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Ces logements HLM détournés de leur objectif

D'après Profession logement, 53.000 logements HLM sont occupées par des personnes dont les revenus dépassent de beaucoup ce qui est tolérable pour bénéficier d'un logement social et 378.000 par des personnes dont les revenus dépassent ce qui est raisonnable. Ces chiffres auraient été tirés d'un rapport de l'Observatoire National de la Pauvreté et de l'Exclusion Sociale (ONPES). Cet organisme gouvernemental a nié avoir publié ces données, mais la réalité du problème est encore plus grave. Combien de logements sociaux et HLM en France sont-ils détournés de leur objectif ?

Être logé en HLM représente un avantage financier considérable, de plusieurs centaines d'euros par mois pour un trois pièces, notamment dans des zones comme la région parisienne et d'autres grandes villes. Il semble naturel que la collectivité accorde son aide, nécessairement limitée, en priorité aux ménages dont les revenus sont des 5 premiers déciles.

« Pour classer les Français selon leur revenu, l'INSEE les répartit logiquement en déciles en partant du premier, les 10% des ménages français qui ont les plus faibles revenus jusqu'au dixième pour les 10% qui ont les revenus les plus élevés. »

La France compte 28 millions de ménages. La moitié des Français étant heureusement propriétaires de leur logement, 14 millions sont candidats potentiels aux 4 millions de HLM. Le taux de propriétaires dans la catégorie des faibles revenus étant inférieure à la moyenne nationale (30%), environ 10 millions de ménages des 5 premiers déciles devraient être prioritaires pour accéder aux 4 millions de HLM.

L'occupation actuelle du parc HLM

Le rapport de l'ONPES n'existe peut-être pas ou bien a-t-il été jugé trop explosif pour être publié. Mais l'INSEE a produit en 2008 un rapport d'Alain Jacquot, très complet et libre d'accès, qui traite précisément de ce sujet sous le titre « L'occupation du parc HLM : éclairage à partir des enquêtes logement de l'INSEE ».

Parmi tous les sujets traités dans les 67 pages de ce document, trois sont particulièrement pertinents par rapport aux données attribuées à l'ONPES :

- Niveau des revenus des locataires des logements HLM
- Sous-peuplement des logements HLM
- Niveau de qualité des logements HLM en fonction des revenus des locataires

Niveau des revenus des locataires des logements HLM

Année 2002
Déciles de revenus1-34-67-108-10Total
Effectifs en milliers 1.800 1.262 770 455 3.832
En pourcentage 47 32,9 20,1 11,9 100

Note de lecture : 455.000 ménages locataires des HLM appartiennent aux 3 déciles supérieurs.

Les chiffres donnés par Profession Logement et repris par La Tribune annonçaient 378.000 ménages locataires de HLM dans ces 3 derniers déciles (8-9-10) et sont donc tout à fait crédibles puisque le rapport de l'INSEE en compte 455.000. Le chiffre de 53.000 ménages dans le seul décile supérieur (10ème) était aussi cité, une information qui n'est pas contenue dans le rapport de l'INSEE mais est plausible si environ 60% de ces 455.000 sont dans le décile 8, 30% dans le 9 et 10% dans le plus élevé, le 10ème.

Dans Paris et ses communes limitrophes, la situation est encore plus biaisée puisque le rapport de l'INSEE montre que 30% des locataires de HLM appartiennent aux 3 déciles supérieurs, contre seulement 12% au niveau national.

Sous-peuplement des logements HLM

Cette notion est relativement subjective et le rapport définit à juste titre deux critères et deux niveaux de sous-peuplement, ou, terme généralement utilisé, de sous-occupation des logements. Typiquement, un couple sans enfant est en sous-occupation modérée à partir de 3 pièces principales et en sous-occupation prononcée à partir de 4 pièces principales ou 3 chambres.

