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Grand emprunt national - Comment éviter le gâchis ?

Limites des investissements de l'Etat

La propension des Français à refaire les mêmes erreurs est étonnante si l'on en croit un article du Figaro annonçant que pour l'emploi du grand emprunt, « Bercy déborde d'imagination ». A partir d'une enquête de McKinsey sur les secteurs porteurs des industries et des services, l'article de citer pêle-mêle « un prototype de réacteur nucléaire de quatrième génération, (…) des plates-formes de recherche sur les bio-médicaments ou de renforcer le programme Airbus 350 ».

Nous voulons croire qu'il s'agit d'une opération politique pour continuer de convaincre les Français que le gouvernement s'occupe d'eux et que la ministre des Finances, Christine Lagarde, a suffisamment connaissance de l'industrie et des désastres auxquels aboutit l'Etat lorsqu'il se mêle de vouloir créer les secteurs d'avenir, pour ne pas les répéter. Mais il est bon de marquer le périmètre d'intervention que l'Etat devrait s'imposer pour ne pas envoyer une fois de plus l'argent des Français au ruisseau.

Rappelons tout d'abord que la presque totalité des plans industriels ont été des désastres financiers, que ce soit le plan calcul qui nous a mis définitivement hors course de la fabrication des ordinateurs, le plan machine-outils qui a contribué à faire descendre la France très en dessous de l'Italie ou de la petite Suisse, etc.
Les interventions de l'Etat pour aider l'innovation ont été pareillement un gâchis d'argent public ; rappelons l'Anvar créé en 1967 pour stimuler les brevets et qui dix ans plus tard a dû arrêter après des pertes de quelques centaines de millions de francs mais a continué par une aide aux entreprises dont l'impact est beaucoup plus difficile à mesurer et qui a pu survivre jusqu'en 2005 pour découvrir un trou dans le budget de 260 millions et s'apercevoir que cet organisme n'avait même pas une comptabilité de ses engagements auprès des entreprises.

A cette liste, on peut ajouter plus récemment l'Agence de l'Innovation Industrielle (AII) de Jacques Chirac ou le fonds de 2 milliards empruntés pour créer France-Investissement dont on n'entend plus parler.
Rappelons que l'AII avait à grand fracas financé un moteur de recherche qui devait concurrencer Google et tourne au fiasco absolu.

C'est que l'Etat est le plus mauvais décideur lorsqu'il s'agit de faire germer les industries du futur. Lorsque ces industries apparaissent sur l'écran radar du gouvernement ou même de McKinsey, c'est qu'il est déjà trop tard : les places, à commencer par les brevets, sont déjà prises par les pionniers qui ont ouvert la voie. Car, s'il y a bien un domaine qui échappe à la prospective, c'est bien celui des industries de l'avenir.
Rappelons que le découvreur de la radio-transmission était convaincu que celle-ci ne pouvait servir qu'aux transmissions type Morse et pas à la voix, que Bill Gates voulait vendre le logiciel DOS qui a fait sa fortune à IBM pour 50.000 $ et qu'heureusement pour lui, IBM a été suffisamment aveugle pour refuser, qu'Intel avait donné en 1972 l'exclusivité des micro-processeurs qui sont son coeur de métier à Bucicom au Japon avant d'en découvrir la portée et les récupérer grâce au dépôt de bilan du Japonais.

Si ces spécialistes n'ont pas prévu l'avenir, que peut-on attendre des autres ? En réalité, l'Etat n'a à sa disposition que deux moyens pour aider l'avenir à émerger.

Le premier est d'investir dans des secteurs d'avenir prévisibles mais où la barrière à l'entrée est un niveau d'investissement inaccessible aux entreprises privées. C'est le cas du nucléaire et du spatial qui sont les deux secteurs où l'Etat français a réussi. Mais hors du domaine de la fusion nucléaire, déjà à Tricastin, nous n'en voyons pas beaucoup d'autres.

Le second est de mettre en place un mécanisme qui assure le financement du démarrage des bonnes idées. Et comme personne ne sait qui est la bonne, d'avoir une multitude de sources de financement, en concurrence les unes avec les autres et pas seulement Oséo ou la Caisse des Dépôts et Consignations. On attend toujours que le gouvernement mette en place l'équivalent du programme SBIC (Small Business Investment Corporations) américain créé il y a 51 ans, qui a donné lieu à l'apparition de 500 centres SBIC de financement d'entreprises innovantes en 5 ans et qui a à son actif quelques réussites remarquables comme Fedex ou Reebok.

On attend surtout que le gouvernement mette en place des dispositifs fiscaux qui incitent les particuliers riches à investir dans les créations d'entreprise. Le programme ISF-TEPA a été un premier pas mais trop timide car il aide les petits investissements, pas ceux de quelques centaines de milliers d'euros qui sont la clé du démarrage des entreprises de croissance comme Google ou Intel.

Il est assez désespérant de voir notre pays investir des milliards d'euros dans des mirages et se contenter de programmes qui font participer les fortunes privées pour quelques centaines de millions alors que les exemples américains ou anglais montrent qu'il faudrait dix fois plus.
Dans le plan de réforme du gouvernement qui fait enfin bouger ce pays, il manque la réforme la plus importante : non pas faire financer les voies industrielles de l'avenir par l'Etat, même avec les meilleurs conseils, mais faire investir les Français les plus aisés ; à eux de choisir les innovations où investir ; à eux de prendre leurs risques avec leur argent, pas celui des autres. A l'Etat de les faire se multiplier en diminuant ces risques par des processus automatiques de déductions d'impôt, en cas d'échec.

S'il est un reproche qu'on peut formuler à l'égard de notre gouvernement, c'est de ne pas avoir suffisamment associé la société civile, et son secteur le plus dynamique, les entrepreneurs, à notre redressement ; de continuer à vouloir faire tout dépendre du dieu Etat là, où, de façon patente, il est impuissant, au lieu d'inviter les Français à participer à cet effort en leur laissant le choix d'investir leur argent là où ils pensent qu'il a le maximum de chances de prospérer.