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Chômage : redéfinir surtout l'offre raisonnable d'emploi

Le chef de l'État, en s'exprimant dans les colonnes du Figaro la semaine dernière sur le thème du retour à l'emploi, bouscule le paradigme qu'il avait lui-même appliqué avec l'institution du RSA, en reconnaissant que ce dernier, s'il avait contribué à diminuer la pauvreté, avait jusqu'à présent échoué comme outil de réinsertion dans l'emploi. Il en rend responsable le système de formation, mais l'attention a été attirée sur sa proposition de mesure de contrainte consistant à obliger les chômeurs à accepter la première offre d'emploi correspondant à la formation reçue. Mesure très mal acceptée, ce n'est pas étonnant, mais le chef de l'État pose cependant indirectement la bonne question.

Cette question, c'est de savoir s'il suffit de permettre que le retour au travail soit gagnant par rapport au seul revenu d'assistance pour obtenir que les Français reprennent effectivement un emploi, ou si une formule de contrainte n'est pas nécessaire. Les opposants à toute contrainte argumentent sur le thème « Connaissez-vous quelqu'un qui ne veuille pas travailler ? ».

Mais cette interrogation est mal posée, car le problème n'est pas de savoir si les Français veulent travailler, mais quel emploi ils acceptent de prendre, ou au contraire refusent de prendre car trop mal payé ou jugé indigne par rapport à leurs capacités. Et c'est ici que le bât blesse, et que, sauf à se voiler la face, il faut bien reconnaître que nombre de Français préfèrent vivre de l'assistance plutôt que de prendre un emploi qu'ils jugent indigne, même si cet emploi serait -marginalement- plus rémunérateur. On peut les comprendre. C'est ici aussi qu'apparaît la grande différence avec l'Allemagne, qui a réduit considérablement l'indemnisation du chômage (12 mois seulement pour les moins de 50 ans) et après cette courte période contraint les chômeurs à prendre tout emploi, même peu rémunérateur qui leur est offert.

Voyons comment, on serait tenté de dire à l'opposé, la France réglemente le retour à l'emploi. Dans le cas des bénéficiaires du RSA, auquel Nicolas Sarkozy paraît se référer, le rapport final publié fin 2011 du comité d'évaluation du RSA conclut à l'impossibilité de mettre en évidence un effet notable de cette allocation sur le taux de retour à l'emploi des bénéficiaires, ni d'ailleurs sur le développement du temps partiel, des contrats courts ou à bas salaires. C'est évidemment une grosse déception à laquelle aboutit le système mis en place par Martin Hirsch à la demande du chef de l'État, et dont les causes sont multiples (complexité et illisibilité des effets financiers, refus de l'assistance, pratiques inquisitoriales de l'administration, intérêt limité, parcours administratif rebutant etc.) Le résultat est là : seulement 40% des bénéficiaires ont signé le contrat prévu par la loi pour définir le suivi de leur carrière, 52% ont un conseiller référent, 40% ont des entretiens à des intervalles supérieurs au trimestre, un quart ont disposé d'une formation etc.

Dans le cas général de l'inscription à Pôle Emploi, la loi a été revue en 2008 dans un sens plus exigeant pour les bénéficiaires, mais sans apporter de changements notables. Une nouvelle instruction ministérielle du 24 novembre 2011 est venue renforcer les devoirs des bénéficiaires, mais la déception des bénéficiaires est grande, car l'institution est débordée et n'assure ni le suivi ni la formation prévus. Concernant l'obligation d'accepter les offres « raisonnables » d'emploi, elle signifie d'abord que le bénéficiaire définit lui-même son besoin dans le plan qu'il établit de concert avec son conseiller. D'autre part, il n'est tenu d'accepter un emploi que si celui-ci « correspond à sa profession ou à sa qualification acquise, ainsi qu'au niveau exact où il était dans son dernier poste », que s'il est payé à 100% de son dernier salaire, et enfin sans que le bénéficiaire soit tenu à aucune obligation de distance de temps de trajet. Après 3 mois, 6 mois puis un an, la définition des postes devient plus large, mais la correspondance avec la profession ou la qualification subsiste, le salaire passe respectivement à 95%, puis 85%, enfin, après un an, à un montant au moins égal à celui de l'allocation de chômage, et le temps de trajet ne doit pas dépasser 1 heure ou 30 km.

