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Donner aux complémentaires - maladie un rôle de régulateur assumé

Dans son récent rapport, le Haut Conseil pour l'Avenir de l'Assurance Maladie (HCAAM) s'alarme de la situation critique des comptes de l'Assurance-Maladie et propose d'y remédier, outre par l'apport de recettes supplémentaires — mesure dont l'expérience passée a montré l'inefficience — par « la mobilisation des nombreux gisements d'efficacité du système ». C'est dans cette perspective que doit être posée la question de la difficile émergence d'un acheteur de soins véritablement avisé qui permette de corriger l'actuelle déficience de la gestion du risque maladie par l'Assurance Maladie Obligatoire (AMO) et la dérive des dépenses qui en est la conséquence la plus tangible.

[(Guy Delande est Professeur d'économie de la santé - Université de Montpellier.)]

En préalable, il convient de rappeler le sens exact d'une gestion du risque maladie à proprement parler, à savoir la mobilisation de l'ensemble des leviers d'action utilisables pour délimiter et optimiser la réponse du système de soins aux besoins de la population couverte, dans le respect d'une contrainte de ressource fixée au plan national puis régionalisée. La mise en œuvre effective d'une telle conception impliquerait la restauration de l'AMO dans sa fonction d'entrepreneur de soins bénéficiant d'une délégation territoriale de gestion ; mais cette perspective — présente dans l'approche fondatrice de 1945 — a été récusée de manière constante par les professionnels de santé, qui ont imposé que soit occultée la fonction d'assureur (et donc de gestionnaire du risque qui en constitue l'essence même) de l'AMO transformée en un payeur aveugle, très vite perçu comme un inépuisable tiroir-caisse.

1. La progression rapide des dépenses de santé, qui est le corollaire de cette situation, a été accompagnée par les pouvoirs publics, tant que la croissance économique a été dynamique, dans le cadre de ce que l'on a appelé le « gaspillage négocié » entre l'AMO et les divers corporatismes médicaux. Puis, à partir des années 1990, face au resserrement de la contrainte sur les ressources globalement disponibles, l'AMO a entrepris de réduire sa cécité en cherchant à savoir ce qu'elle remboursait à travers des contrôles individuels, des ententes préalables, des efforts de sensibilisation à la prescription, des contrats d'amélioration des pratiques et tout récemment, l'introduction controversée d'une rémunération à la performance. Mais ces actions, qui relèvent plus de la maîtrise médicalisée que de la stricte gestion du risque, n'ont pas vraiment permis d'enrayer le dynamisme vif et persistant des dépenses de santé ; parallèlement, la mise en place des Agences Régionales de Santé (ARS) sur un mode déconcentré et non décentralisé, n'a pas abouti à instituer les ARS en tant que gestionnaires du risque avec l'intégralité des pouvoirs d'acheteur — et donc de conventionnement sélectif des offreurs de soins — que cela implique [1].

La loi HPST n'ayant pas validé — pour des raisons socio politiques évidentes — cette opportunité de maîtrise efficace des dépenses de santé, se confirme donc l'option politique choisie et de plus en plus clairement explicitée : déporter sur les Organismes Complémentaires d'Assurance-Maladie (OCAM) une part croissante de la dépense pour limiter l'envolée des charges — et des déficits — de l'AMO, ce qui ne manquera pas, à plus ou moins brève échéance, de remodeler progressivement le champ de leurs compétences respectives.

2. Cet alourdissement constant de la fraction des dépenses financées par les OCAM, s'il est souvent perçu comme une régression de la prise en charge collective et, à ce titre, déploré dans une perspective solidariste, peut également être analysé de manière plus positive : l'extension du rôle des OCAM — actée par la réforme Douste-Blazy de 2004 à travers la création de l'Union Nationale des Organismes Complémentaires d' Assurance Maladie en tant que partenaire institutionnel à part entière de l'Union Nationale des Caisses d'Assurance Maladie (UNCAM) — va les amener à assumer progressivement un certain nombre de fonctions relevant de la gestion du risque et à participer ainsi à la régulation des dépenses de santé, par-delà l'Assurance-Maladie Obligatoire.

