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Méthode globale : les dégâts d'un ukase d'Etat

Les neurones de la lecture

Méthode globale. Avec un tel nom, on aurait dû se méfier, mais les pédagogistes semblaient si sûrs d'eux. Pour préparer l'homme nouveau, il fallait commencer par l'enfant nouveau. La méthode syllabique, le b. a.-ba, c'était fini. La lecture globale allait en plus permettre de combler les écarts entre couches sociales : les parents ne pourraient plus aider leurs enfants. D'ailleurs, tout travail à la maison était interdit en primaire.

Depuis 30 ans, les prodigieux nouveaux outils - IRM fonctionnelle, tomographie et encéphalographies - permettent de lire en temps réel l'activité du cerveau et presque le rôle de chaque neurone. Ils confirment ce que de nombreux parents et enseignants craignaient : la méthode de lecture globale, ça ne marche pas. Les recherches de Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France, et des centaines de ses collègues à travers le monde, ont permis de comprendre comment quelques petits traits noirs tracés sur le papier peuvent évoquer un objet, un son, un concept.

Avant lui, on ne soupçonnait pas le prodigieux travail de vision, d'analyse, de décodage, de reconnaissance, d'apprentissage que suppose la lecture du moindre mot. Une batterie de microprocesseurs travaillent dans notre cerveau en parallèle et à plusieurs niveaux hiérarchiques. L'un des niveaux traite par exemple les syllabes, un autre les mots. D'après Stanislas Dehaene, une méthode d'apprentissage qui ne respecte pas cette structure ne peut que conduire à de graves difficultés.

Autres découvertes étonnantes : malgré des différences considérables entre les modes d'écriture, les Chinois, les Arabes, les Occidentaux et toutes les autres civilisations, lisent de la même façon, même si les écoliers chinois passent beaucoup plus de temps que les autres à apprendre leurs milliers de signes. Et les textes écrits de gauche à droite, de droite à gauche ou de haut en bas se retrouvent très largement traités par le même petit morceau de notre hémisphère cérébral gauche.

Mis à part la description du "comment cela marche", Stanislas Dehaene nous propose de participer à une enquête quasi policière. L'énigme : sachant que la lecture constitue une activité extrêmement complexe et que l'être humain ne la pratique que depuis très peu de temps, comment notre cerveau a-t-il pu prendre en charge cette nouvelle tâche sans avoir eu le temps d'évoluer ? La lecture apparaît il y a quelques milliers d'années, une évolution du cerveau aurait demandé des millions d'années.

S'il avait existé en 1960, l'iFRAP n'aurait eu aucun avis pour ou contre la méthode globale. Mais il aurait certainement réclamé qu'on laisse la liberté de choix aux parents comme aux enseignants et qu'on mesure ensuite les résultats. Si 50% des intéressés étaient restés à la méthode syllabique, 20 millions d'enfants n'auraient pas souffert de cette décision. Heureusement, le soir, en secret, beaucoup de parents et certains enseignants ont enseigné leurs enfants avec la méthode interdite. C'était courageux car il était difficile de cacher les progrès rapides de ces enfants-là aux inspecteurs de l'Éducation nationale. En France, la question de la méthode d'apprentissage de la lecture n'est pas résolue. En pratique les circulaires sont assez ambiguës et la FCPE, fédération des parents classée à gauche, et des syndicats d'enseignants ne semblent pas persuadés comme le montre l'extrait de la revue de la FCPE (cf. encadré).

Malgré ce livre convaincant et passionnant et malgré les titres prestigieux de l'auteur qui consacre plusieurs chapitres à démontrer les défauts de la méthode globale, est-ce que l'iFRAP est partisan d'interdire en France l'utilisation de cette pédagogie ? Non, à condition que les enseignants qui l'utiliseraient l'annoncent clairement et que les parents qui la refuseraient puissent l'éviter librement : une véritable application du chèque éducation et de la fin de la carte scolaire. Mais il faut surtout garder à l'esprit une leçon : les monopoles, c'est dangereux, surtout quand ils sont d'État.