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Conférence sociale, que retenir des 44 pages de la feuille de route ?

Un an après la grande conférence sociale de juillet 2012, celle de 2013 s'est tenue les 20 et 21 juin derniers dans une certaine indifférence. C'est que parmi les six thèmes abordés, celui des retraites a mobilisé toutes les énergies, et aussi provoqué tous les affrontements, mais la conférence sociale n'a rien révélé qu'on ne connaissait déjà. Le reste des thèmes n'a pas permis de mettre à jour des orientations nouvelles. Le sujet de la compétitivité des entreprises a brillé par son absence préoccupante, cependant que celui du financement de la protection sociale est passé sous le tapis, comme le montre la feuille de route rédigée par le gouvernement à l'issue de la conférence. Un texte extrêmement bavard de 44 pages, qui se signale surtout par le lancement d'une avalanche de concertations et de missions confiées à un ensemble de comités et commissions et autres conseils.

Le premier thème, qui avait pour titre Mobiliser pour l'emploi et la formation professionnelle, réunit en fait le sujet des deux premiers thèmes de la conférence de 2012. On reste sur sa faim, car si l'on parle d'une « mobilisation générale », les dispositifs d'accès à l'emploi mentionnés ne dépassent pas ceux déjà appliqués, à savoir les emplois d'avenir, les contrats aidés et les contrats de génération. Trois dispositifs dont le succès est faible. En ce qui concerne les contrats d'avenir, est soulignée l'implication particulière des collectivités territoriales en tant qu'employeurs et financeurs. Une proposition plus que surprenante lorsqu'on connaît l'état des finances des collectivités locales, qui n'ont au surplus pas de besoin d'embauche (comme le précisait Alain Juppé, interrogé il y a quelques jours en sa qualité de maire de Bordeaux).Des mesures, certes louables, sont ensuite détaillées pour l'accompagnement des entreprises dans leur recrutement et des chômeurs pour leur formation. Des formations prioritaires ont été décidées, mais limitées à 30.000 demandeurs d'emploi.

Ce qui est extrêmement préoccupant, c'est l'absence de toute mesure concrète et d'effet immédiat d'incitation à l'embauche par les offreurs d'emploi marchand. La compétitivité des entreprises est aux abonnés absents, et le sujet du financement de la protection sociale, qui figurait déjà dans la feuille de route de l'année précédente, est une nouvelle fois passé sous le tapis (voir plus loin).

Améliorer les conditions de travail, prévenir les risques et améliorer la santé des salariés était le second thème, déjà présent lors de la conférence de 2012. La feuille de route s'ouvre par ces deux constats : « la qualité de vie au travail n'est pas une contrainte supplémentaire, mais un facteur de compétitivité et donc une condition de sortie de crise », et « le travail est facteur de santé ». Les concertations, missions et expérimentations vont être poursuivies, et une plate-forme « responsabilité sociale » des entreprises mise en place…

Assurer l'avenir des retraites et de notre protection sociale était l'évident plat de résistance. Curieusement ces deux thèmes essentiels n'occupent que trois pages sur les 44 de la feuille de route ! On comprend pourquoi : pas de véritable débat pour le premier, déjà fermé avant d'être ouvert, et un balayage sous le tapis pour le second.

Sur les retraites, le texte rappelle que la concertation qui va s'ouvrir en juillet, et que « le gouvernement présentera la réforme au mois de septembre ». Concertation qui, vu le délai, n'en aura que le nom, le texte de la réforme étant certainement déjà préparé… La seule indication claire donnée est l'idée de prendre en considération « deux horizons » : l'un pour garantir le financement des retraites à court terme, l'autre pour assurer la pérennité du système par répartition. On sait déjà que la réforme du premier « horizon » ne fera que faire bouger les paramètres existants, et que tous les acteurs devraient mettre la main à la poche. On croit aussi comprendre que, même dans le cadre du deuxième horizon, la discussion sera limitée au système par répartition. Pas grand-chose de nouveau à attendre a priori.

