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Fiscaliser et réorganiser les allocations familiales

L'impératif de réduction des dépenses publiques fait resurgir la question des 12,4 milliards d'allocations familiales (proprement dites) versées sans condition de ressources à tous les foyers d'au moins deux enfants. Certains évoquent de nouveau la mise sous condition de ressources, qui a été en vigueur quelques mois sous le gouvernement Jospin, d'autres, comme le Président de la Cour des comptes, leur fiscalisation. La Fondation iFRAP a toujours été opposée à la mise sous condition de ressources des prestations familiales, mais éventuellement favorable à leur fiscalisation, mais attention, les plus importants gains sont à rechercher dans les coûts de gestion de la Sécurité sociale, ce qui va de pair avec la réorganisation de la pléthore d'allocations de la politique de la famille et la fiscalisation de l'ensemble.

De quelles allocations parle-t-on ?

La politique de la famille engage des fonds qui correspondent environ (selon la définition que l'on utilise pour cette politique) à ceux gérés par la branche famille de la Sécurité sociale, soit 55,5 milliards d'euros (chiffres 2010), sur lesquels 7,9 milliards correspondent à la sous-branche maternité, et 47,6 à la sous-branche famille stricto sensu. En ne retenant que l'essentiel des allocations proprement dites (par exemple hors dépenses de crèches, ou de l'aide sociale à l'enfance), nous faisons figurer ci-dessous leur coût pour la collectivité, en distinguant celles qui sont versées sous condition de ressources et celles qui ne le sont pas.

Tableau des allocations liées à la politique de la famille (branche famille, hors maternité sauf prime de naissance, hors crèches et hors aide sociale à l'enfance)
Type d'allocationCondition de ressourcesCoût pour la collectivité (en milliards d'euros)
Allocations familiales (AF) non 12,4
Complément familial (CF) oui 1,6
Allocation de soutien familial (ASF) non 1,3
PAJE Prime de naissance oui 0,7
Prime d'adoption oui 0,005
Base oui 4,2
Allocation d'adoption oui 0,016
Clca et Colca (libre choix d'activité) non 2,2
Choix de garde (assistant maternel) oui 4,9
Employé à domicile oui 0,4
Allocation différentielle (handicap) oui 0,018
Allocation de rentrée scolaire (ARS) oui 1,5
Bourses d'études (hors enseignement supérieur) oui 0,9
Autres (non détaillé) ? 6
Total sous condition de ressources (sauf autres non identifiés) 15,5
Total sans condition de ressources (sauf autres non identifiés) 15,9
Source : DARES, chiffres 2010.

On voit que le total d'environ 31,4 milliards se répartit à peu près également entre allocations sous condition et allocations sans condition de ressources. A l'intérieur de ces dernières, les allocations familiales proprement dites (AF) représentent 12,4 milliards, soit moins de 40% du total. Il est donc nécessaire d'avoir une vue d'ensemble lorsqu'on évoque les allocations liées à la famille.

Non à la mise sous condition de ressources des allocations familiales proprement dites

Commençons par être clairs sur la mise sous condition de ressources. A l'époque actuelle où l'on recherche à la fois la réduction des dépenses publiques et la justice sociale, on est évidemment interpellé par le paiement mensuel d'allocations familiales à des familles qui peuvent être réputées ne pas en avoir besoin. Il n'empêche que mettre ces allocations sous condition de ressources ne serait pas juste. D'abord parce que ces prestations ne correspondent pas au souci de redistribution verticale (des plus aisés vers les plus pauvres) mais traditionnellement à celui d'une redistribution horizontale (de ceux qui n'ont pas charge de famille vers les familles). De plus, les cotisations permettant de faire face aux prestations sont payées par tous (au niveau de 5,4% du revenu brut pour les salariés, sans plafonnement). Priver dans ces conditions les hauts revenus, qui payent le plus de cotisations, de toute participation aux prestations, ne serait pas ni juste ni conforme à l'objet de la politique familiale qui n'a aucune raison de ne bénéficier qu'aux plus pauvres. Enfin, des problèmes d'effet de seuil se poseraient (à quelle hauteur faudrait-il d'ailleurs fixer le seuil ?) [1].

Taxer les allocations serait plus juste

La première chose à garder à l'esprit ici est de ne pas raisonner sur les seules allocations familiales stricto sensu, mais sur l'ensemble du dispositif, qui concerne comme on l'a vu pas moins de treize allocations, dont la moitié est déjà sous condition de ressources, ce qui constitue en soi une sévère brèche dans le caractère universel de la politique de la famille. Raison de plus pour ne pas faire passer la totalité des allocations sous condition de ressources.

En revanche, la taxation des allocations ne revient pas à nier leur caractère universel. Elles constituent, comme Didier Migaud le pense, un élément du revenu, c'est-à-dire des ressources mises à disposition des individus. Elles n'ont pas le caractère d'assurance comme les prestations maladie. Objecter quelles ne sauraient être taxées parce qu'elles ont le caractère d'une aide n'a pas beaucoup de sens. Bien des aides sont taxables, à commencer par celles qui entourent le chômage, malgré leur qualification de revenus de remplacement (tout au moins en France mais pas au Royaume-Uni ni totalement en Allemagne) qui ne suffit pas logiquement à justifier leur taxation. Nous ne voyons pas en définitive de logique à exclure les allocations de la base taxable. Sans revenir sur l'objectif de redistribution horizontale, la fiscalisation à l'impôt sur le revenu (évidemment pas à la CSG) permet de faire participer les plus riches à hauteur de leurs moyens par une taxation progressive [2]. Bien évidemment, en nous plaçant ainsi de lege ferenda, nous ne prenons pas en compte l'objection politique d'une augmentation de la pression fiscale que le gouvernement a prétendu maintenant exclure, avec une crédibilité au demeurant douteuse.

