Actualité

Données de santé : 11 années de blocage illégal

Trois évènements majeurs viennent de ramener le sujet des données de santé dans l’actualité : 1) un rapport de la Cour des comptes critiquant la sous-utilisation des données détenues par  l‘assurance maladie, 2) la condamantion par le Conseil d’État de la décision du ministère de la santé d'interdire depuis 2005 l’accès aux données de santé de la CNAM aux organismes à but lucratif, 3) l’accord entre Google et  le système de santé anglais (NHS) pour le traitement des données de santé de  deux millions de personnes.

Entre les années perdues en France en litiges juridiques et la rapidité d’action d’autres acteurs, ce sont des millions de malades qui auront été moins bien traités en France, des centaines de laboratoires et d’entreprises français qui auront pris un retard très difficilement rattrapable, et des surcoûts considérables pour notre système de santé. Il y a urgence à changer.  

Il est possible que nos responsables politiques n’aient pas bien saisi l’importance, en 2016,  de l’exploitation des Données de santé. Jusqu’à présent, les médecins et les chercheurs se posaient deux types de questions :

  • Recherche des conséquences : les personnes opérées avant 15 ans et ayant suivi plus tard un  traitement particulier ont-elles plus de chances de développer une maladie cardiaque avant 50 ans ?[1]
  • Recherche des causes : un groupe de personnes qui ont eu des crises cardiaques avant 50 ans ont-elles des facteurs en commun ?     

Les questions de type a) sont posées quand les chercheurs, de par leurs connaissances médicales, estiment qu’il est vraisemblable qu’il existe un lien entre ces évènements. Celles de types b) quand des groupes de cas constatés sont atypiques et que les médecins recherchent ce qu’ils ont en commun. C’est cette seconde méthode qui a été utilisée par le Docteur Irène Frachon du CHU de Brest pour découvrir les méfaits du Mediator. Ce docteur n’ayant rencontré que très peu de cas (quelques dizaines ?), il est remarquable mais très aléatoire qu’elle ait fait le lien entre eux.  Mais dans les fichiers de l'assurance maladie (dit SNIIRAM ou système national d’information interrégimes de l’Assurance Maladie) dormaient depuis longtemps, en plus des accidents thérapeutiques mortels, l’information que ce médicament destiné aux diabétiques était  prescrit massivement comme coupe faim à des millions de personnes. Des données aussi claires existaient aussi pour les dégâts provoqués par le dentiste de Nevers pendant 4 ans, par certaines pilules de 4ème génération, par la Dépakine  et sur les trafics de Subutex.   

Avec les Données de santé massives ou Big data,  on change complètement d’échelle. La question que posent les chercheurs aux programmes informatiques experts :

  • À partir de l’historique médical de millions de personnes enregistrées depuis 5, 20 ou 50 ans, qu’est-ce qui est remarquable ?

La recherche peut être ciblée sur des âges, sexes, durée, types de problèmes de santé. Les résultats peuvent être positifs (des suites de traitements conduisent à une longévité ou une bonne santé remarquables) ou négatifs. Par rapport aux intuitions ou aux recherches d’un médecin, cette méthode qui porte sur des populations très nombreuses, des durées très longues et des données très précises est des millliers voire des millions de fois plus puissante.

Les réticences

Les raisons mises en avant par la CNAM, les gouvernements, l’administration et une partie du monde médical pour repousser le plus possible l’ouverture des données médicales sont de deux sortes : les craintes concernant les fausses conclusions par incompétence ou malhonnêteté, et celles concernant la confidentialité. Elles sont réelles mais surfaites. Tous les jours, sans accéder aux données de santé, des organisations propagent déjà sur internet ou ailleurs des idées douteuses ou fausses sur la santé, que les experts et les citoyens sont responsables de questionner. Quant à la confidentialité, très peu de brèches ont été constatées alors que les données de santé sont stockées dans de multiples endroits (hôpitaux et cliniques, cabinets des médecins et infirmiers, complémentaires santé, laboratoires d’analyses et d’imagerie médicale, domiciles des malades et de leur famille…). Et il existe des règles pour fortement sanctionner les publications de données personnelles. Il est par exemple possible d’aller consulter les déclarations de patrimoine des parlementaires, mais aucune publication n’a eu lieu à ce jour.

En réalité, pour expliquer la reluctance à ouvrir largement l’accès aux données de santé accumulées mais dont les Français sont propriétaires, trois hypothèses sont envisageables :  

  • Les données du fichier SNIIRNAM ne sont pas fiables ;
  • Les données du fichier SNIINAM recèlent de nombreux scandales sanitaires ou de nombreux progrès potentiels ;
  • La CNAM veut garder ses atouts vis-à-vis des personnels de santé, des malades et des complémentaires santé.

