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Corruption et politiciens dans la crise des subprimes

L'affaire des subprimes, à l'origine de la crise financière internationale, a son origine dans des dérèglements des systèmes hypothécaires américains ; mais pas seulement pour des raisons humanitaires et l'extension de prêts à des populations défavorisées : corruption et politique se retrouvent dans une combinaison qui malheureusement n'est pas nouvelle.

Un précédent : celui des Savings and Loans qui, dans les années 80, secoua l‘Amérique et conduisit à la démission du tout-puissant speaker de la Chambre Jim Wright, celle de Fernand Saint-Germain, le président de la commission bancaire de la Chambre, au scandale des « Keating Five » impliquant quatre sénateurs démocrates et le sénateur John McCain, l'actuel candidat républicain à la présidence, un risque de faillite évalué à environ 1300 milliards de $ et ayant coûté au final 160 milliards dont 125 aux contribuables.

Les S & L sont des caisses d'épargne dont les fonds servaient essentiellement à faire des prêts immobiliers. Amenées à convertir des dépôts des déposants à court terme en placements à moyens et longs termes, les S & L devaient observer des ratios de liquidité. Ils sont contrôlés par des régulateurs qui peuvent bloquer les S & L sortant des limites réglementaires.

C'est ici que corruption et politique rentrent en jeu. En contrepartie de faveurs financières personnelles et d'abondantes contributions aux caisses des partis, ces parlementaires intervinrent pour bloquer l'intervention des régulateurs.

La crise des subprimes a des origines similaires. Au centre du dispositif, deux sociétés à capitaux privés, appelées Fannie Mae et Freddy Mac, qui ne sont pas liées formellement à l'Etat américain mais disposent d'une ligne de crédit garantie par ce dernier. Cette facilité leur permet d'emprunter de l'argent sur le marché à des taux bien plus faibles qu'une banque. Toutes deux usent de cette capacité pour remplir leur mission, à savoir racheter des prêts immobiliers aux établissements de crédit qui les ont souscrits.

En se portant acquéreurs de ces prêts, Fannie Mae et Freddie Mac permettent aux établissements de crédit de s'en décharger et de pouvoir ainsi souscrire de nouveaux prêts. Ils garantissent ainsi le maintien d'une offre de crédit à des conditions plus favorables que si le marché se régulait seul. Ceci leur a également permis de regrouper les hypothèques sous forme de paquets et de les placer auprès des autres organismes financiers. Le total des hypothèques ainsi constituées atteignait 5.200 milliards en mai 2008.

Ce sont ces deux sociétés que le gouvernement américain a dû nationaliser en septembre. Au cœur du scandale, Franklin Raines, le fils d'un agent de nettoyage, diplômé de Harvard (Law school) et d'Oxford (Rhodes scholar comme Bill Clinton). Après divers postes dans l'administration notamment comme directeur du US Office of Management and Budget dans le gouvernement Clinton, il prit la présidence de Fannie Mae en 1999 et rapidement entreprit d'élargir les possibilités de prêts à des foyers à bas revenus et d'abaisser les conditions requises pour les rachats de crédits hypothécaires auprès des organismes financiers. Cette action pourrait être mise sur le compte de la générosité si simultanément Raines n'avait pas été convaincu d'avoir truqué les comptes de l'entreprise de façon à montrer des performances toujours meilleures dont ses bonus étaient dépendants et justifier un traitement qui en 2003 dépassait 20 millions de $, et être obligé de démissionner. La même année, plus de 20 de ses collaborateurs touchèrent des traitements supérieurs au million de $.
Particulièrement remarquable fut sa bataille contre l'éditorialiste en chef du Wall Street Journal, Paul Gigot [1], qui dès 2001 dénonçait les truquages comptables.

C'est ainsi que le PDG de Countrywide Financial, l'une des plus grandes firmes hypothécaires et l'une des premières à déposer son bilan en 2008, Angelo Mozilo, attaquait publiquement Gigot dès octobre 2003 pour oser critiquer la comptabilité de Fannie ; il était d'ailleurs rejoint par Paul Krugman, le récent prix Nobel d'économie, éditorialiste du New-York Times qui n'hésitait pas à publier des articles attaquant le Wall Street Journal, disant que la droite américaine haïssait Fannie et Freddie parce qu' « elle ne voulait pas que des entités quasi-publiques puissent concurrencer Angelo Mozilo ». Alors que ces deux institutions avaient fait la fortune de Mozilo en achetant en masse ses titres hypothécaires.

Le scandale de Fannie et Freddie n'a pu perdurer que grâce à des complicités politiques, essentiellement celles du parti démocrate auquel était lié Raines largement arrosé par ces institutions. Mais pas seulement ce parti, car comment expliquer que le président Bush n'ait pas pu réussir à les réformer lorsqu'il le tenta en 2003 ? Très remarquées ont été les interventions démocrates, en particulier celles du député Barney Franks, du sénateur Chuck Schumer, du sénateur Chris Dodd, qui supervisent au Congrès les activités des Fanny et Fred. A côté des largesses faites au parti, il faut noter des avantages discrètement accordés aux parlementaires eux-mêmes. Chris Dodd aurait ainsi bénéficié de prêts à des conditions inégalées pour acheter d'importants biens immobiliers dans son état, le Connecticut.

[1] « The Fannie Mae gang » par Paul A. Gigot. Editorial Wall Street Journal 24/7/ 2008