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Université française : absence de sélection et gratuité

Ces deux tares qui expliquent l'échec français

L'Université française fait honte quand on la compare à ses homologues étrangères. Les chiffres de cette "exception française" sont connus : avec 8.000 euros, la dépense annuelle par étudiant est inférieure à celle d'un lycéen (10.170 euros). Sous-investissement chronique, indigence des services administratifs, dégradation des bâtiments, bibliothèques étriquées et locaux fermés pendant les vacances scolaires : c'est un miracle que la France soit encore la sixième puissance mondiale, compte tenu de sa négligence à l'égard de son système d'enseignement supérieur. Les causes de ces piètres performances universitaires : l'absence de sélection à l'entrée, et la quasi gratuité des études.

Les réformes de l'université, si mal accueillies et vécues comme un bouleversement par les étudiants et les enseignants, ne constituent pourtant en rien une rupture avec l'archaïsme d'un système profondément inadapté aux besoins de la société et de l'économie. Et avant même toute discussion, toute initiative visant à lever les vrais tabous qui pèsent sur notre enseignement supérieur est exclue : les droits d'inscription restent fixés par l'État et aucune sélection n'a lieu à l'entrée des universités. Accorder l'autonomie dans de telles limites est tout à fait insuffisant.

La sélection à l'entrée de l'Université : un tabou français ?

Pourquoi la sélection, qui est admise dans le domaine sportif, dans l'entreprise, le recrutement de la fonction publique et dans la majorité des filières de l'enseignement supérieur, est-elle rejetée dans le système universitaire ? Il est parfaitement admis que les équipes pédagogiques des lycées effectuent un tri, parmi les élèves de terminale, pour sélectionner les meilleurs et les orienter vers les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), les IUT, les BTS ou les grands établissements comme Sciences-Po et Dauphine. Mais en dépit de la différence de niveau bien réelle entre les Baccalauréats général, technologique ou professionnel, tous les bacheliers ont le droit de s'inscrire sans condition dans la filière universitaire de leur choix. Même si cela aboutit à des concentrations parfois absurdes dans certaines disciplines (la France forme davantage de psychologues que tous les pays d'Europe réunis).

En confondant égalité des chances et égalitarisme, l'Université brise les rêves et nourrit la frustration des jeunes en opérant une impitoyable sélection par l'échec. Les taux d'échec en Licence sont compris entre 50 % et 90 % selon les universités et les filières (plus de 70 % à la Sorbonne). De cela, malheureusement, personne ne se plaint vraiment. Beaucoup de ceux qui ont tenté leur chance et qui ont échoué acceptent le verdict. Certains se réorientent, d'autres entrent dans la vie active par la petite porte avec plus ou moins de difficultés. Les universités sont d'autant moins à même de traiter convenablement les bataillons de jeunes bacheliers de niveau moyen, qu'elles disposent d'un financement très inférieur à celui des filières sélectives : 8.000 euros contre 13.000 euros en classe préparatoire ou en IUT. Le système actuel, gratuit et non sélectif, d'apparence généreuse et démocratique, est en réalité profondément injuste.

Développer les filières courtes

Que faut-il réformer dans ce système qui broie une trop grande proportion de jeunes en les contraignant à entrer dans la vie active sur un échec grave ? De toute évidence, il est urgent de multiplier les places dans les formations courtes à débouchés professionnels assurés que sont les IUT (Instituts universitaires de technologie) et les STS (Sections de techniciens supérieurs). Cela demande des moyens, certes, mais moins que l'échec universitaire et le chômage qui en découlent et dont le coût social, moral et économique est exorbitant.

En effet, il faut admettre que les études généralistes sont exigeantes et qu'elles mènent seulement les meilleurs à un emploi, c'est pourquoi la place de l'Université doit changer au sein de notre système d'enseignement supérieur. Elle doit redevenir le lieu de l'excellence académique et scientifique. Face à de grandes écoles hyper-sélectives et plus convoitées que jamais, il est indispensable d'y pratiquer une orientation active. Il s'agit de baser le choix d'une filière sur des capacités et sur un projet, bien plus que sur un simple effet d'aubaine ou sur un choix par défaut, comme c'est si souvent le cas.

À ce titre, le système de sélection britannique (UCAS [1]) pourrait nous inspirer : tout en garantissant une place à chacun, les universités ont la possibilité de choisir leurs étudiants mais ont, en contrepartie, la responsabilité de les faire réussir (le taux d'échec en première année n'est que de 8,4 % contre 47 % en France).

