Actualité

AFPA : 104 millions d'euros de déficit

L’AFPA (agence nationale pour la formation professionnelle des adultes) va mal. Un diagnostic que nous avions déjà mis en lumière en 2013 et qui n’a malheureusement fait que se dégrader depuis. Le pire, de l’aveu même de sa directrice générale réside dans le fait que « les plans stratégiques qui se sont succédé depuis 2012 n’ont pas permis d’améliorer la situation économique et financière de l’agence. » Résultat, une perte d’exploitation cumulée de 507,8 millions d’euros entre 2013 et 2017, dont 104,1 millions pour 2017. Un constat qui met en exergue d’importantes lacunes dans le management interne de l’opérateur (transformé en EPIC depuis le 1er janvier 2017), et les errements dramatiques de sa tutelle. Pour preuve, la ministre du Travail n’a pas souhaité s’exprimer sur la récente insertion que la Cour vient de publier dans son rapport annuel 2019.

Des comptes de l’établissement en constante dégradation

Les résultats d’exploitation de l’AFPA sont dans le rouge depuis 2009 (-14,77 millions d’euros) et cette dégradation est allée crescendo pour atteindre -116,4 millions d’euros en 2015. Ils résultent d’une contraction des recettes d’exploitation en provenance des régions, dont le produit s’est affaissé de -15,88% entre 2013 et 2017.  En pourcentage des produits totaux, ceux-ci représentaient encore 50,9% du total du chiffre d’affaires de l’établissement, ils n’en représentent plus que 43,8% cinq ans plus tard. Mais à cette baisse structurelle des recettes n’a pas correspondu une maîtrise suffisante des dépenses. Les recettes sont restées en moyenne bloquées à 784,7 millions d’euros sur la période soit de 11,47% inférieures aux dépenses (886,3%) de l’établissement (un différentiel moyen de 100 millions d’euros).

La raison est simple, l’attrition des recettes régionales s’explique par le transfert aux régions de nouvelles compétences en matière de formation professionnelle des demandeurs d’emploi, ce qui a conduit à une ouverture à la concurrence de l’offre de formation. La restructuration de l’offre de l’AFPA et sa compétitivité prix n’ont pas été anticipées par l’établissement qui était sur ces secteurs en état de quasi-monopole.  Elle n’a pas résisté face à la montée en puissance des GRETA (établissements secondaires publics) et des organismes de formation privés plus compétitifs.

Le constat de la Cour est limpide : « L’Afpa n’a pas su anticiper ces bouleversements consécutifs à l’ouverture du secteur de la formation professionnelle à la concurrence […] elle n’a pas limité ses pertes financières par une réduction suffisante de ses dépenses. »

Résultat d’exploitation de l’AFPA et ses composantes

En millions d’euros

2013

2014

2015

2016

2017

Produits d'exploitation

798,6

792,3

750,7

801,8

780,3

dont subventions de l'Etat

33,6

87,61

108,55

149,49

143

dont Recettes issues des régions

406,2

387,1

364,6

362,1

341,7

% des produits totaux

50,9%

48,9%

48,6%

45,2%

43,8%

Charges d'exploitation

888,5

887,4

867,1

904,1

884,4

Résultat d'exploitation

-89,9

-95,1

-116,4

-102,3

-104,1

Source : Cour des comptes, d’après les rapports annuels de l’AFPA

Par ailleurs, alors même que la restructuration de l’offre de service devenait criante, l’Etat n’a cessé de renflouer la structure déficitaire au-delà de la subvention de 110 millions d’euros qu’elle lui concède pour financer les charges de service public qui lui incombent (égalité d’accès à la formation professionnelle par son implantation territoriale pour des publics éloignés de l’emploi, certification professionnelle pour le compte de l’Etat, etc.). Elle a ainsi décidé dans un premier temps la souscription d’obligations associatives entre 2013 et 2015 pour un montant de 200 millions d’euros, afin de procéder à sa recapitalisation, puis voté des subventions exceptionnelles entre 2016 et 2018 pour respectivement 50, 33 et 80 millions d’euros. Enfin l’Etat a procédé à un rééchelonnement des dettes fiscales et sociales (83 millions) et étalé une partie de la dette locative (32 millions d’euros), pour les terrains occupés (précédant la dévolution des biens et la transformation de l’association en EPIC à compter de 2017).

