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Quelle démocratie dans le « mouvement de manifestation lycéen » ?

Jeudi 31 mars a eu lieu une nouvelle « journée d’action » contre le projet de loi sur la réforme du code du travail et les blocages de lycées, les manifestations, les incidents impliquant des lycéens se sont multipliés. Mardi 5 avril, les portes d'un lycée de Levallois ont été enflammé par des manifestants dans le cadre de la protestation lycéenne contre la loi Travail. Le conseil régional a estimé le montant des dégats à 150 000 euros et 20 personnes ont été interpellées. Ce jeudi 7 avril, la manifestation déborde à nouveau aux abords de plusieurs établissements scolaires du département des Haut de Seine  avec des feux de poubelles notamment. Comment interpréter cette situation ? Comment expliquer cette singularité française qui voit des élèves, dont la plupart sont mineurs, abandonner leurs salles de classe à deux mois du baccalauréat pour descendre dans la rue et protester contre une loi qui ne les concerne nullement ? Tentons un « décryptage ». 

Le mouvement lycéen s'est principalement constitué en novembre 1990 à l’occasion d’un mouvement destiné à mettre sous pression le gouvernement Rocard. Le président de la République, François Mitterrand, reçoit alors une délégation d’organisations lycéennes, dirigé par Julien Dray. A la suite de cette audience un « plan d’urgence » doté de 4,5 milliards de Francs est débloqué. Depuis, les partis politiques mais principalement la gauche et l‘extrême gauche ont toujours développé en leur sein ou parallèlement à leur structure partisane, des « mouvements de jeunesse », qui servent à la fois de « vivier » pour futurs cadres et militants.

La « démocratie lycéenne » dispose cependant de structures institutionnelles au sein du système éducatif :  Chaque lycée public dispose d’une « maison des lycéens », association entièrement gérée par les lycéens, de délégués de classe qui élisent leur représentants au sein du conseil d’administration du lycée et enfin d’un « CVL » (conseil des délégués pour la vie lycéenne). Chaque académie comporte un « CAVL » (conseil académique de la vie lycéenne) présidé par le recteur et le CNVL » (conseil national de la vie lycéenne) présidé par le ministre, vient couronner l’édifice. Ces instances ont évidemment une visée éducative et sont clairement destinées à former les futurs citoyens à l’exercice de responsabilités, au débat, à la participation au fonctionnement démocratique de la société. Sauf que... ces instances de la vie lycéenne sont absentes du mouvement de protestation actuel : la « grève » des cours par les lycéens n'est pas débattue démocratiquement au sein de l’assemblée générale des délégués des élèves.

Comment le « mouvement lycéen » fonctionne-t-il en réalité ?

Par l'activisme, à la fois, des organisations de jeunesses politisée et des syndicats enseignants. Leur terrain de jeu sont le "à peu près", les amalgames, les émotions et la capacité de la jeunesse à s’indigner face à "l’injustice" prêtée (en l’occurrence, en ce début d'année 2016, au projet de loi Travail). Concernant les syndicats enseignants, leur hostilité à la loi Travail n'est pas un mystère tout comme leur volonté de « mobiliser la jeunesse » à leurs côtés, comme l’ont déclaré des responsables syndicaux. Les professeurs syndiqués, questionnés par leurs élèves sur la légitimité d’une « grève » des lycéens, sur la portée de leur participation aux manifestations de rue, gardent-ils tous en mémoire le principe de neutralité et de laïcité qui interdit à un enseignant d’influencer ses élèves du point de vue politique, idéologique ou religieux ? Plus étonnant encore, la Fédération des Conseils de Parents d'Elèves (FCPE) se félicite d’ailleurs de la participation de lycéens au mouvement de protestation qui serait une sorte d'« école démocratique » comme « petit  Mai 68 » initiatique, presqu’aussi utile finalement que le baccalauréat.

Pourtant plusieurs remarques sont à faire :

  1.  S’il existe un âge où le jeune accède à la majorité et à l’ensemble des devoirs et des droits qui s’y attachent, c’est que le corps social a estimé qu’avant 18 ans, on est un enfant et qu'un « mineur » n’est pas encore en capacité d’avoir directement voix au chapitre s’agissant des affaires publiques.
  2. Sur la notion de « grève » : elle n’a aucun sens s’agissant d’élèves de lycée car ils ne sont ni salariés, ni prestataires d’aucun service. Quant aux libertés d’association, d’opinion et de manifestation, nul ne prétend en exclure les lycéens, mais l’exercice de ces libertés doit évidemment ne pas faire obstacle à l’exercice d’autres libertés ni à la liberté d’autrui. Or, organiser (a minima) le blocage des entrées d’un lycée revient à empêcher ceux qui le souhaitent d’entrer pour y suivre les cours inscrits à leur emploi du temps. Par contre cela relève clairement du code pénal et de l’échelle des sanctions prévues au règlement intérieur de l’établissement.
  3. Influencer des élèves pour les inciter à participer à un mouvement social ou politique relève pour l’enseignant ou le fonctionnaire de l’éducation qui s’y livre, du manquement professionnel, déontologique et éthique. Pour l’institution ces manquements relèvent du non-respect du statut général des fonctionnaires et doivent être sanctionnés.
  4. Quant aux associations de parents d’élèves qui encouragent les manifestations, leur responsabilité éducative est clairement engagée, sans parler de leur responsabilité pénale dans les cas les plus extrêmes. Et si le plus bel apprentissage de la démocratie consistait pour un lycéen à préparer son baccalauréat, à apprendre, à comprendre, à analyser, plutôt qu’à répéter des slogans inventés par des adultes dont les intentions sont très éloignées des préceptes d’une saine éducation. Et s’il était plus formateur de résister à la propagande et à la manipulation qu’à lui succomber ?

Que faire, alors ? Appliquer les règles déjà prévues par les lois et règlements comme l'application des règlements intérieurs des lycées relatifs à l’obligation d’assiduité avec des sanctions pour les élèves absents sans excuses (ce qui peut aller de l’exclusion temporaire à l’exclusion définitive par le conseil de discipline), faire respecter l’obligation de neutralité et de laïcité de la part d’un professeur ou d’un éducateur du lycée avec des applications des procédures disciplinaires par le recteur si cela n'est pas le cas, organiser l'interpellation des individus qui tentent de bloquer l’accès aux lycées et le dépôt de plainte systématiquement par le chef d’établissement en cas de blocage des accès du lycée.