre 2014 (le décret ne pose d’ailleurs pas de date de fin du dispositif), l’État devrait progressivement prendre la main sur l’indemnisation des intermittents du spectacle. En effet, selon les informations de l’OBS, le ministère du Travail explique désormais qu’avec la nouvelle loi, le régime d’assurance chômage des intermittents devrait être complètement pris en charge par l’État et non plus par l’Unedic.

Le privilège des intermittents sur les intérimaires 

La loi dispose dans son article 20 (titre II) que « pour tenir compte des modalités particulières d’exercice des professions de la production cinématographique, de l’audiovisuel ou du spectacle, les accords relatifs au régime d’assurance chômage mentionnés à l’article L.5422-20 comportent des règles spécifiques d’indemnisation des artistes et techniciens intermittents du spectacle, annexées au règlement général annexé à la convention relative à l’indemnisation du chômage ». Désormais, il est acté que l’inégalité devant les règles d’indemnisation entre intermittents du spectacle et salariés du privés est légitime.

Et le paradoxe est d’autant plus grand si l’on compare les règles d’indemnisation des intermittents et des intérimaires :  « L’existence de règles spécifiques d’assurance chômage pour les intermittents du spectacle consacrées par le projet de loi ne portent pas atteinte au principe d’égalité devant la loi […] dès lors que le secteur des professions du spectacle se singularise par une très forte flexibilité liée au mode d’activité par projet qui se traduit par le recours majoritaire au contrat à durée déterminée d’usage », voici la conclusion du Conseil d’État. Une argumentation qui fait grandement écho à la situation des intérimaires. Ainsi, la Fondation iFRAP maintient que rien ne justifie les conditions avantageuses dont bénéficient les intermittents du spectacle en matière d’ouverture de droits (10 mois contre 28) et d’indemnités (cf. tableau) ; ces avantages sont en réalité une subvention déguisée dont le montant est supporté uniquement par les salariés du privé.

La proposition de la Fondation iFRAP 

  • Supprimer le régime des intermittents du spectacle pour le fusionner avec celui des intérimaires : Cette fusion peut s'opérer de deux façons, soit supprimant définitivement le système en place en rattachant les intermittents du spectacle au régime des intérimaires ; soit en combinant progressivement un modèle hybride rattachant les nouveaux intermittents au régime des intérimaires tout en permettant aux « anciens » intermittents de conserver leur régime avantageux. L'alignement du régime des intermittents sur celui de l'interim entraînerait une économie de 320 millions d'euros par an (somme de l'actuel différentiel entre les deux régimes).