Ne pas s'arrêter aux seules allocations familiales

Comme nous l'avons souligné, il ne saurait être non plus logique de nous arrêter au sort des seules allocations familiales proprement dites, la politique de la famille comprenant au bas mot treize allocations. Auxquelles s'ajoutent toutes les allocations diverses, notamment en rapport avec les minima sociaux. Le RSA en particulier est une prestation familialisée, qui s'accompagne de droits connexes nombreux et prestations facultatives au niveau local. Aucune de ces prestations, dont les règles de cumul sont de plus d'une folle complexité, n'est incluse dans le revenu taxable. Le résultat, c'est qu'il est impossible de savoir quel est le montant total des ressources apportées par ces prestations, qu'elles soient elles-mêmes ou non accordées sous condition de ressources.

Nous estimons qu'il faudrait instituer de façon générale la fiscalisation généralisée des prestations reçues en espèces, comme la Fondation iFRAP l'a souvent évoqué. Au plan des principes, il n'y a pas plus de raison de taxer les allocations familiales que les autres, qu'elles soient ou non soumises à condition de ressources, dans la mesure où au total les revenus du foyer excèdent le minimum imposable. Pourquoi, à ressources totales égales, un foyer fiscal ne disposant que de revenus du travail, sur lesquels il subit cotisations patronales, salariales et CSG, paierait l'impôt sur le revenu, alors qu'un autre foyer dont les ressources sont composées en tout ou partie de prestations d'assistance, n'en paierait pas ? Compte tenu du nombre d'allocations disponibles, cette situation n'est pas rare, et elle alimente les soupçons et l'exaspération des Français. Ce n'est pas tomber dans un populisme de mauvais aloi que de demander que l'on fasse la clarté. Au plan pratique, la fiscalisation serait le moyen de connaître avec précision le montant des revenus d'assistance de chacun.

Réduire aussi les coûts par la réorganisation des allocations et la simplification du système

En pensant à l'objectif de réduire les dépenses publiques, on a souvent tort, comme le démontrent les débats actuels, de limiter la recherche à la diminution des prestations sociales, sans évoquer le coût de gestion des prestations. Rappelons par exemple que ce coût, pour l'ensemble des prestations sociales, est d'environ 35 milliards d'euros. Or, plus un système est complexe, plus sa gestion est onéreuse. Dans le tableau ci-dessus, nous avons ainsi fait figurer pour l'exemple deux prestations relatives à l'adoption, qui coûtent respectivement 0,005 et 0,018 milliard d'euros par an, chiffre très bas qui démontre à quel degré d'adaptation aux situations particulières on veut descendre [3]. Le coût de gestion doit être en ce qui les concerne proportionnellement considérable.

Toute personne ou toute famille est responsable de ses décisions et doit être capable d'en mesurer les conséquences. La décision, éminemment individuelle, de fonder une famille n'a pas de raison d'échapper à cette règle ni d'entraîner des compensations financières sans fin de la part de la collectivité, ce qui provoque en retour des modifications des comportements. L'État n'a pas de justification à agir à ce point sur le comportement des individus. Ne serait-il pas plus sain, et simple, de réunir toutes ces prestations en une allocation unique, avec un complément versé sous condition de ressources pour les plus défavorisés ? Ceci conduirait à effectuer un regroupement des prestations ainsi qu'à leur plafonnement global dans un souci de justice évident, et finalement aussi à réduire les coûts de gestion de l'ensemble.

[1] D'autres réformes seraient aussi envisageables concernant les allocations familiales. La politique de la famille a pour objet d'inciter au renouvellement des générations. Mais on peut considérer (sachant que le renouvellement de la population se fait à partir de 2,1 enfants par femme) qu'il n'y a pas de raison d'encourager les familles au-delà de quatre enfants par exemple, en supprimant en conséquence les allocations au-delà du quatrième, et qu'il serait plus conforme aux mœurs modernes, et aussi plus logique du point de vue économique, d'accorder l'allocation à partir du premier, comme cela se fait dans les départements d'outre-mer… ou en Allemagne.

[2] Le surcroît de ressources fiscales qu'apporterait la fiscalisation des AF (12,4 milliards) est officiellement évalué à 800 millions, ce qui compte dans la lutte contre les déficits.

[3] Encore n'avons-nous pas fait figurer l'allocation dénommée « prime de déménagement » dont les conditions d'attribution sont proprement kafkaïennes : « L'allocataire doit déménager : à l'occasion de la naissance de son 3ème enfant ou plus, ou il a au moins 3 enfants à charge, si le dernier a moins de 2 ans. Il doit par ailleurs : déménager entre le 1er jour du mois civil suivant son 3ème mois de grossesse et le dernier jour du mois civil qui précède les 2 ans de son 3ème enfant (ou des suivants), et remplir les conditions d'ouverture du droit aux allocations de logement pour la nouvelle résidence dans un délai de 6 mois à compter du déménagement » !!!