Année 2002En %En milliers
Sous-peuplement prononcé 21 805
Sous-peuplement modéré 20,2 774
Peuplement normal 47,4 1.816
Surpeuplement modéré 9,6 368
Surpeuplement prononcé 1,8 69
Total 100 3.832

Note de lecture : 805.000 logements HLM sont sous-occupés de façon prononcée et 774.000 supplémentaires de façon modérée, soit un total de 1,579 million pour un parc de 3,832 millions de logements HLM.

Niveau de qualité des logements HLM en fonction des revenus des locataires

Le rapport de l'INSEE évalue la qualité des logements occupés par les locataires des différents déciles en fonction d'une dizaine de paramètres (situation centrale ou non, type de quartier, bruit, chauffage, garage, cave, balcon, façade …). Sur tous ces points, les locataires des 3 déciles supérieurs sont nettement favorisés, jetant un doute sur l'affirmation que ces locataires doivent rester dans les HLM pour améliorer la mixité : comme on pouvait s'y attendre, en moyenne, ils ne sont pas dans les mêmes quartiers ni dans les mêmes immeubles que les personnes des 5 premiers déciles.

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Ces données datent de 2002 et aucun nouveau rapport ne semble avoir été publié depuis. A cette date, la tendance des deux décennies précédentes vers plus de justice était mitigée puisqu'on constatait :

- une baisse de la proportion de locataires HLM des déciles 8 à 10
- mais une augmentation du sous-peuplement prononcé

Les réactions des organismes HLM et des mairies

L'article de La Tribune a entraîné de vives réactions de la part d'organismes et de mairies responsables des logements HLM. Après avoir contesté les chiffres, la première tendance a été de s'abriter derrière la loi. Thierry Repentin, président de l'Union sociale pour l'habitat : « Cet état de fait est souvent le fruit d'une situation ancienne : des personnes ont intégré les HLM à un moment où leurs revenus étaient bien moins élevés. Or la loi pose comme principe le maintien dans le logement social ». Ceux qui avaient pourtant vivement critiqué les mesures de la loi Boutin (augmentation des surloyers, expulsion éventuelle des très hauts revenus, baisse des plafonds d'accès aux HLM) les trouvent maintenant insuffisantes. Thierry Repentin : « Ce dispositif n'est pas assez dissuasif pour les plus riches car la loi a introduit un plafond au Supplément de Loyer de Solidarité pour ces catégories les plus aisées ».

Après les HLM, les Immeubles à Loyer Normaux (ILN)

Comme les chiffres de La Tribune montraient une situation particulièrement anormale à Paris, Christian Nicol, directeur du logement à la mairie de Paris a estimé que le chiffre de 53.000 locataires dont les revenus dépassent 11.000 euros par mois devait inclure non seulement les 4.000 locataires des HLM dans ce cas mais les autres types de logements publics et notamment les Immeubles à Loyer Normal (ILN). Ces logements non-conventionnés ne sont pas soumis aux mêmes contraintes, n'entrent pas dans le quota de 20% de logements sociaux de la loi SRU mais ont bien été construits sur des fonds publics. Grâce à la fiction des loyers normaux, ni les revenus des occupants, ni le niveau des loyers, ni les procédures d'attribution ne sont règlementés.

Comme le montrent ci-dessous les chiffres de l'un des plus importants organismes de logement de la mairie de Paris, la Régie Immobilière de la Ville de Paris, les loyers de ces logements ne sont pas du tout « normaux », c'est-à-dire identiques à ceux du secteur privé, mais deux à trois fois inférieurs. Si les loyers étaient normaux, on voit mal pourquoi les locataires s'y accrocheraient aussi fortement ni en quoi l'immixtion des collectivités locales ou de l'Etat dans ce secteur économique serait justifiée. Les pouvoirs publics ont déjà beaucoup de problèmes à gérer leurs propres bâtiments, il serait étonnant qu'ils gèrent mieux les logements que le secteur privé. Aucun rapport ne détaille les catégories de locataires qui bénéficient de ces logements, mais les distorsions qui y existent sont encore plus fréquentes et plus choquantes dans ce secteur que dans celui des HLM.

