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« Comment peut-on considérer que les entreprises ne sont pas sociales ?»

Tous les mercredis, avant le Conseil des ministres, Le Macronomètre, l'observatoire des réformes du gouvernement lancé par la Fondation iFRAP, attribue une note aux réformes d'Emmanuel Macron. La note de la semaine du Macronomètre est présentée dans le Figaro. Cette semaine : 5/10 sur les mesures de la Loi Pacte pour diriger l'épargne des Français vers le financement des PME.

Les entreprises françaises devraient bientôt se voir attribuer de nouvelles missions. Le gouvernement nous dit en effet dans son projet de loi Pacte que «le Code civil et le code de commerce seront modifiés afin de renforcer la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux dans la stratégie et l'activité des entreprises.»

Comment peut-on aujourd'hui considérer que les entreprises ne sont pas «sociales» alors même que ce sont elles qui financent pour plus de 330 milliards d'euros par an le modèle social français ? Passons.

Une «raison d'être» optionnelle

Autre mesure, optionnelle celle-là : une entreprise pourra ajouter dans ses statuts une «raison d'être» si elle le souhaite. Et l'exécutif de donner l'exemple de Sandra, à la tête d'une entreprise de plats cuisinés portant une vision du «bien manger», bio et local. Après la réforme, elle pourra intégrer la raison d'être suivante pour son entreprise: «permettre au plus grand nombre de bien manger». On peut se demander quel impact aura cette mesure...

Première observation, la loi Pacte avait originellement l'ambition de faire entrer dans la loi l'idée selon laquelle l'entreprise n'a pas pour seul objet de «partager les bénéfices», comme l'indique aujourd'hui le Code civil. Finalement, le projet révisé se borne à intégrer une meilleure «prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux» dans le Code civil et le Code de commerce, relativement au rôle du conseil d'administration et du directoire des sociétés anonymes.

Juridiquement, c'était la seule façon pour le gouvernement de s'en sortir. Le partage des bénéfices comme but de la société concerne les rapports des associés entre eux. La règle n'a pas à être modifiée. Il n'y avait pas non plus à évoquer la modification autoritaire et obligatoire de l'objet social, qui est celui que les associés se choisissent librement dans les statuts de la société lorsqu'ils fondent cette dernière.

15% des entreprises concernées

Enfin, on remarque que le terme «entreprise» ne figure plus dans la loi, mais seulement celui de «société», et que donc seules les entreprises exerçant sous forme de société par actions sont concernées… soit 15% des entreprises commerciales françaises. Les sociétés civiles sont aussi concernées, mais on ne voit pas bien lesquelles sont susceptibles d'avoir à se préoccuper des «enjeux sociaux et environnementaux» de leur activité…

Le projet de loi n'apporte donc pas de modification essentielle au droit des sociétés, et ne concerne pas les entreprises en général.

Que penser au fond de cette «réforme»? L'idée de vouloir améliorer la «prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux» est une énigme quant aux obligations susceptibles d'être mises en vigueur dans un cadre judiciaire. Comment évaluer une «prise en considération» ? N'est-ce pas de toute façon ce qu'une société est amenée à faire, ne serait-ce qu'en raison des réglementations déjà extrêmement lourdes qui pèsent sur les entreprises de façon générale (droit du travail, ou obligations environnementales définies par la loi en fonction des activités) ?

Une loi qui ne changera rien au niveau juridique

Une société engagée dans la production ou la vente de tabac ou de charbon a une activité mauvaise pour la santé ou pour la planète : faut-il l'interdire? Que lui demander outre la stricte observance de ses obligations légales, par ailleurs déjà sanctionnées, et souvent pénalement ? Comment un tribunal pourrait-il sanctionner un défaut de «prise en considération» de tels «enjeux», incrimination extrêmement vague ? On imagine mal comment un conflit pourrait par exemple s'élever sur cette base entre les dirigeants d'une société et ses actionnaires, qui ne puisse pas être réglé par le droit tout puissant des actionnaires de révoquer «ad nutum» le dirigeant qui aurait cessé de plaire.

Nous sommes donc devant une «réforme» avant tout d'ordre psychologique (et idéologique?). Cette loi ne changera rien au niveau juridique. Si ça ne fait pas vraiment de bien, ça ne fait pas (vraiment) de mal… tel que c'est rédigé. Cela allonge juste pour pas grand-chose le nombre de signes de nos codes déjà bien fournis. Le président n'avait-il pourtant pas promis de lutter contre l'inflation normative ?