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Autonomie, Dépendance et « Silver Economy »

Quel modèle économique pour la « Silver Economy » ?

A nouveau gouvernement, nouvelle formulation d'objectifs face à une préoccupation pérenne : l'inexorable vieillissement de la population française qui se traduira par l'existence d'environ 6,5 millions de personnes de plus de 80 ans à l'horizon de 2035, dont une partie dépendantes ; et consécutivement, par une progression insoutenable des transferts sociaux publics dont elles bénéficient.

Exit donc le mirage du 5ème risque et de la loi sur la dépendance, au profit d'une loi sur l'adaptation de la société au vieillissement dont le balisage général a été assuré par trois rapports (Aquino-Broussy-Pinville) [1], et qui valorise une idée-force de la nouvelle stratégie nationale de santé définie par le gouvernement, à savoir l'accent mis désormais sur les prises en charge par parcours et non plus par structures.

Pour élaborer ce futur texte, la ministre des Personnes âgées et de l'Autonomie entend s'appuyer sur deux acronymes « A. A. A. » et « PAERPA » : le premier A. A. A. fait référence à la démarche ternaire privilégiée par Mme Delaunay :a) Anticipation/prévention ; b) Adaptation de la société au vieillissement ; c) Accompagnement de la perte d'autonomie ». Quant au PAERPA (pour « Personnes Agées en Risque de Perte d'Autonomie ») il concrétise cette nouvelle approche de la prise en charge fondée sur le parcours en lien avec l'évolution des besoins de santé des personnes âgées et non plus sur le service qui les traite ou la structure qui les héberge à un moment donné.

1) Face à un contexte macroéconomique déprimé, les rapports Broussy et Pinville mettaient en exergue le double enjeu économique du vieillissement – développement d'une filière industrielle et valorisation des métiers du grand âge – et la contribution qu'il pouvait apporter à une redynamisation de la croissance et de l'emploi (300.000 emplois selon le rapport Broussy) (+0,25 point de PIB selon Michèle Delaunay).

- Ainsi émergea le concept, encore imprécis, de Silver économie [2] ou économie du vieillissement, nouvelle filière économique au service de l'âge qui, dans sa composante techno-industrielle, a fait l'objet d'un lancement officiel le 24 avril dernier conjointement par Michèle Delaunay et Arnaud Montebourg. Dans cette acception, la silver economy renvoie donc à la filière industrielle regroupant les produits et services destinés aux personnes âgées pour faciliter leur maintien à domicile et améliorer leur quotidien, ainsi que celui de leurs aidants, face aux situations de dépendance ; toutes les composantes des gérontotechnologies sont ici visées : domotique, téléassistance multiservices, robotique personnelle et de service, domomédecine etc.

Au-delà du volontarisme gouvernemental affiché pour cadrer et soutenir financièrement le développement coordonné des secteurs constitutifs de la silver économy, il importe de s'interroger, dans une perspective évaluative, sur les conditions de succès de la démarche entreprise et sur les freins à sa mise en œuvre.

- Les analyses réalisées au début de 2013 par les groupes de réflexion sur les technologies d'aide à l'autonomie, ont dégagé un certain nombre de conclusions dominées par deux constats essentiels :

i - l'offre peine à rencontrer la demande ;

ii- le modèle économique n'est pas encore établi.

Sur cette base, étaient avancées quelques propositions opérationnelles : tout d'abord, améliorer la lisibilité de l'offre en dispensant une information plus dense et en favorisant l'intégration des nouvelles technologies grâce à un processus de labellisation et une formation adaptée des personnels de soins à domicile ; en second lieu, privilégier la mise à disposition des produits plutôt que leur achat afin de faciliter l'intervention des payeurs ; troisièmement, dans une perspective de recherche d'efficience, mesurer les bénéfices socio-économiques de ces solutions en incluant l'ensemble des acteurs concernés ; enfin, encourager le préequipement des logements en vue de l'installation ultérieure de solutions domotiques en fonction de l'avancée en dépendance.

2) Mais, par-delà l'optique organisationnelle qui a été dominante dans les travaux de ces groupes de travail, reste entier le problème, décisif pour l'avenir des innovations technologiques, des sources de financement à mettre en œuvre pour mobiliser les milliards d'euros supplémentaires nécessaires dans les années à venir.

En effet, l'essor des géronto-technologies et le développement des débouchés potentiels à grande échelle – facteurs déterminants de baisse des prix et de possibilités translationnelles accrues des innovations vers le secteur industriel – ne peuvent se concrétiser qu'à travers des modalités efficaces de prise en charge financière assurant une solvabilisation suffisante de la demande. Réapparaît alors le débat récurrent pour l'économie de santé et, maintenant, l'économie du vieillissement, sur la détermination de ce qui relève de la solidarité nationale ou de la sphère privée.

- Concernant la solidarité nationale, on ne peut guère compter sur une acceptation – élargie à la dimension de la population dépendante – de la prise en charge des nouveaux dispositifs par l'assurance maladie.

