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Déficits sociaux et prélèvements sur les revenus du capital

Déjà fait et pas à la hauteur

Pour combler les déficits sociaux, opposition et syndicats tentent de réchauffer la recette de Georges Marchais : prendre l'argent là où il est. En l'occurrence, il s'agirait de taxer les produits financiers sous toutes leurs formes. Le problème avec cette suggestion, c'est d'une part que c'est déjà fait, et d'autre part qu'il ne s'agit guère que d'une goutte dans la mare des déficits : 1,5 milliard sur 30 milliards d'euros. Les solutions sont ailleurs.

Données de cadrage

Nous n'allons traiter que de la question des prélèvements dits sociaux destinés à couvrir les dépenses sociales. Ces dépenses se montent à 578 milliards d'euros (chiffres 2008), soit 56% des dépenses publiques totales et 29,4% du PIB (première place européenne), dont 425 pour la protection sociale et 153 pour la santé. Elles sont principalement couvertes par le budget des administrations de sécurité sociale (ASSO) pour 472 milliards, le reste dépendant des deux autres budgets publics, celui de l'Etat et des administrations centrales et celui des collectivités locales. Le budget des ASSO couvre la sécurité sociale, l'assurance chômage, les régimes obligatoires de retraite complémentaire et les hôpitaux. Enfin les ressources des ASSO proviennent principalement des cotisations sociales (65%) et des impôts et taxes affectés, essentiellement la CSG/CRDS (27%).

Voici, pour commencer, la liste des principales augmentations des prélèvements sociaux récemment votées par le gouvernement actuel.

- Les dividendes supportent le paiement à la source des prélèvements sociaux quel que soit leur régime fiscal depuis 2008. L'ensemble des revenus du patrimoine et les produits de placement supporte des prélèvements sociaux au taux total de 12,1% comprenant 1,1% de contribution RSA introduite en 2009, alors que le taux de ces mêmes prélèvements n'est que de 8% pour les salaires. (Rappelons qu'en 2008, le prélèvement fiscal libératoire est aussi passé de 16 à 18%).

- En 2009 a été introduit un forfait social qui est perçu sur la quasi-totalité des revenus assujettis à la CSG/CRDS mais exclu de l'assiette des cotisations sociales, ce qui concerne notamment l'intéressement, la participation, l'épargne salariale et les prestations de retraite complémentaire. Le taux de ce forfait, payable par l'employeur, était de 2% en 2009 et a été doublé (4%) en 2010. Le rendement attendu est de 760 millions d'euros.

- Les cotisations sociales sont désormais (depuis 2008) prélevées sur les gains des stock options, comme le suggérait en son temps Philippe Séguin. Ces gains font de plus l'objet d'une attention particulière, car outre les prélèvements de 12,1% applicables aux produits de placement, une taxe supplémentaire de 2,5% est perçue, ce qui porte le total à 14,6%. Ceci s'ajoute bien entendu au prélèvement fiscal (18,30 ou 40% selon la durée de détention et le montant des gains). Enfin, et toujours depuis 2008, un forfait social particulier de 10% est perçu sur l'employeur sur la valeur de l'option au moment de son attribution. Les rentrées fiscales correspondant à cette dernière contribution patronale sont attendues à 250 millions d'euros.

- Pour les retraites chapeaux (retraites à prestations définies), la loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2010 vient de doubler la contribution patronale (qui passe ainsi, soit à 16% des rentes versées, soit à 12% des primes versées en cas de gestion confiée à un organisme extérieur ou 24% si la gestion est interne), On attend 25 millions d'euros de rentrées fiscales supplémentaires de ce doublement. Le forfait social au taux de 4% depuis cette année leur est également applicable. Pour les retraites chapeau excédant huit fois le plafond annuel de la sécurité sociale (soit 276.960 euros en 2010), la réforme substitue aux cotisations patronales portant sur les rentes versées, une contribution additionnelle de 30%.