Ces procédures exceptionnelles d’un Etat « pompier » sont étonnantes parce qu’elles mettent directement en cause la tutelle comme la direction dans leur incapacité à mettre en place un plan crédible de restructuration de l’offre commerciale et des comptes de l’établissement. La Cour enfonce le clou : « Ainsi le versement en 2016 de la subvention exceptionnelle de 50 millions d’euros (…) a nécessité une réquisition du contrôleur budgétaire et comptable ministériel, car ces crédits ne s’inscrivaient pas dans le cadre du financement (…) prévu en loi de finances. » Il a donc fallu procéder à un « forçage » comptable car la provision des fonds n’était pas disponible, et exonérer ainsi la responsabilité du comptable public en la matière (en termes de comptabilité budgétaire comme de comptabilité générale).

En clair, l’Etat au lieu d’imposer une modification de la gestion de l’établissement et de recalibrer la COP (convention d’objectifs et de performance), a au contraire fait perdurer une situation critique en la « subventionnant » à bout de bras. Il faut dire que le plan « 500.000 formations » déclenché sous le quinquennat de François Hollande, nécessitait une participation active de l’établissement qui pouvait en espérer des retombées substantielles en matière d’activité. Encore aurait-il fallu en faire un bilan anticipé (coût/avantage).

Une gestion catastrophique

Un petit détour par la comptabilité analytique permet de montrer que le « déficit d’exploitation résulte des coûts de structure des centres de formation, des directions régionales et du siège national. » Il y avait donc un double enjeu pour les gestionnaires de l’AFPA :

  • Rationaliser les emprises immobilières devenues pléthoriques ;
  • Maîtriser adéquatement la masse salariale et les effectifs de contractuels (CDD et CDI) qui forment le gros des troupes de l’agence.
  1. Un pilotage des plafonds d’emplois à dynamiser

S’agissant des effectifs et de la masse salariale, alors que les dépenses de personnel ont baissé de 7,8% entre 2013 et 2017, ces charges (553,7 millions entre 2013 et 2017) représentent en moyenne sur la période près de 62% des charges d’exploitation.  Les cadres sont surreprésentés (effet noria) : 33% contre 14% dans les autres organismes de formation professionnelle, ce qui aboutit à verser des salaires plus élevés. Cette proportion de cadres est en partie due à la forte « CDIsation » des agents (6.400) soit 81% contre 68% en moyenne dans la profession et corrélativement un recours moindre à l’intérim 2,6% contre 16%. Par ailleurs comme le relève un rapport d’audit IGAS/IGF de septembre 2017[1], les difficultés sont plus structurelles que ce que relève la Cour. Les inspecteurs relèvent :

  • « Une difficulté pour l’AFPA à adapter ses effectifs » en raison d’un accord d’entreprise du 4 juillet 1996[2] « trop rigide pour favoriser la mobilité géographique et professionnelle. »
  • 15% à 20% des formateurs en CDI sans activité.