Dès maintenant, se font jour de nombreuses avancées qui touchent aux multiples dimensions de la gestion du risque et font émerger les principaux axes de participation des trois composants — mutuelles, assureurs privés et institutions de prévoyance — de l'assurance complémentaire ; on citera : la contractualisation sélective avec des professionnels de santé, la négociation de tarifs et/ou des modes de rémunération incitatifs à la qualité et à l'efficience, l'organisation de réseaux de soins et, ultérieurement de santé, l'encadrement des dépassements d'honoraires, l'éducation thérapeutique des patients, l'évaluation de la pertinence des soins etc…

Sur tous ces thèmes, il ne s'agit pas de procéder ici à un inventaire exhaustif, mais de mettre en exergue les premiers linéaments d'une démarche et d'une volonté qui se traduisent par un bouillonnement d'initiatives qui vont bien au-delà des premières réalisations des réseaux de professionnels agréés en matière d'optique, de dentaire et d'audition — domaines peu investis par l'AMO — mais s'inspirent toutes de l'objectif de « sécuriser des conditions de soins positives en termes de rapport qualité/prix ».

3. Mais si le sens du mouvement ne paraît guère faire de doute, en revanche ses modalités d'avancée se révèlent plus incertaines : on ne saurait, en effet, minimiser les obstacles tant juridiques et réglementaires que commerciaux ou informatiques (insuffisante intégration avec le régime obligatoire) auxquels vont se heurter les assureurs complémentaires dans leur prise de participation accrue à la gestion du risque face à l'extension des restes à charge et mesures de déremboursement destinés à limiter les charges de l'AMO.

Comme on peut aisément l'imaginer, les professionnels de santé sont, majoritairement, hostiles à de telles perspectives : ces professionnels qui durant plus d'un demi-siècle, ont pris l'habitude de négocier en position de force — et le plus souvent d'imposer leurs exigences — vis-à-vis d'une Assurance-Maladie fragilisée — parfois désavouée — par des interventions incessantes du politique en lien avec de multiples corporatismes médicaux, et dont la loi Fourcade (Juillet 2011) constitue un récent témoignage dans la mesure où son objectif principal était l'abandon des articles de la loi HPST qui introduisaient quelques contraintes à l'encontre du secteur libéral.

Cette loi Fourcade, tout en reconnaissant la possibilité pour les complémentaires de constituer des réseaux de soins malgré les réticences des acteurs du secteur, prévoit un cadre réglementaire définissant les règles de conventionnement entre offreurs de soins et complémentaires. De plus, tous les trois ans, l'Autorité de la Concurrence — qui avait précédemment confirmé que les réseaux de professionnels agréés par les complémentaires n'étaient pas source de distorsions de concurrence — devra remettre au Parlement un rapport relatif à l'évaluation de ces réseaux.

Cet interventionnisme public — vivement dénoncé par les intéressés qui revendiquent « comme toute entreprise, la capacité d'agir par elles-mêmes » (UNOCAM) — se manifeste à nouveau à propos de la question des dépassements d'honoraires et du problème connexe de la mise en place du secteur optionnel. Face au souhait des complémentaires de développer des mécanismes de conventionnement permettant une prise en charge de dépassements maîtrisés ou encadrés en contrepartie d'engagements de qualité reposant sur les indicateurs strictement contrôlés, les pouvoirs publics entendent imposer aux complémentaires de rembourser des dépassements pouvant aller jusqu'à 50% du tarif normal pour les spécialistes (chirurgiens, anesthésiste et obstétriciens) visés par le secteur optionnel et à 20% pour les actes techniques de toutes les spécialités.

Même si, en période électorale, l'aversion au risque politique ne favorise guère l'expression de positions tranchées, il est clair que l'état très dégradé des finances sociales et tout particulièrement de la santé [2], fait des complémentaires santé un acteur incontournable du schéma d'organisation et de régulation à venir du système de santé. A partir de ce constat massif, l'expression de sensibilités politiques différentes — instauration de la complémentaire obligatoire (de type Agirc-Arrco de la santé) pour les uns, création d'un contrat type de base avec possibilité d'options pour d'autres — ne saurait remettre en cause la vocation des complémentaires à assumer un rôle croissant dans la gestion du risque maladie.

[( Du même auteur : Pénurie de médecins : comment obtenir une meilleure répartition sur le territoire ? )]

[1] G.DELANDE : « Les ARS, colosses aux pieds d'argile » in Cahiers Hospitaliers n° 270 mai 2010

[2] Malgré les propos rassurants (en forme de plaidoyer pro domo) du Directeur de la CNAM sur la réduction du déficit qui atteint tout de même 8,5 milliards d'euros en 2011