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Des mesures fiscales efficaces pour développer la création d'entreprises

L'exemple britannique

Cet article est une synthèse de la présentation faite par M. Gérard Tardy, directeur de Noble Fund Managers Limited, au colloque « Allons chercher la croissance avec les entrepreneurs » le 22 février 2008 au ministère des Finances. M. Gérard Tardy vit à Londres où il a créé en 2000 une entreprise qu'il a vendue et il exerce maintenant des activités de direction d'un venture capital trust et de Business Angels. Il participe également au groupe de chefs d'entreprises nommé Cercle d'Outre-manche.

Dans la définition qu'en donne Wikipédia, « un business angel est un individu fortuné, souvent un entrepreneur ayant réussi, qui apporte des fonds à des sociétés en phase de lancement ou de croissance, en général en échange d'une participation au capital, et qui les fait profiter de son expérience professionnelle. » Depuis le début, nous avons abordé les mesures fiscales, mais dans le concept de business angel, en tout cas tel qu'il est compris en Grande-Bretagne, il y a d'abord cette idée d'implication personnelle, de mentoring. Ce n'est pas simplement l'argent qui travaille, mais aussi l'expérience professionnelle.

« Les business angels souhaitent contribuer plus que par leur argent »

Le business angel investit, en général, dans la formule anglaise après les 3 F (Friends, Family and Fools), c'est-à-dire dans une phase intermédiaire entre le tout premier démarrage financé avec des ressources souvent familiales mais avant les fonds institutionnels, lesquels interviennent de plus en plus tard. Nous avons déjà parlé du montant de leurs investissements. Les vrais business angels investissent souvent plusieurs fois par an, mais ce sont quand même des gens très difficiles à convaincre. Demandez à tous ceux qui ont essayé de lever de l'argent auprès d'eux ! Les business angels agissent seuls ou en réseau. Ils prennent souvent beaucoup de temps pour se décider. La liberté dans leur choix et la capacité de bâtir une relation de confiance avec l'entrepreneur sont pour eux extrêmement importants. Et, bien entendu, ils espèrent gagner de l'argent à la sortie. Ils voient les aides fiscales, non pas comme un don, mais comme la juste compensation du risque. Comme ils sont entrepreneurs, ils abordent cela sans aucune naïveté. Il n'y a qu'à regarder les résultats des fonds qu'ils investissent dans les phases d'amorçage. C'est un métier très difficile où les chances de gagner de l'argent sont faibles. S'il n'y avait pas d'avantage fiscal, les risques de perdre de l'argent seraient énormes. Donc, l'avantage fiscal est la simple compensation par rapport à un risque qu'il serait absurde de prendre, compte tenu de toute leur expérience, si justement il n'y avait pas cet avantage fiscal.

Quelques mots sur les structures britanniques

Il y en a de multiples. La structure la plus courante pour les Business Angels, c'est l'EIS – Entreprise Investment Scheme. L'EIS existe depuis longtemps, a connu un certain nombre d'évolutions. Les montants levés en 2006-2007 atteignaient 600 M£, soit près de 1 Md €. En 2005, ils s'élevaient à 1 Md £, soit 1,4 Md €. Cela représente beaucoup d'argent. L'EIS donne un avantage fiscal qui peut paraître relativement faible, mais les pertes en capital sont prises en compte. Les pertes en capital peuvent être considérées comme des pertes sur le revenu. Comme vous savez qu'en Grande- Bretagne, les personnes fortunées paient 40% d'impôt sur le revenu, elles peuvent en déduire ces pertes. Avec cette prise en compte des pertes, cet avantage fiscal est relativement important. Ce qui frappe par rapport à la France, ce sont les montants maximums d'investissement par personne qui donnent droit à la réduction d'impôt. La Grande- Bretagne a un plafond annuel de 400 000 £ par personne. Je vous rappelle qu'en Angleterre, la notion de foyer fiscal n'existe pas. S'il y a un couple, le montant peut donc être multiplié par deux. Les conditions sont évidemment beaucoup plus libérales qu'en France aussi en ce qui concerne l'entreprise bénéficiaire. Cette fameuse mesure de minimis est importante. Je ne sais pas comment les Anglais se sont débrouillés, mais en tout cas beaucoup mieux que nous en France ! Depuis un an en effet, une entreprise anglaise ne peut pas recevoir d'EIS ou d'autres structures semblables plus de 2 M£ par an. Deux millions de livres représentent quand même 2,8 M€. À ma connaissance, aucune autre aide n'est comprise dans ce plafond. J'ajoute que l'engineering anglais étant ce qu'il est, il y a de multiples manières pour passer à côté de ces plafonds. En tout cas, la Grande-Bretagne a réussi là où nous nous battons entre 250 000 € et 1,5 M€. Voilà pour l'EIS. Il s'adresse essentiellement aux individus, donc des business angels agissant seuls ou éventuellement par l'intermédiaire de programmes d'EIS. Il existe également des VCT – venture capital trust. J'ai créé et je gère le premier VCT spécialisé dans les métiers de la santé. Gérer un VCT est plutôt comparable aux FCPI ou FCPR1. Le VCT s'adresse à des personnes du profil business angel, mais nous ne pouvons pas dire que les personnes qui investissent dans un VCT jouent un rôle de mentoring dans les affaires. Pour prendre l'exemple de notre fonds, nous avons 1 500 investisseurs qui sont relativement loin de chaque investissement. Le régime VCT est plus favorable que celui de l'EIS : 30% sont immédiatement déduits à l'entrée dans le VCT et non pas au moment où le VCT investit, puisque nous mettons du temps à investir l'argent que nous collectons. Le montant par personne est de 200 000 £. Il a été doublé par Gordon Brown, pourtant accusé d'être à gauche dans le régime anglais. Il y a donc deux ans, le plafond est passé de 100 000 à 200 000 £ par an et par personne. L'année dernière, les montants levés ont atteint 400 M£, ce qui a été considéré comme une mauvaise année, puisque certaines années ont connu des montants de l'ordre de 600 M£.