En conséquence, alors que les efforts de gestion sur la masse salariale ont été réels, avec une baisse de charge de personnel de 7,5% entre 2012 et 2015 et une contraction des effectifs de -10,3%[3] (soit 9.015 à 8.082 ETP), ces derniers sont largement insuffisants pour permettre à l’établissement de retrouver des marges financières. Les trajectoires de baisses ont par ailleurs été largement perturbées par le lancement entre la fin 2015 et la fin 2016 du « plan 500.000 formations », dont la rentabilité a été qualifiée par l’audit IGF/IGAS « d’inopérant(e) sur le résultat net, ayant entraîné le recours massif à des CDD alors que dans le même temps, paradoxalement, 15 à 20% des formateurs en CDI étaient sans activité. » Le pire, c’est que ce « coup de pouce » du Gouvernement à l’AFPA ne lui profite quasiment pas et surtout occasionne de nouvelles dépenses : les commandes supplémentaires de formation sont estimées à +50 millions d’euros tandis que les charges induites par sa mise en œuvre s’élèvent à 40 millions d’euros. L’objectif du plan de refondation de baisse des effectifs en est perturbé : -223 ETP en CDI contre -336 prévus et parallèlement recrutement de 418 ETP en CDD. L’EBE du plan « 500.000 formations » est donc évalué par la Cour entre 5 et 10 millions d’euros. Or le déficit en 2016 est toujours de 102,3 millions…

  1. Une gestion immobilière défaillante

L’AFPA c’est aujourd’hui 112 sites principaux et 94 sites secondaires. Au sein des charges de fonctionnement récurrentes (221,2 millions d’euros en moyenne entre 2013 et 2017), les charges immobilières ont augmenté de 16,2% pour atteindre 13,6 millions d’euros. Il faut dire que les centres assurent l’hébergement et la restauration des personnes dont ils assurent la formation et que l’offre de l’AFPA couvre aujourd’hui l’ensemble du territoire métropolitain.

Si la double implantation du siège de l’AFPA est révolue depuis septembre 2016, le transfert du Siège à Montreuil-sous-Bois pour cause de détection d’amiante, a induit une hausse très substantielle des loyers tandis que le second site était rendu à l’Etat. Or la Cour relève que ce loyer est en réalité trois fois supérieur à celui que l'AFPA aurait dû verser à l’Etat (1,5 million d’euros).

Par ailleurs, la transformation de l’AFPA en EPIC induit un certain nombre de risques financiers qui sont également immobiliers : à l’apurement des dettes fiscales, sociales et domaniales (233 millions d’euros) contractées envers l’Etat, l’EPIC devra assurer la remise en état des 116 biens transférés lors de sa création, ce qui pourrait représenter un coût supplémentaire évalué au bas mot à +730 millions d’euros[4].

  1. Une organisation interne qui dysfonctionne

Chargé de l’élaboration et du suivi du Plan de refondation à la fin 2012 rectifié à la suite de la baisse continue du chiffre d’affaires en septembre 2014, l’équipe de direction n’a pas institué de référent pour en assurer le suivi. Par ailleurs « aucun tableau de bord n’a été élaboré » pour en assurer le pilotage tandis que les chiffres d’affaires prévisionnels ont été « systématiquement supérieurs aux réalisations (de 7% en moyenne… » ce qui constitue un biais optimiste particulièrement défavorable au rétablissement financier de l’entité, puisqu’il a tendu à minorer structurellement les efforts financiers et organisationnels à mener.

Sur le plan organisationnel tout particulièrement la Cour relève un déficit de « professionnalisation » des directions gestionnaires de l’agence :

  • La direction des affaires financières « n’était compétente que pour les opérations comptables », en conséquence la gestion de trésorerie était externalisée tandis que le pilotage budgétaire était fortement décentralisé.
  • La direction de l’audit n’a mené « aucun chantier d’envergure pour réduire les dépenses ou sécuriser les procédures. »
  • La direction des ressources RH n’a géré qu’au fil de l’eau les départs volontaires, « les procédures de recrutement lui ayant échappé. »
  • La direction du développement commercial n’a mis en place aucun intéressement des commerciaux notamment s’agissant de la recherche de prospects.
  • Enfin la transformation de l’association en EPIC à compter du 1er janvier 2017 n’a eu pour tout effet que de rendre « une telle faillite [de l’agence ndlr] impossible ; l’établissement ne peut désormais être placé en procédure collective ; contrairement aux personnes morales de droit privé. » Ce qui a conduit à paralyser toute réorganisation en profondeur des structures, soutenues par ailleurs à bout de bras par l’Etat (via ses subventions exceptionnelles).
  1. Un salaire de direction sans proportion avec les résultats dégagés :