Les financements collectifs assurés par cette dernière sont en effet affectés d'une grande viscosité qui résulte à la fois d'une situation financière longuement déficitaire et d'une relative incapacité administrative à faire évoluer en faveur des nouveautés la structure du panier des biens et services de santé remboursables ; dès lors, pour l'essentiel, le déploiement d'objets technologiques – au demeurant encore assez sommaires - reste très ponctuel et dépendant d'opérations subventionnés par des collectivités locales (à l'exemple du département de la Creuse) ; mais l'extensibilité de ces financements est très restreinte compte tenu, notamment pour les départements, de la charge financière que représente l'aide personnalisée pour l'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH).

Reste que, si l'état détérioré de l'économie nationale, et par suite, des finances publiques et sociales, ne laisse que peu de place pour une augmentation significative des prélèvements obligatoires, en revanche deux axes de réflexion porteurs doivent retenir l'attention :

Premièrement, des ressources collectives supplémentaires pour le médico-social devraient provenir – en négligeant les résistances socio-politiques – d'un transfert de moyens financiers en provenance du secteur hospitalier public, actuellement hypertrophié par rapport à l'évolution de la nature des besoins sanitaires et des modes de traitement (chirurgie ambulatoire, hodpitalisation à domicile, pathologies de plus en plus chroniques).

Par ailleurs, dans une volonté réformiste de recherche d'efficacité du système social, pourrait être envisagé le remplacement des diverses subventions actuelles et remboursement de produits et prestations au cas par cas par une aide directe à la personne ; dans cette hypothèse, à l'image de ce que certains pays, comme les Pays-Bas, ont déjà fait dans le domaine du handicap, l'attribution personnalisée d'un « chèque santé/autonomie » permettant au bénéficiaire un libre choix de prestations adaptées à ses besoins spécifiques en lieu et place d'une nomenclature restrictive préétablie et uniforme de produits et/ou de dispositifs pris en charge au titre de la solidarité sociale.

- Reste alors à envisager les potentialités offertes par les financements privés. On pense tout d'abord au développement de l'assurance-dépendance privée, individuelle ou dans le cadre des contrats collectifs de prévoyance des entreprises ; même si assureurs et banquiers classiques commencent effectivement à proposer des forfaits d'assistance incluant des nouvelles technologies, force est de constater que la population ne manifeste qu'une faible appétence – préférant l'intervention publique - pour ces couvertures pour lesquelles, d'ailleurs, leurs promoteurs ont des difficultés à définir une tarification optimale en raison de la faible lisibilité de l'évolution à long terme des probabilités d'occurrence du risque de perte d'autonomie.

Et autre piste dans ce cadre, plus (et sans doute encore trop) novatrice, l'arrivée sur ce marchée d'investisseurs financiers à la recherche de placements stables et de long terme, alternatifs à l'immobilier ou aux réseaux électriques ou de transport. Sur ce marché, santé et autonomie, une partie de l'épargne nationale et internationale actuellement disponible inteviendrait en complément des modes de financement traditionnels de la protection sociale, malheureusement quelque peu exsangues, permettant de mettre ces ressources au service, à la fois de la création de richesse et de la satisfaction de besoins.

Conclusion

Dans ces conditions, se pose, pour conclure, la question du réalisme de l'objectif de création de plusieurs centaines de milliers d'emplois dans le cadre de la silver economy. Des doutes peuvent être émis si l'on se réfère aux résultats mitigés du plan Borloo de 2005 qui visait au développement massif d'emplois d'aide à la personne. Le raisonnement était assez similaire : il s'agissait de parier sur un cercle vertueux d'inspiration keynésienne amorcé par une subvention publique (sous forme de réduction de la fiscalité et des charges sociales) et susceptible de créer rapidement de l'emploi direct puis d'engendrer une dynamique de croissance capable de s'auto alimenter à moyen terme. De la même manière, un apport d'argent public est mis à disposition des filières de la silver economy, mais il n'en reste pas moins que le développement de la demande sur le marché de la perte d'autonomie – comme dans le Plan Borloo – est alimenté pour l'essentiel par des revenus de transfert, principalement les retraites et pensions. Ceux-ci proviennent de mécanismes de redistribution de la valeur ajoutée produite par les actifs employés dans les secteurs d'entraînement de l'économie nationale, redistribution qui pour des raisons tant économiques que démographiques, n'est que très faiblement extensible. De plus, dans un contexte de quasi-stagnation du pouvoir d'achat, il convient d'éviter que la demande de biens et services pour l'autonomie ne s'opère par substitution à d'autres types de consommations et d'investissments. Il faudra donc rapidement identifier les obstacles économiques, sociologiques et psychologiques à lever pour passer d'une vision alternative ou substitutive à une vision complémentaire ou incrémentale susceptible de contribuer, par une relance de la demande globale, à l'atteinte des objectifs d'emploi et de croissance assignés à la "silver economy".

[1] Rapport Aquino : « Anticiper pour une autonomie préservée : un enjeu de société » Rapport Broussy : « L'adaptation de la société au vieillissement de la population : France , année zéro » Rapport Pinville : « Relever le défi politique de l'avancée en âge – perspectives internationales »

[2] dont le gouvenement a aussitôt décidé que la France serait un leader mondial sous cet étrange nom anglo-français