Un financement plus juste de l'enseignement supérieur

Le système le plus ouvert et le plus démocratique n'est pas forcément celui que l'on croit. Déjà en 1981, le mathématicien Laurent Schwartz remettait un rapport à François Mitterrand dans lequel il affirmait que la gratuité des études supérieures était contraire à leur démocratisation. Car les universités sont financées par les impôts de tous, alors que les statistiques montrent que ce sont majoritairement les plus favorisés qui s'engagent dans des études supérieures avec succès et sans se heurter à des difficultés pour les financer. En somme, faute d'être accompagnée d'un système d'aide aux étudiants à la hauteur de leurs besoins, la gratuité des études supérieures est un facteur d'inefficacité et d'injustice.

Des frais de scolarité fixés arbitrairement, sans référence au coût de la formation et uniformes d'un programme à l'autre posent en plus un problème d'aléa moral : ils n'incitent pas les étudiants à prendre conscience du lien qui existe entre coût et rendement de leurs études. Suivre des études supérieures est un investissement, et faire le bon choix est fondamental. Des frais de scolarité accrus et différenciés rempliraient donc la double fonction d'aiguillon de la concurrence entre les établissements et de responsabilisation des étudiants dans leurs choix d'orientation.

En outre, le rendement des études supérieures est en grande partie privé, c'est-à-dire qu'il bénéficie aux étudiants eux-mêmes sous forme de revenus tout au long de leur vie, et non à la collectivité. Il serait donc normal, logique, que ces derniers contribuent davantage au financement de leur formation.

Sur ces deux points majeurs, la sélection et les frais d'inscription, contre lesquels les syndicats étudiants sont intraitables, les enseignants ont sensiblement évolué. Confrontés en pratique au faible niveau et au peu d'intérêt des étudiants, les enseignants-chercheurs ont en partie abandonné des années de discours très démagogiques. Le professeur Marcel Gauchet, philosophe, directeur d'études à l'EHESS et sage de la contestation de 2009, déclarait au Monde le 8 juillet 2009 : "La sélection n'est pas la réponse au problème de l'échec en premier cycle. Il faut raisonner autrement. Sélection veut dire, dans ce qu'il y a de juste dans l'idée, choix des étudiants par les universités en fonction des compétences réclamées par le cursus qu'ils ont pu suivre. Mais en même temps, il faut que tout le monde trouve une place. Si l'idée de sélection passe si mal en France, c'est qu'elle est comprise comme une idée malthusienne. Il y a des gens qui n'auront pas accès à des études universitaires. C'est de cela qu'il faut sortir. La bonne politique, c'est de trouver à chacun une formation adaptée à ses possibilités, au niveau universitaire, dans la diversité des formations que cela réclame."

Les classements internationaux

Évoquer le mauvais rang des universités françaises dans le classement de Shanghai est le moyen le plus sûr pour mettre les universitaires français en fureur : "Totalement inconnu aux États-Unis" d'après le politologue Patrick Weil, une "méthode de classement arbitraire", un "biais en faveur des Anglo-Saxons"… Ces arguments sont en partie justifiés et personne n'imagine qu'un sujet aussi complexe puisse se résumer entièrement à une note. Mais il existe d'autres classements comme Times Higher Educational Supplement ou le Top Universities, qui tiennent compte des indicateurs défendus par Patrick Weil*. Leurs résultats sont différents de celui de Shanghai mais aussi alarmants pour les universités françaises. Ce dernier ne classe, lui aussi, que deux universités françaises dans les 100 premières (Normal Sup et Polytechnique aux 26e et 28e rangs). Il est d'ailleurs étrange que ceux qui dénoncent la mauvaise qualité des universités françaises vilipendent les classements internationaux qui la confirment. Pour les universitaires, le problème des classements internationaux, c'est surtout qu'ils existent. Au lieu de se battre contre le thermomètre, il serait préférable de se concentrer sur les solutions.

* Point de vue publié dans La Tribune du 31/12/2008 et déclaration faite au Colloque du 19 juin 2009 à l'Assemblée nationale : Academic Peer Review, Employer Review, Faculty Student Ratio, Citations per Faculty, International Faculty, International Students.

Cet article a été publié dans la revue Société civile n°95 : Université - Osons la réforme.

[1] Universities and Colleges Admissions Service.