Source : Libération

« Le directeur de cabinet de la ministre du Logement, Christine Boutin, loue un appartement à loyer modéré appartenant à la RIVP depuis 1981, indique-t-on au ministère du Logement, ce qui confirme une information du Canard Enchaîné. Le ministère a indiqué que Jean-Paul Bolufer payait ses loyers depuis cette date au tarif fixé par la Régie.

Selon l'hebdomadaire satirique, Jean-Paul Bolufer, préfet hors cadre, bénéficie d'un appartement de 190m2 dans le quartier de Port-Royal (Vème arrondissement), avec vue sur la chapelle du Val-de-Grâce, au prix de 6,30 € le m2. Les prix du secteur, remarque l'hebdomadaire satirique, se situent généralement dans le parc privé entre 20 et 30 € le m2. »

Le cas du directeur de cabinet de Christine Boutin donne un aperçu de la façon dont ces logements sont gérés. Comme il l'a expliqué lui-même, habitant un logement non-conventionné, la ville ne pouvait pas l'expulser en invoquant ses revenus très élevés.

Exemple de la Régie Immobilière de la Ville de Paris

D'après son rapport annuel de 2009, la RIVP est propriétaire de 49.582 logements dont 21.590 HLM conventionnés et 27.992 non-conventionnés. Le loyer de ces HLM varie de 6,33 à 9,49 € /m2/mois (moyenne 7,09). Le loyer des logements non-conventionnés va de 6,45 à 10,19 €/ m2/mois (moyenne de 7,75). Le loyer mensuel moyen des 49.582 appartements loués par la RIVP et quasiment tous situés à Paris intra-muros, est de 485 € par mois.

Exemples de régimes spéciaux de logement : Hôpitaux, RATP, SNCF

En plus des logements sociaux gérés par les collectivités locales, de grandes administrations et entreprises publiques possèdent des logements largement réservés à leurs salariés à des tarifs très inférieurs à ceux des logements du secteur privé. L'Assistance Publique Hôpitaux de Paris par exemple possède 11.000 logements réservés à ses 90.000 salariés. La RATP possède 6.000 logements principalement attribués à ses 40.000 salariés. La SNCF possède, à travers une filiale, 100.000 logements, dont 80.000 sociaux et 20.000 à loyers libres, principalement loués à ses 160.000 salariés et 330.000 retraités.

Conclusion

- 455.000 ménages parmi les 30% qui disposent des revenus les plus élevés sont locataires des HLM
- 805.000 ménages sous-occupent de façon « prononcée » des logements HLM
- Les locataires disposant de revenus élevés occupent les meilleurs HLM
- La situation dans les logements publics non-conventionnés est source d'abus légaux

On ne sait pas si les deux populations (455.000 et 805.000) se recoupent largement ou s'il faut les additionner mais la réorientation des HLM et des autres logements publics en faveur des ménages qui en ont le plus besoin est indispensable et porte sur des centaines de milliers de logements. C'est à nouveau la recommandation de la Cour des comptes dans son rapport public annuel, qui n'a été que très partiellement suivie : « La Cour avait recommandé d'améliorer l'occupation du parc en mettant fin aux situations d'occupation anormale ou indue, en développant un parcours résidentiel en fonction de l'évolution des revenus et de la taille du ménage et en fixant les surloyers à un niveau dissuasif pour les ménages à revenu élevé ».

Le souhait des ménages de rester dans leur appartement, voire de le transmettre à leurs enfants est compréhensible même quand leur situation a profondément changé depuis que la collectivité les a aidés avec un logement public (élévation de leur niveau de vie, réduction de la taille de leur famille). Mais des particuliers ne peuvent pas s'approprier des logements financés par la collectivité, encore moins quand de nombreux autres demandeurs en ont vraiment besoin. Il faut clairement remettre en question la loi garantissant un logement HLM à vie aux personnes qui en ont obtenu un.