Entreprise Investment SchemeVenture Capital Trust
Réduction d'impôt sur le revenu 20 % 30 %
Plus-values différées Oui Rien
Pertes en capital 40 % Non
Dividendes exonérés de taxes Non Oui
Maximum par personne et par an 400 000 £ (540 000 €) 200 000 £ (270 000 €)
Période de détention minimale 3 ans 5 ans
Montants levés 2006/2007 600 M£ 400 M£

Quelques éléments de comparaison

Je me suis livré, moi aussi, à l'exercice des comparaisons France/Grande-Bretagne. En Grande-Bretagne, les business angels sont environ 30 000 qui investissent en moyenne 750 M€, dans 3 500 entreprises. La comparaison avec les États-Unis est également intéressante. Les États- Unis représentent environ six fois la Grande-Bretagne ou la France. Pourtant, il y a – seulement – deux fois plus de Business Angels aux États-Unis qu'en Grande-Bretagne ramenés à leur population alors qu'il y en a 7,5 fois plus qu'en France. En ce qui concerne les montants, les Américains regagnent un avantage : les Business Angels américains investissent des montants plus importants que leurs homologues anglais : le rapport serait d'un à quatre. En ce qui concerne le nombre d'entreprises financées, le rapport est semblable. Nous avons établi une comparaison entre les business angels et les fonds institutionnels. Cette comparaison révèle que les business angels anglais investissent à eux seuls plus que tous les ventures capitalistes institutionnels français : 500 M£, soit 750 M€. Tous les ventures capitalistes français institutionnels ont investi, dans l'année de référence, 530 M€. Aux États-Unis, les business angels investissent autant que tous les fonds institutionnels américains. J'ai été un membre fondateur de l'Afic (Association française des investisseurs en capital) et à son conseil pendant de nombreuses années. L'Afic a réalisé un très bon travail, mais s'intéresse peu aux entreprises jeunes. En ce qui concerne les montants investis dans les entreprises en démarrage ou en phase initiale de croissance et en termes de nombre d'entreprises d'investies, les business angels représentent plus que les fonds institutionnels : 3 500 entreprises en Grande-Bretagne financées par les business angels contre 500 financées par les fonds. J'ajoute que les universités ont aussi leur fonds d'amorçage.

So what ?, comme disent les Anglais

Gordon Brown, parmi les mesures récentes qu'il a prises et qui ont fait couler beaucoup d'encre, a transformé le régime de la taxation sur les plus-values. Il a créé un système plus simple d'ailleurs ! Maintenant, la taxation sur les plus-values en Grande-Bretagne est de 18%. Il a présenté ce projet comme une mesure de simplification. Ce qu'il n'avait pas vraiment dit, c'est que pour les Business Angels justement ou pour les entrepreneurs ou pour les cadres employés dans les grandes entreprises, le système anglais assez compliqué aboutissait à 10%. Cette mesure a déclenché une véritable révolte du monde entrepreneurial anglais. J'ai participé à des réunions dont l'atmosphère était plus que houleuse. Finalement, le chancelier de l'Échiquier M. Darling a annoncé, il y a un mois, que le régime allait être remis à 10% jusqu'à un plafond de 1 M£ par personne. Je reviens à l'idée principale que j'aimerais que vous reteniez de cette présentation. En France, quand nous parlons de business angels, nous raisonnons en milliers, au maximum en dizaines de milliers d'euros. En Grande-Bretagne, les personnes raisonnent en centaines de milliers de livres, voire en l'occurrence en un million de livres. Cela fait toute la différence. Nos chiffres marquent des progrès, mais restent à l'échelle du pays relativement insignifiants. Dans le même temps, la Grande- Bretagne bâtit une société d'entrepreneurs et d'innovation qui réagit quand un gouvernement s'attaque aux créateurs d'entreprises et le pousse à revenir en arrière. Mais surtout cette société donne toute sa chance à tous les jeunes qui veulent participer à l'aventure entrepreneuriale et bâtissent les entreprises de demain.