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Dépassements d'honoraires : dernière démarque avant liquidation ?

L'accord récemment conclu au terme de la laborieuse négociation, dite sur les « dépassements d'honoraires », entre l'Assurance-maladie (sous l'œil vigilant de la ministre de la Santé, Marisol Touraine) et les syndicats de médecins, se révèle particulièrement complexe en raison des nombreuses dispositions qu'il comporte.

Arraché au terme de trois journées et trois nuits nuits de négociations ininterrompues et riches en rebondissements, cet accord est tellement complexe qu'il est l'objet de multiples lectures, chacun des participants s'efforçant de le présenter à son avantage en mettant en exergue aussi bien les avancées spécifiques obtenues que les concessions acceptées pour parvenir à un compromis que l'on espère être de type « gagnant-gagnant ».

Sous réserve d'analyses plus approfondies en lien avec les aléas – toujours importants dans le domaine de la Santé – de lecture et de mise en œuvre ultérieures et afin de réduire la perplexité éventuelle du citoyen-patient, il semble que les diverses mesures retenues puissent donner lieu à deux grands types d'interprétation :

- pour les uns, l'accord conforte en fait le système actuel, sous couvert de quelques dispositions d'apparente moralisation qui ne remettent pas fondamentalement en cause le fonctionnement actuel et les dérives dont il s'accompagne ;

- pour les autres, malgré ses lacunes et ses imperfections, l'accord conclu, à travers certaines mesures novatrices, constitue le premier pas vers la reconstruction d'un système de Santé privilégiant le généraliste et la médecine de premier recours exercée dans des structures pluri-professionnelles, et financé selon de nouvelles modalités beaucoup plus forfaitaires.

Professeur Guy Delande

1. La médecine libérale traditionnelle et ses différents syndicats représentatifs – notamment la Confédération des Syndicats Médicaux Français (CSMF) qui est majoritaire – peuvent exciper des résultats favorables : ainsi leur argumentaire habituel – et habilement fallacieux – selon lequel le problème n'est pas celui des tarifs pratiqués mais celui de l'insuffisance des remboursements aux patients a été en partie entendu puisque le principe d'une revalorisation – même si elle est différenciée – des tarifs opposables a été accepté par l'Assurance-maladie et les organismes complémentaires. Par ailleurs, ni le secteur 2 (dit à honoraires libres) ni la possibilité de dépassements d'honoraires ne sont remis en cause ; seuls quelques bémols sont introduits :

a) L'élargissement de la patientèle pour laquelle les dépassements sont interdits : aux bénéficiaires de la CMU complémentaire s'ajoutent ceux de l'Aide Médicale d'État (AME) et de l'Aide à l'Acquisition d'une Complémentaire (ACS).

b) Malgré le risque « d'effet d'appel » ou « d'aubaine », un seuil de 150% du tarif opposable est indiqué comme limite plus ou moins fixe au dépassement.

c) Les médecins du secteur 2 pourront, en contrepartie d'une prise en charge accrue de leurs charges sociales par l'Assurance-maladie, souscrire un « contrat d'accès aux soins » les obligeant à réaliser une partie de leur activité à tarif opposable et à respecter un taux de dépassement fixé en fonction de leur pratique antérieure.

d) Les pratiques tarifaires « excessives » définies par un ensemble de critères (dépassement annuel moyen par patient, variabilité des honoraires, taux d'actes avec dépassement…) pourraient faire l'objet de « sanctions » ( ! ).

Ainsi, comme nous le suggérions dans une précédente analyse [1], face au manque d'effectivité probable de l'action de l'Assurance-maladie, le problème des dépassements d'honoraires est renvoyé principalement aux complémentaires qui pourront prendre en charge des dépassements négociés en contrepartie d'engagements de modération et de qualité tels qu'ils pourraient être définis, par exemple, dans le cadre des nouveaux contrats d'accès aux soins.

2. A l'opposé de cette première vision corporatiste dans la mesure où elle préserve assez largement la liberté et les droits acquis professionnels mais laisse à peu près inchangée la situation d'une grande partie des patients, le syndicat MG France, plus représentatif des généralistes, est porteur d'une interprétation mettant davantage l'accent sur les aspects plus réformistes de l'accord. Certes, ses membres très majoritairement en secteur 1, c'est-à-dire travaillant au tarif de responsabilité, sa position peut aussi être vue comme également corporatiste. Ils déplorent que l'avenant négocié soit resté très frileux en matière de régulation des dépassements d'honoraires. Néanmoins, ils y souscrivent en considérant que les discussions auxquelles il a donné lieu ainsi que certaines de ses stipulations ont ouvert la voie à une recomposition structurelle du système de santé. Face aux impératifs sanitaires d'une population vieillissante – au premier rang desquels l'expansion rapide des maladies chroniques – il conviendrait de reconnaître le rôle éminent du généraliste et de favoriser la mise en place d'une médecine de premier recours dont il serait le pivot ; autour de lui, cette médecine s'exercerait dans des maisons et/ou des centres de santé polyvalents et pluridisciplinaires, ce qui permettrait à la fois d'assurer la permanence des soins et d'atténuer les conséquences délétères d'une démographie médicale géographiquement déséquilibrée.

Bien entendu, la condition permissive d'une telle évolution repose sur la régression, dans un premier temps, et sur l'attrition, à terme, du paiement à l'acte au profit de mécanismes de rémunération forfaitaire plus ou inspirés par le principe de la capitation. Sans exclure le maintien d'honoraires dans certaines situations spécifiques, les partisans du forfait (pondéré par les facteurs différentiels de risque du patient) mettent en avant : un accès aux soins garanti, une responsabilisation du médecin sur la durée favorisant la prévention et l'éducation thérapeutique au-delà des soins proprement dits, des éléments fondamentaux et particulièrement coût-efficaces dans un contexte épidémiologique dominé par les pathologies chroniques et alors que les contraintes macroéconomiques sont fortement prégnantes. Des pratiques médicales qui peinent à trouver leur place dans un système de prise en charge essentiellement fondé sur les honoraires et les prescriptions techniques et médicamenteuses. Mais le fonctionnement du modèle ultime du médecin payé par capitation, tel qu'il existait au Royaume-Uni, montre des limites et des contraintes qui seraient très difficilement acceptées par les professions médicales et les malades français.

Conclusion

Ainsi, la question reste posée : s'agit-il simplement d'une adaptation marginale d'un système dont les fondamentaux restent à peu près inchangés, ou bien d'une amorce du parcours de soins sur laquelle travaillent le Haut Conseil pour l'Avenir de l'Assurance Maladie (HCAAM), les associations de patients et les organismes complémentaires ?

Pour sortir de cette alternative, l'introduction d'un peu de souplesse dans le système, et la possibilité pour les professions médicales, les assurés et les malades de choisir entre plusieurs pratiques médicales ne serait-elle pas une issue plus positive qu'une guerre de tranchées permanente ?

Professeur Guy Delande

[1] G. DELANDE : « Donner aux complémentaires-maladie un rôle de régulateur assumé » iFRAP.org 11/05/2012