- Les indemnités de rupture, comprenant les « parachutes dorés », au-delà de 200.000 euros sont soumises à la CSG/CRDS et aux cotisations sociales à hauteur de 46,18%, comme le sont les salaires. Au-delà de un million d'euros, elles sont taxables en totalité à compter du premier euro.
- Les assurances-vie multisupport supportent depuis 2010 les prélèvements sociaux au taux de 12,1% sur les intérêts compris dans le capital décès versé.
- Les plus-values de cession des valeurs mobilières sont depuis 2010 taxables à compter du premier euro, et non plus au-delà de 25.730 euros. Deux millions de contribuables sont concernés pour un rendement escompté de 113 millions d'euros.

Cette énumération appelle les remarques suivantes :

Tout d'abord, elle montre que le gouvernement actuel n'a pas attendu pour augmenter les prélèvements sociaux sur les produits financiers et assimilés [1]. Sauf à introduire une fiscalité réellement confiscatoire et à faire disparaître la base taxable elle-même (cas des stock options ou de l'intéressement/participation), aller plus loin dans la taxation ne serait ni justifié ni productif. Cela s'appelle tuer la poule aux œufs d'or. Dans d'autres cas comme ceux des indemnités de rupture et les retraites chapeaux, il existe maintenant une surtaxation propre à limiter fortement le recours à ces avantages.

Par ailleurs, malgré ces augmentations, le supplément de recette qu'elles génèrent reste malgré tout limité. Le rendement des mesures que nous avons énumérées n'est pas connu avec précision, mais les exemples que nous avons donnés montrent qu'il devrait se situer au mieux à hauteur de 1,5 milliard d'euros environ. Nous sommes très loin du seul déficit des régimes sociaux. C'est ainsi que le Directeur de la Sécurité Sociale estimait récemment que la crise avait fait perdre 22,7 milliards d'euros aux contributions provenant de la masse salariale en raison de sa contraction, et 2,3 milliards à celles provenant des revenus du capital. Surtout, même à supposer que les effets de la crise ne se fassent plus sentir à compter de la présente année (hypothèse de 5% de progression de la masse salariale et de 3% des dépenses maladie entre 2011 et 2013), le déficit structurel du régime général se maintiendrait à hauteur de 30 milliards d'euros.

On n'est donc pas du tout dans les mêmes ordres de grandeur. Quelles solutions apporter alors ? Si l'on voulait continuer dans la direction de la réduction des niches sociales, il faudrait s'attaquer cette fois à des exonérations touchant le pouvoir d'achat des catégories moyennes. Déjà la taxation des revenus mobiliers au premier euro va concerner comme on l'a vu 2 millions de contribuables. Le programme « financement » du PLFSS 2010 chiffre bien à 43,8 milliards d'euros le coût des exemptions d'assiette des cotisations sociales, mais ce chiffre impressionnant ne doit pas faire illusion. Beaucoup sont dues à des politiques économiques, et en particulier la nécessité de combler les effets des 35 heures. Le gouvernement se refuse en outre à remettre en cause celles de ces exemptions « qui visent à favoriser les dividendes du travail », autrement que par la création du forfait social de 4%. On peut le comprendre, encore que certaines mesures comme l'égalisation des cotisations des fonctionnaires avec celles du régime général (5 milliards d'euros d'après la Cour des comptes) seraient bienvenues. Mais prélever, par exemple, les cotisations sur les avantages gérés par les comités d'entreprise se révélerait certes parfaitement justifié mais politiquement pour le moins compliqué.

Au total, avec la réduction des dépenses, ce ne sont pas de nouvelles contributions qui permettront d'améliorer la situation, ni, sauf à la marge, la suppression des exonérations, mais bien l'augmentation de l'assiette des contributions existantes, c'est-à-dire l'augmentation des profits sur lesquels prélever ces contributions. Croissance et emploi restent les maîtres mots.

[1] Et ce contrairement aux affirmations du gouvernement quant à la non-aggravation de la fiscalité, qui ne reste vraie que pour l'impôt sur le revenu. Quant aux protestations de l'opposition motivées par le bouclier fiscal, elles tombent aussi et pour les mêmes raisons à côté de la vérité.