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Auto-entrepreneurs : surtout laissez vivre les Poussins !

Les 900.000 auto-entrepreneurs vivaient tranquilles, mais l'intention du gouvernement de limiter à deux années le bénéfice du régime met soudain le feu aux poudres. Les « poussins » se rebiffent, ce qui donne lieu à un cafouillage gouvernemental dont on n'est pas encore sorti. Quelle qu'en soit l'issue, l'affaire est emblématique de l'impuissance du gouvernement à juger clairement de ses priorités, et aussi d'un véritable fossé d'incompréhension creusé par la vision dirigiste et technocratique qu'il a du marché du travail. Même si on compte à peine une moitié d'actifs chez les auto-entrepreneurs, le chiffre reste impressionnant, et il faut y regarder à deux fois avant de porter atteinte à leur régime.

La ministre Sylvia Pinel est en perdition pour expliquer les motifs de la réforme. S'agit-il de mettre fin à une concurrence déloyale faite aux artisans ? Mais un rapport de l'IGAS spécialement commandé pour la circonstance conclut à un effet anti-concurrentiel très marginal et ne recommande pas la limitation dans le temps du statut.

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le rapport de l'IGAS-IGF : "ÉVALUATION DU RÉGIME DE L'AUTOENTREPRENEUR"

Dans une interview réalisée par la chaîne BFM business, la ministre se contente de répondre que le gouvernement n'est pas contraint de se plier aux recommandations de l'IGAS… Puis la ministre fait valoir qu'« elle n'était pas heureuse de voir que le chiffre d'affaires de 90% des auto-entrepreneurs restait inférieur au Smic », et que le gouvernement veut contraindre ces derniers à passer au statut de l'entreprise classique. Enfin, pour expliquer pourquoi les auto-entrepreneurs exerçant à titre accessoire une autre activité ne seraient pas visés par la réforme, elle met en avant, cette fois, le désir d'augmenter leur pouvoir d'achat. Ceci ne laisse pas d'être paradoxal si c'est bien l'emploi la priorité, car cela revient pour les entrepreneurs à titre principal à les pénaliser beaucoup plus gravement en les envoyant grossir les rangs des chômeurs ou des bénéficiaires des minima sociaux. La véritable motivation du gouvernement reste assez obscure, l'objectif officiel étant d'encourager la création à terme d'entreprises pérennes et créatrices d'emplois, tout en étant soumises au droit commun. Autrement dit de les contraindre à se développer ou à fermer ? On n'est pas sûr de comprendre pourquoi le gouvernement veudrait placer les auto-entrepreneurs devant un tel dilemme, tant leur choix ne ferait pas de doute.

À l'heure actuelle le cafouillage bat son plein, puisqu'on ne sait pas quels seront les secteurs d'activité visés (le BTP plus d'autres ?), ni si les seuils de chiffre d'affaires seront modifiés, voire modulés selon les secteurs. Une seule quasi-certitude hélas, une nouvelle usine à gaz est en construction. Pour une fois qu'on avait une mesure simple…

« Trois auto-entrepreneurs sur quatre n'auraient pas créé d'entreprises sans ce régime »

C'est ce que conclut l'INSEE à la suite d'une enquête que l'institut a réalisée en 2010. Elle indique aussi l'origine de ces auto-entrepreneurs : « les créateurs d'auto-entreprises étaient le plus souvent salariés du privé (38%) ou chômeurs (30%). Parmi les autres créateurs d'entreprises, on compte moins de salariés du privé (28%) et un peu plus d'anciens chômeurs (33%). Les autres auto-entrepreneurs se répartissent entre personnes sans activité professionnelle (12%), retraités (6%), salariés du public (5%) et étudiants (5%). Toutes ces catégories sont en proportion plus importante que parmi les autres créateurs d'entreprises. » L'IGAS a elle-même estimé que « 90% des auto-entreprises et 51% du total des créations d'entreprises seraient un effet propres à la mise en place du régime ».

Ces constatations devraient suffire à guider la réflexion du pouvoir, et à lui éviter de porter atteinte au régime. D'abord parce que le gouvernement a affiché – à juste titre – que sa priorité était l'emploi. Il faut savoir ce que l'on veut, et il y va apparemment du sort de 450.000 Français qui pour moitié seraient au chômage, et pour l'autre moitié n'auraient pas eu d'activité d'appoint en l'absence du régime. On ne les contraindra pas à changer de régime, ils préféreront l'abandon de leur activité – ou la clandestinité. Les activités des auto-entrepreneurs ont, comme l'IGAS l'a indiqué, un effet très marginal sur l'économie et la concurrence faite aux artisans. En revanche, le régime, en permettant la régularisation d'entreprises, paraît, comme l'indique encore l'IGAS, avoir un effet positif et non négligeable sur les finances publiques, qui serait compris entre 500 millions et le double. Un autre aspect, non directement économique mais qui devrait être fondamental pour un gouvernement se préoccupant du bonheur des Français, consiste dans le bien-être non monétaire de ces derniers par l'insertion sociale que leur procure un travail, même qualifié de « petit boulot », sachant précisément que leur seule alternative est le chômage et qu'ils préféreraient y rester en l'absence du régime des auto-entrepreneurs.

Un fossé d'incompréhension

Un fossé d'incompréhension sépare la vision technocratique du gouvernement et le simple désir d'insertion dans le monde du travail de personnes qui sont parfaitement libres de juger de l'intérêt personnel de leur démarche. La priorité n'est-elle pas de tout faire pour rapprocher les Français du travail, même s'ils n'en tirent qu'un revenu faible – mais toujours supérieur aux minima sociaux (RSA) ? D'autant que les Français qui choisissent le statut exercent un choix personnel auquel personne ne les contraint.

Cet égarement de nos gouvernants, auquel conduit une vision résolument dirigiste, évoque immanquablement les nombreuses manifestations de la préférence française pour le chômage et son traitement social – plutôt pas de travail qu'un travail mal rémunéré -, auquel le RSA-activité n'a pas réussi à remédier, et qui constitue par ailleurs une pomme de discorde essentielle entre l'Allemagne et la France. Mais ce qui est un problème politique majeur devient ici incompréhensible, car encore une fois les personnes ayant fait le choix d'exercer une activité dans le cadre du statut d'auto-entrepreneur l'ont fait de leur plein gré !

En définitive, il y a une priorité, celle de l'emploi, et celle aussi de ne rien faire qui augmente le mal-être des Français dans la période difficile qu'ils traversent actuellement. Ni des considérations de concurrence [1], ni des considérations fiscales, bien au contraire, ne saurait justifier que l'on s'attaque de front au régime des auto-entrepreneurs. Certes, il peut arriver que l'adoption du régime (créé en 2009) fasse l'objet d'abus ou de fraudes, mais a-t-on jamais vu un régime quel qu'il soit disparaître sous ce prétexte ? La solution consiste bien plutôt à combattre ces abus et fraudes, comme le conclut l'IGAS, dont on n'a toujours pas compris pourquoi son avis très complet et motivé ne serait pas suivi.

[1] Dans le secteur du BTP en particulier, qui paraît concentrer les critiques, la concurrence la plus insupportable vient des travailleurs des pays étrangers, et de l'Est en particulier, qui pratiquent des tarifs de prestations absolument impossibles à concurrencer pour les Français, en raison de charges beaucoup plus basses dans leurs pays d'origine. Faute d'obtenir une solution à ce problème, le travail au noir est en voie d'explosion en France, il ne faut pas s'en cacher. La réforme du régime des auto-entrepreneurs ne serait que cautère sur jambe de bois.