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Ça se passe comme ça à l'hôpital

Témoignage du Professeur David Khayat, Professeur de Médecine, Chef de Service à la Pitié-Salpétrière, premier Président de l'INCA

Avant de quitter l'Elysée, Jacques Chirac a eu raison de célébrer le plan cancer lancé en 2003, mais qui ne résout pas les problèmes de l'hospitalisation en France. L'état des lieux fait par le nouvel Institut National du Cancer (INCA) fait peur.

“Nous avons visité la plupart des régions françaises. Dans le Limousin, mais c'est pareil dans la plupart des autres régions, les 6 établissements de soin, publics et privés, ont opéré 163 tumeurs cérébrales. Cela correspond à 27 en moyenne par établissement, et beaucoup moins par chirurgien. Et un des établissements n'a opéré qu'un seul de ces malades de toute l'année 2004."

"Autre pathologie : le cancer colorectal. Dans cette région, 1 600 de ces cancers ont été opérés dans 27 établissements. Six établissements n'ont opéré qu'un seul cas."

"Côté médicaments innovants et très coûteux, si vous étiez soignés dans le service d'un grand hôpital, par un grand professeur, vous aviez toutes les chances de vous voir administrer ces nouveaux médicaments. Mais si vous étiez dans un petit hôpital et même soigné par un excellent médecin, il est probable que ces médicaments étaient trop chers et donc pas prescrits. [1]"

Pour le docteur Khayat comme pour tous les experts, les malades soignés par des équipes qui soignent peu de cas par an ont de fortes chances d'être mal traités. C'est une question de bon sens. Avec le plan cancer, c'est l'INCA qui fixera les interventions que chaque établissement sera autorisé à réaliser en prenant en compte la quantité et la qualité.

Pas avant 2009

Les décrets parus en mars 2007 définissent à quelles conditions les établissements de soins seront autorisés à traiter les cancers :

- Respect des protocoles de traitements
- Contact personnalisé avec le malade
- Concertation entre soignants
- Nombre minimum de cas traités par an

Il est étonnant qu'il faille des décrets pour que des règles aussi évidentes soient appliquées. Il est encore plus choquant d'attendre 2009.

On se réjouit du Plan cancer, mais on est effrayé par les dysfonctionnements qui règnent dans l'ensemble de notre système de soin. Comment parler d'égalité quand il existe de tels écarts dans les chances de guérison ? Et comment croire que ces problèmes n'existent pas dans les autres spécialités médicales ? Etre opéré du coeur dans un établissement incompétent n'est pas plus rassurant que s'il s'agit du cancer.

Le besoin de lancer sans arrêt de nouveaux "plans" ou "structures" montre que les mécanismes qui devraient identifier et traiter les problèmes avant qu'ils ne deviennent insupportables, ne fonctionnent pas. Comme d'habitude, l'Etat est empêtré dans ses 3 rôles incompatibles : responsable de fixer les normes, producteur de soins et arbitre.

Si les hôpitaux étaient autonomes, et leurs Conseils d'Administration vraiment responsables devant la population et la justice, aucun ne conserverait un service dangereux. Et si les assureurs acheteurs de soins étaient indépendants et en concurrence (le contraire de la CNAM), ils refuseraient d'envoyer leurs assurés dans des établissements à risque. Les agences de voyage sont tenues de sélectionner des compagnies aériennes sûres, pourquoi la CNAM soutient-t-elle des établissements douteux ?

[1] Exposé du 02/07/2006 à l'Assemblée nationale.