Hypothèse 1 : les données du fichier SNIIRNAM ne sont pas fiables

Il est souvent dit que les données du SNIIRAM sont tellement complexes qu’il serait impossible pour des personnes en dehors des spécialistes de la CNAM de s’y retrouver. Une idée étonnante, ce fichier est certes volumineux mais ne contient malheureusement pas de commentaires ni de diagnostics médicaux, mais seulement le relevé quasiment comptable des différents soins subis par chaque patient. Si la complexité provient du manque d’homogénéité des codages (ex : les médicaments ou traitements identiques ont-ils toujours les mêmes références ? les correspondances entre anciennes références et nouvelles références ne sont-elles pas documentées ?) ou d’autres raisons (ex. hétérogénéité entre les fichiers CNAMTS et ceux des autres caisses (ex. MSA, SNCF, RATP) ou délégataires (ex. Fonctionnaires, étudiants), il est urgent  de le savoir.

Hypothèse 2 : les données du fichier SNIIRNAM recèlent des scandales sanitaires ou des progrès potentiels  

Des problèmes « simples » comme ceux du Mediator, des pilules de 4ème génération ou des prothèses PIP auraient pu être identifiés beaucoup plus rapidement si les données du SNIIRAM avaient été ouvertes et traitées. Puisque des personnes isolées travaillant sur peu de cas ont pu détecter ces dysfonctionnements, il est très vraisemblable que de nombreux autres cas « simples » sont encore inconnus, et que de beaucoup plus nombreux cas « complexes ou multi-causes » se cachent dans le SNIIRAM, qu’il s’agisse de problèmes de traitements inutiles, nuisibles ou mal appliqués. Mais il est aussi probable que de nombreux progrès thérapeutiques sont restés ignorés faute d'exploitation  de ces données.  

Hypothèse 3 : la CNAM veut garder ses atouts vis-à-vis des personnels de santé, des assurés/malades et des complémentaires santé.

Dans les négociations avec leurs « propriétaires » (les assurés), leurs clients (les malades), leurs fournisseurs (les personnels de santé) ou leurs concurrents (les complémentaires santé), le fait pour la CNAM et le ministère d’être seuls à avoir accès aux données de base constitue un avantage important mais injustifié.  

Conclusion

Il est urgent pour les malades et pour notre système de santé que les données médicales de la CNAM et des établissements de santé (PMSI) soient ouvertes et exploitées sous une grande variété d'angles d'attaque. Les progrès attendus peuvent être aussi imporatnts que ceux de la vaccination ou des antibiotiques. La réalisation des logiciels experts correspondants représente un secteur clef de la recherche médical en France. Une fois cette expertise partie à l’étranger, aux Etats-Unis ou en Inde, il sera trop tard pour regretter notre retard et mettre en place de coûteux et inefficaces programmes de rattrapage. Et des malades seront en droit, comme ils le font pour le Mediator, de porter plainte contre les responsables politiques qui n'auront pas mis en place tous les moyens déjà disponibles (comme prévu par la loi depuis longtemps) pour éviter des catastrophes sanitaires ou découvrir des solutions à portée de main. .    

Propositions de la Fondation iFRAP :

  • Faire auditer le contenu du SNIIRAM par des experts indépendants, français et étrangers, pour évaluer la qualité technique des données ;
  • Lancer en parallèle une dizaine d’appels d’offres pour des études par thème visant à découvrir probablement des centaines de dysfonctionnements et de progès potentiels sur les dix dernières années (budget 10 millions d’euros + intéressement des entreprises ou laboratoires retenus aux économies réalisées sur les dix prochaines années) ;
  • Ouvrir les données de santé rapidement et largement
  • Faire la pédagogie risque / bénéfice auprès de la population.        

Références

Le sujet des données de santé n’est pas récent, et des industriels ou chercheurs travaillent à faire évoluer la situation depuis une quinzaine d’années.                                                   

De rapport en commission, encore des années de délais

9/2013

   Rapport sur la gouvernance des données de santé

7/2014

   Rapport commission  Open data santé

7/2015

Rapport : Données de danté : anonymat et risqué de ré-indentification 

1/2016

Loi d’avenir de la santé

10/2016-3/2017

Décrets d’application de la loi (prévisions)

 


[1] Ces questions sont purement illustratives pour le raisonnement