Dans ces conditions, que peut signifier la proposition du chef de l'État de contraindre les chômeurs, sous peine de perdre leur allocation, à accepter la première offre d'emploi qui leur est adressée ?

Il paraît essentiel que la notion d' « offre raisonnable » existant actuellement dans la loi soit d'abord redéfinie. Il est illusoire de penser qu'on augmentera notablement le retour à l'emploi aussi longtemps que le bénéficiaire pourra refuser un emploi dans les conditions actuelles qui lui laissent la très grande marge que nous avons indiquée. En fait l'allocation chômage fonctionne comme un minimum que le chômeur est assuré de percevoir, puisqu'il peut refuser tout emploi dont le salaire n'est pas au moins égal à l'allocation.

L'amélioration par l'administration de ses efforts de suivi sont nécessaires mais ne suffiront pas à changer réellement le cours des choses s'il ne s'y ajoute pas une contrainte dont les limites ne soient pas trop étroites.

En quoi consiste l'indemnisation ? Les calculs étant compliqués, nous n'indiquons que les règes essentielles. Durée : égale à la durée de cotisation, avec un minimum de 4 mois et un maximum de 24 mois ou 36,5 mois après 50 ans. Montant : calculé à partir du SJR (salaire total ramené au montant journalier), plafonné à 4 fois le plafond SS, et égal à la plus élevée des deux sommes suivantes : 57,4% du SJR ou bien 40,4% du SJR + 11,34 euros par jour. L'allocation brute journalière ne peut être inférieure à 27,66 euros, ni supérieure à 75% du SJR. Pour un salaire jusqu'à 1.122 euros/mois, l'indemnité est de 75% du SRJ sans retenues sociales, soit environ le Smic. A partir d'un salaire brut de 1.229 euros, une retenue de 3% est effectuée (retraite).

Il est clair que le volet d'incitation à l'emploi n'est pas plus présent dans le système de l'allocation chômage qu'il n'est efficace dans le cas du RSA.

Dans ces conditions, compte tenu du besoin de diminuer les dépenses publiques en même temps que d'inciter à la reprise de l'emploi, on peut penser à changer la loi sur plusieurs aspects, et notamment baisser la durée d'indemnisation ainsi que l'indemnité, nettement plus élevée que dans les pays qui nous entourent, devrait être aussi diminuée. [1]

Surtout, revoir la notion d'offre raisonnable d'emploi constituerait un progrès important pour inciter à la reprise du travail. L'obligation d'accepter tout emploi quelle que soit la qualification serait excessivement exigeante et douloureuse. On pourrait cependant définir la condition de similarité d'activité en ne se référant qu'à la branche d'activité, abaisser les critères financiers en fixant comme limite, et ce dès le début de la prise en charge par Pôle Emploi, un salaire égal au montant de l'allocation, et enfin supprimer le droit de refus en cas d'éloignement, sauf motif dirimant.

Ces propositions aggravent certainement la situation des bénéficiaires. Elles sont cependant moins exigeantes que celles en cours dans la plupart des pays qui nous entourent, et, en restant réaliste, sont nécessaires pour inciter fortement à la reprise de l'emploi.

[1] Le salaire de référence étant de 4 fois le plafond de la SS (en 2012 : 3.031 euros), il pourrait être abaissé à 2 ou 3 fois sachant qu'il faudrait parallèlement abaisser le plafond de cotisation (le maximum d'indemnisation est aujourd'hui de 6.121 euros brut par mois pour un salarié ayant cotisé jusqu'à un montant de salaire de 11.784 euros). Si la France adoptait le système allemand, l'indemnité pourrait être plafonnée autour de 2.200 euros par mois en cotisant jusqu'à environ 5.500 euros de salaire par mois.