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5 euros, l’appel aux bailleurs pour baisser les loyers : une confusion très surprenante

Il y a quelques semaines, le gouvernement a fait part de sa décision de baisser de 5 euros par mois les aides personnalisées au logement (APL). Ne revenons pas ici sur cette décision, mais commentons l’étrange appel du président de la République en direction des bailleurs à compenser l’effet de cette perte d’aide par une baisse corrélative des loyers. Comment se fait-il qu’un homme aussi averti se prenne à confondre solidarité nationale et devoir de l’État avec appel à la charité publique volontaire, et charité publique avec le fait de montrer du doigt une catégorie de la population qui n’a rien à voir avec la disparition d’une aide publique relevant de l’intervention de l’Etat et de son budget ?

Voici l’extrait de la déclaration présidentielle[1] :

« J’ai été surpris du silence collectif de ne pas appeler les bailleurs sociaux, les propriétaires à baisser de cinq euros le prix du logement ! C’est ça, la responsabilité collective ! C’est ça, ce qu’il faut faire à partir du 1er octobre ! J’appelle publiquement tous les propriétaires à baisser de cinq euros le loyer par mois, si on veut accompagner les locataires ! L’Etat n’a pas à payer tout ! Et j’ai constaté comme vous, d’ailleurs, que les loyers de cette année avaient baissé d’une proportion supérieure aux cinq euros. Parce que derrière, ce qu’il nous faut faire, c’est baisser durablement le prix du logement pour pouvoir faire des économies intelligentes ».

Il s’agit donc d’un appel à la « responsabilité collective »… parce que « l’État n’a pas à payer tout ». La responsabilité collective, cela s’appelle la solidarité nationale. Emmanuel Macron ne saurait le contester, lui qui prend soin, à juste titre, de distinguer le modèle social « beveridgien » (financé par l’impôt) du modèle « bismarckien (financé par les revenus du travail », et de réformer le modèle français dans le sens d’une accentuation du financement par l’impôt. Cette distinction fait d’ailleurs consensus en France : ce qui relève de la solidarité doit être payé par l’impôt.

Il s’agit ici de remplacer une prestation qui est une aide sous condition de ressources, et qui à ce titre relève incontestablement de la solidarité nationale, donc de l’impôt. En conséquence, son financement ne peut être que collectif, c'est-à-dire peser sur l’ensemble des contribuables, et non pas seulement sur une catégorie particulière de la population, à savoir les bailleurs. Comme d’autres l’ont déjà relevé, pourquoi ne pas demander aux fabricants d’articles scolaires de baisser leurs prix sous prétexte que le montant de l’ARS (allocation de rentrée scolaire) a baissé - ou n’a pas évolué comme l’inflation ? Les prestations sous condition de ressources sont financées par un ensemble de ressources qui ne sont pas affectées. Les APL, quant à elles, émargent au budget d’intervention de l’État. Alors, quand on fait appel à la responsabilité collective pour remplacer en partie une prestation supprimée alors qu’elle relevait précisément de cette même responsabilité, il y a problème !

Selon le chef de l’État : « l’État n’a pas à payer tout ». Mais si ! L’État, c'est-à-dire les contribuables, est la seule source possible de financement, soit qu’il augmente les impôts pour payer la prestation, soit qu’il renonce à cette dernière. Il peut aussi légiférer d’autorité pour réglementer les loyers, ce que d’ailleurs il fait dans certaines villes – solution que le Parti communiste lui demande de généraliser, et qu’à juste titre, il n’a heureusement pas choisie.

Ici, Emmanuel Macron en appelle à la charité publique pour combler une défaillance financière de la solidarité nationale. Sauf, tout d’abord, que cette charité n’est pas publique et qu’elle consiste à montrer du doigt une catégorie de population qui n’en peut mais, méthode détestable et injustifiée : le président reconnaît lui-même que les propriétaires ont déjà été contraints de baisser leurs loyers de plus de 5 euros par mois. Et les mêmes ont beau jeu de souligner l’augmentation des charges et obligations dont ils sont périodiquement l’objet.

Sauf aussi que le chef de l’État fait fausse route. Ce n’est pas avec des démonstrations de charité publique que l’on résoudra la quadrature du cercle de notre modèle social. Lionel Jospin déjà déclarait ne pas tout pouvoir. Avec Emmanuel Macron, nous avons une nouvelle reconnaissance d’impuissance, cette fois de nature financière. L’aveu est inquiétant de la part d’un président tout nouvellement élu. A lui de faire son choix – monter la prestation ou baisser la prestation - et de l’assumer. Et aux bailleurs sociaux de tirer les premiers, s’il s’agit de baisser les loyers. Emmanuel Macron les désigne aussi, mais ne recueille que leur silence.

Rappelons que l’iFRAP préconise depuis longtemps l’allocation sociale unique en faveur des plus défavorisés. Cela éviterait une fragmentation d’allocations dont l’évolution tient compte des particularités de chacune, comme on le voit avec cet exemple des APL. Car les avantages financiers (nous n’évoquons pas ici les avantages en nature, comme les prestations de l’assurance maladie) sont tous fongibles, et c’est leur ensemble qui compte, et qui émarge au budget de l’État. On éviterait ainsi les confusions comme celle que nous dénonçons.

Enfin, la nécessité est de réformer l’aide au logement, et pas d’augmenter la fiscalité – charitable ou non - touchant l’immobilier. Comme l’indique la Fédération des promoteurs immobiliers, les recettes fiscales du secteur dépassent 60 milliards pour 42 milliards d’aides au logement, dont 43% correspondent aux aides à la personne. Et cette fiscalité se situe entre 12 et 20 points au-dessus de celle existant dans les pays voisins. Construire est l’impératif, qui suppose tout à la fois simplification des procédures et des obligations, et allègement de la fiscalité.


[1] Discours aux préfets du 5 septembre