La rémunération de la directrice générale de l’AFPA a défrayé voilà tout juste un an la chronique[5]. En effet, par décision du 15 mars 2017 de la direction du Budget, les ministres des Finances et de l’Action publique lui accordent une rémunération globale de 186.750 euros bruts par an. Cette rémunération est composée d’une part fixe de 165.000 euros (elle-même composée d’une part « fonctionnelle » de 145.000 euros et d’un complément personnel de 20.000 euros) ainsi que d’une part variable sur objectif d’un montant maximal de 15% de la part fonctionnelle, soit 21.750 euros en année pleine. Cependant le salaire accordé est en réalité augmenté par décision du 10 avril 2017, et son montant porté à 194.750 euros, à la suite de l’augmentation du complément personnel de 8.000 euros pour atteindre 28.000 euros.

Conclusion

Dans l’attente des résultats 2018 et alors même que le COP (contrat d’objectifs et de performance) n’est pas encore signé entre l’entité et la tutelle étatique, un tel niveau de salaire a de quoi interroger, sauf à s’assurer que le Plan de transformation arrêté à la suite de l’arbitrage rendu par les pouvoirs publics au second semestre 2018[6] soit fidèlement exécuté. On peut avoir une idée de l’importance des ajustements à réaliser en comparant les objectifs attendus dégagés à partir de l’audit de l’IGF/IGAS des conclusions de la Cour des comptes et les premiers arbitrages déjà actés :

  • Un programme de restructuration immobilière a été engagé : 116 sites ont été transférés à l’AFPA pour un montant de 410 millions d’euros. Le plan de transformation comporte la fermeture de 38 centres, en réalité 13 sites principaux sur les 112 existants (-11,6%), et 25 implantations secondaires sur les 94 existantes (-26,6%). Ce qui est plutôt mesuré.
  • Une réduction importante des effectifs : sur les 6.773 personnes en CDI au 31 décembre 2017, 1.541 postes seraient supprimés à horizon 2020 (dont 600 par départs naturels à la retraite) et 603 postes (en CDI) créés. Soit une baisse nette des effectifs de 938 agents (-13,84%).
  • Un recentrage de l’organisme sur son cœur de cible : personnes les plus éloignées de l’emploi, et les demandes des entreprises au niveau local par le développement de services innovants, « ce qui pourrait militer en faveur d’une responsabilisation accrue des implantations régionales ». Le tout accompagné d’objectifs stratégiques et opérationnels déclinés en indicateurs de résultats régulièrement suivis.

En définitive, ainsi que le relève la Cour, sans « une restructuration de grande ampleur à mener sans délai (…) ce qui exige également qu’au cours du processus, l’Etat exerce pleinement son rôle de tutelle sur cet établissement » et une révision complète de son modèle économique afin de rendre compétitive et enfin rentable l’entité, « en cas de non-atteinte de ces objectifs » il faudra « envisager la fermeture de l’établissement. »


[1] Le rapport n’a pas été rendu public. Pire, les syndicats qui avaient fait fuiter les conclusions ont été repris par la direction et obligés de retirer les éléments publiés de leur site.

[2] http://www.fo-afpa.fr/IMG/pdf/accord_du_4_juillet_1996.pdf

[3] Voir rapport du député Jean-Patrick GILLES relatif à la transformation de l’AFPA en EPIC, janvier 2017, p.14, http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rapports/r4364.pdf

[4] Notons que nous sommes dans l’expectative dans la mesure où le contrat d’objectif et de performance de l’opérateur n’est toujours pas signé, 2 ans après la création de l’EPIC, la signature devant intervenir ce 1er semestre 2019.

[5] http://www.sudfpa.net/index.php?option=com_content&view=article&id=925:remuneration-mirobolante-a-la-tete-de-l-afpa&catid=73:afpa&Itemid=310

[6] https://www.defi-metiers.fr/breves/la-direction-de-lafpa-annonce-un-plan-de-transformation-substantiel