Sur le financement de la protection sociale, le texte rappelle les travaux de la mission confiée au Haut Conseil pour le financement de la protection sociale, mais celui-ci n'a rendu qu'un rapport d'étape, et sa compétence ne dépasse pas celui d'un aménagement des ressources à volume égal de dépenses. On rappelle l'attachement des participants à un « haut niveau de protection sociale », on concède que « certains » ont regretté que les travaux du Haut Conseil « n'aient pas permis un certain nombre de scénarios de financement », mais on se contente de s'accorder sur « la nécessité de poursuivre ces réflexions », sans aucune indication de planning. Un enterrement de première classe, dirait-on. Le message gouvernemental paraît bien être que le CICE est censé suffire pour régler une fois pour toutes la question…

Le quatrième thème, Développer les filières et anticiper les emplois de demain, dont la discussion a été dirigée par Arnaud Montebourg comme l'année dernière l'avait été la discussion sur le thème « Réunir les conditions du redressement productif », fait appel à force concertations et missions, et à la mobilisation de force organismes ( Conseil National de l'Industrie et ses divers « groupes transverses », une nouvelle Commission Nationale des Services, un nouveau Commissariat Général à la Stratégie et à la Prospective (CGSP), un éventuel « comité stratégique dédié aux industries de l'énergie, hors production électrique », une Médiation des relations interentreprises, le Conseil National de l'Emploi, le conseil national économie, des animations de réseau etc…

On leur souhaite de travailler en bonne entente et coordination. Mais alors, comment donc se fait-il que, dans ce texte qui insiste à chaque ligne sur la nécessité d'une action collective et coordonnée, la BPI, qui on le veuille ou non est la seule à disposer de fonds à investir, ne soit jamais mentionnée, dans les six pages consacrées au thème, comme devant être associée à tous ces travaux, autrement qu'entre parenthèses au détour d'une phrase, pour évoquer la « forte attente » la concernant ?? [1]

La discussion sur le thème Moderniser l'action publique pour conforter notre modèle de services publics donnera lieu à une double mission confiée au CGSP, dont on saura plus à l'automne prochain, ainsi qu'à la mise en place d'une « structure territoriale pérenne de concertation entre pouvoirs publics et partenaires sociaux » sur l'action publique et les services publics, s'ajoutant au rôle que joueront le Conseil supérieur de la fonction publique de l'État et le conseil commun de la fonction publique, ainsi que les « conférences territoriales de l'action publique. Sera aussi mis en place en juillet un « baromètre de la qualité des services publics », ultérieurement décliné au niveau territorial.

Enfin, le sixième thème s'intitule Donner un nouveau souffle à l'Europe sociale. Il s'agit ici de mettre en valeur les initiatives françaises en vue de l'institution d'une véritable Europe sociale, en insistant sur la lutte contre le dumping social, et la nécessaire définition d'un salaire minimum. La France a aussi demandé que la dimension sociale de l'Union économique et monétaire, soit incluse dans la feuille de route sur l'approfondissement de l'UEM.

Une question fondamentale à l'issue de cette brève revue : en quoi cette feuille de route est-elle destinée à répondre aux mesures d'urgence nécessaires pour relancer l'emploi marchand ?

Une question accessoire : comment, à quel prix pour les finances publiques, et avec quelle efficacité peuvent fonctionner la coordination de tous les organismes visés et les concertations entre État et partenaires sociaux ?

Rappel des urgences non traitées :

  • S'occuper de la compétitivité des entreprises, et particulièrement de leur fiscalité et du coût du travail,
  • Ne pas considérer que le CICE est une mesure suffisante pour régler le problème de cette compétitivité, au lieu de se borner à prévoir d'en faire une évaluation, ce qui nous renvoie dans le meilleur des cas à 2015. Pérenniser la baisse des charges sociales en remplacement de ce crédit d'impôt trop facilement sujet à modulation ou suppression,
  • Stabiliser les prélèvements sur les entreprises et l'annoncer clairement, ce qui n'est absolument pas le cas pour 2014, encore moins pour les années suivantes.

[1] En disant cela, notre propos n'est pas de défendre l'institution de la BPI, que nous critiquons. Mais dans l'optique qui est celle du gouvernement actuel, il n'est pas crédible de la créer pour ne pas l'utiliser là où elle devrait l'être.