Actualité

Droit du travail, la « décomplexification » est du ressort de la loi

Nous avons eu droit cette semaine aux premières 50 mesures de simplification concoctées par le « Conseil de simplification pour les entreprises », intronisé officiellement par décret du 8 janvier dernier, publié le 10 janvier, et qui s'est très vite mis au travail. Il faut l'en féliciter. Les trois dernières mesures, sous le titre « Faciliter l'embauche et la formation » concernent le droit du travail largement entendu. Il s'agit du développement d'un « chèque emploi » destiné à simplifier les démarches d'embauche, de la simplification de la fiche de paie, et de l'harmonisation des différentes définitions du « jour » en matière sociale. Ce sont d'excellentes mesures, mais on aura compris que la simplification en cause n'est qu'administrative, autrement dit qu'elle intervient à droit constant. Il ne faudrait pas que l'on s'en tienne là, cette remarque s'appliquant particulièrement au domaine du droit du travail, surtout qu'on assiste, parallèlement à une simplification administrative, à une complexification de la règle de droit.

En matière de droit du travail, trois remarques doivent être faites :

  1. Le Conseil de la simplification s'est, ainsi qu'il le reconnaît expressément et bien que ceci ne découle pas de la mission telle qu'explicitée par le décret de création [1], prononcé « à droit constant ». Le premier problème vient du fait que la signification de cette formule est très limitée, du fait précisément…que le droit n'est pas du tout constant ! La transcription de l'ANI de janvier 2013 a ainsi ajouté beaucoup de pages à un Code du travail déjà pléthorique, et pour cette année 2014 deux morceaux de choix se surajoutent encore, à savoir l'introduction de la pénibilité du travail et les nouveaux pouvoirs de l'inspection du travail. En ce qui concerne la pénibilité, les entreprises sont tétanisées par l'énormité des mesures qui devront être effectuées et le coût à prévoir, qui va concerner l'industrie, secteur où l'on cherche au contraire à améliorer la compétitivité (1% d'augmentation du coût du travail). La paperasserie administrative et juridique va exploser sans que le Conseil de la simplification y puisse quoi que ce soit…
  2. D'une façon générale, l'article 34 de la Constitution dispose que « la loi détermine les principes fondamentaux…du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale ». Le Conseil constitutionnel a eu plusieurs fois l'occasion de faire application de cet article, qui interdit de légiférer par voie de décret (par exemple par une décision du 7 août 2008 à propos de la détermination de la contrepartie de repos pour les heures supplémentaires, qui est de la seule compétence de la loi). Ce souci d'exhaustivité de la loi est d'ailleurs une exception parmi les nations européennes. On voit quelle peut être la lourdeur de toute procédure destinée à modifier le Code du travail et on imagine mal comment en simplifier les 3.000 pages.
  3. En droit du travail aussi, existe un millefeuille de compétences, puisqu'à la partie purement législative du Code s'ajoute la partie réglementaire (décrets), puis les conventions collectives étendues, les conventions collectives non étendues, les accords de branche, les accords d'entreprise, et enfin le contrat de travail individuel. Tout cela fait un carcan qui réclame donc une volonté législative, sans compter qu'aux termes de l'article 1 du Code du travail, « tout projet de réforme envisagé dans les domaines du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle doit faire l'objet d'une saisine préalable des partenaires sociaux aux fins d'une éventuelle négociation ».

La jurisprudence ne doit pas enfin être oubliée comme source du droit. Celle de la chambre sociale de la Cour de cassation est redoutable, puisqu'elle part du principe que le salarié doit être protégé en toutes circonstances de l'employeur prédateur en face de qui il serait en position de faiblesse systématique. Conception héritée des siècles précédents. On connaît l'interprétation donnée de l'article 1233-3 du Code du travail sur la cause réelle et sérieuse du licenciement économique.

Conclusion

Plusieurs conclusions sont à tirer de cette analyse.

Tout d'abord, il ne faut pas attendre grand-chose du Conseil de la simplification, dont la compétence est complètement bridée et ne dépasse pas le cadre des obligations de type administratif dans un environnement à droit constant. Il est bien qu'il se soit prononcé rapidement sur les trois points indiqués ci-dessus, et il est bien aussi qu'il soit ouvert dans un cadre de concertation à des propositions ultérieures émanant des partenaires sociaux, mais il ne s'agira que d'aménagements à la marge.

D'importantes réformes de fond ne sont pas non plus à attendre des partenaires sociaux. Dans un article récent (24 mars) du Figaro, l'économiste Charles Wyplosz s'exprimait ainsi : « Les négociations entre partenaires sociaux sont toujours basées sur le principe du donnant-donnant, d'où l'inévitable combinaison d'avancées et de reculades. Les syndicats d'employés, qui représentent majoritairement les intérêts de ceux qui ont un CDI, ne veulent pas entendre parler de sacrifices. Les syndicats patronaux veulent avant tout la paix sociale - surtout pas de grèves - et n'ont pas pour mission de réduire le chômage. Qui, dans ces négociations, représente l'intérêt général, y compris celui des chômeurs ? Personne, vraiment.

En principe, c'est le gouvernement qui défend l'intérêt général. En se désengageant des négociations, il se défausse. C'est peut-être politiquement habile, mais c'est diaboliquement irresponsable. Le gouvernement peut se targuer d'avoir encouragé des réformes entre ceux qui sont concernés, puis de les mettre en œuvre en affichant sa totale disponibilité. Mais c'est irresponsable de feindre d'ignorer que la négociation est confiée à ceux qui ont intérêt à ce qu'il n'y ait pas de réforme. Les syndicats réformistes sont pris au piège : si la réforme est profonde, c'est que les sacrifices consentis sont importants et c'est alors la certitude de perdre de l'influence au profit des syndicats corporatistes qui ne veulent rien lâcher ».

Enseignant à Genève, Charles Wyplosz a peut-être une vision un peu extérieure, mais certainement pas moins intéressante, de la France, et peut-être aussi oublie-t-il l'article 1 du Code du travail rappelé ci-dessus. Il stigmatise en tout cas à juste titre l'échec relatif mais clair du dialogue social français, faute de partenaires sociaux capables de s'abstraire de leur lutte séculaire des classes.

Seul le législateur peut donc agir. Il lui faudrait un singulier courage politique, doublé d'une confiance que lui accorderait le peuple français, toutes conditions non réunies à l'heure actuelle, et qui dépendraient probablement de la conscience de la nécessité absolue des réformes. Pourtant il semble qu'on puisse espérer de notre actuel Premier ministre une réforme importante, celle des seuils sociaux, en tout cas celle du seuil de 10 salariés, même si le plus pénalisant reste le seuil de 50 salariés, sur lequel il faut insister. Ce serait déjà une avancée.

Pour le reste, qui a pour nom essentiellement la flexibilité du temps et du contrat de travail, les 35 heures, le difficile problème du smic, le droit du licenciement, et les « détalmudisation » et dépénalisation des obligations du chef d'entreprise, il est évidemment très peu probable que des avancées notables puissent être réalisées dans le cadre de la présente législature. Ce serait même plutôt le contraire avec le renforcement des droits de l'inspection du travail. Mais même dans le cadre d'une nouvelle Assemblée Nationale orientée différemment, il est indispensable de continuer à enfoncer le clou de la nécessité de réformes que le gouvernement précédent ne s'est pas estimé en état de réaliser – autrement dit, renverser les tabous encore existants.

[1] « Le conseil est chargé de proposer au Gouvernement les orientations stratégiques de la politique de simplification à l'égard des entreprises ».