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Le rapport Aghion et ses pistes pour la réforme de l'Université

Un rapport au moins "respectable"

Le rapport « L'excellence universitaire : leçons des expériences internationales » qui vient d'être publié porte sur un sujet essentiel pour notre pays. Commandé par Valérie Pécresse, ministre des universités, il pouvait difficilement être à 180° de la réforme de 2009 qui lui avait demandé tellement d'efforts. Mais la qualité de l'équipe qui l'a préparé, la somme de données qu'il fournit, mériteraient au moins le respect de la part des Universitaires.

Cette autre analyse sur la réforme Pécresse de l'Université est dirigée par Philippe Aghion, professeur d'économie à l'Université de Harvard. Composée de personnalités de premier plan, d'origines très variées, la commission constitue une équipe impressionnante :

Composition de la commission

- Mathias Dewatripont, Directeur de l'Ecole de Commerce Solvay (U.L.B., Bruxelles)
- Pr Martin Hellwig, Directeur de l'Institut Max Planck à Bonn (Allemagne)
- Bengt Holmstrom, Professeur d'Economie au MIT
- Caroline Hoxby, Professeur d'Economie à l'université de Stanford
- Wilhelm Krull, Secrétaire General du Volkswagen Stiftung
- Andreu Mas Colell, President du European Research Council
- Jo Ritzen, Président de l'université de Maastricht
- Andre Sapir, Senior Fellow à Bruegel et ancien conseiller du Président de la Commission Européenne
- Michael Sohlman, Directeur de la Fondation Nobel

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Rapport Aghion : L'excellence universitaire : leçons des expériences internationales

Jusqu'à présent, personne n'a prétendu que ces personnalités poursuivaient leur intérêt personnel dans cette affaire (argent, poste, décoration …). On peut donc supposer qu'elles ont rédigé ce rapport en conscience et en toute indépendance. Pour Philippe Aghion lui-même, cette interview donnée au Nouvel Observateur il y a un an semble indiquer qu'on peut difficilement l'accuser d'être aux ordres du gouvernement :

Nouvel Observateur. - Pourquoi parlez-vous d'improvisation ?

Philippe Aghion. - Ce gouvernement n'évalue jamais ce qu'il a décidé auparavant lorsqu'il annonce un nouveau train de mesures. Il y a d'abord eu le paquet fiscal, avec ses baisses d'impôts et le dispositif onéreux et discuté des heures supplémentaires. Puis il y a eu l'adoption (en théorie) du rapport Attali avec notamment la promesse de réformer en profondeur les universités et le marché du travail, deux domaines où il faut investir beaucoup si l'on veut rattraper notamment les pays scandinaves. Et puis maintenant, il y a la crise financière et les mesures de relance. A aucun moment n'est posée la question de la cohérence économique et budgétaire de l'ensemble. L'exécutif agit au coup par coup, donnant cette impression d'être avant tout motivé par les effets d'annonce. Il n'y a pas de réflexion de fond sur la stratégie économique, comme Gordon Brown l'a fait en Grande-Bretagne, et comme Barak Obama s'attèle déja à le faire aux Etats-Unis

Des commentaires à l'emporte-pièce

Pour juger du prestige de nos universités, le rapport confirme que le classement de Shangaï qui avait déchaîné les sarcasmes des opposants à la réforme, est validé par plusieurs autres études réalisées de façon indépendante. Mais à peine publié, le rapport Aghion a été immédiatement brocardé d'une façon qui ne témoigne pas de la hauteur de vue qu'on attendrait d'universitaires. Passe encore que dans le feu des grèves de 2009, des slogans caricaturaux aient pu être utilisés, mais un an plus tard, ce rapport mérite mieux.

Sauvons l'Université (Slu)
Dans son article "Rapport Aghion et recherche prolétarisée" Slu attire aussi l'attention sur la novlangue du XXIe siècle et souligne que des mots comme "réfléchir", "comprendre", "apprendre", "penser" ont cessé d'être entendus tandis qu'une mutation soudaine transforme les universitaires en machines à faire tourner en boucle "l'excellence", "l'innovation", "la performance", "les compétences", "le référentiel", "l'autonomie" et "la gouvernance".

Blog de Courrier International
Le rapport justifie la politique d'asservissement du travail intellectuel, en réduisant celui-ci à de la « production ». Pire : réduite à de la « production mondialisée », la recherche scientifique et technologique se retrouve dépouillée de sa vocation d'indépendance par rapport aux grands intérêts privés (financiers, multinationales...).

Blog Histoire d'universités
Le modèle Aghion ne peut s'imposer en France que si les universités sont sorties du service public d'enseignement supérieur !

Autres
- « Comme si le système universitaire US, posé en exemple dans sa version la plus caricaturale par le rapport Aghion, ne traversait pas une crise profonde. » Les critiques mettent en avant les pertes financières subies par les universités des 3 membres américains de la commission en 2008 pour en déduire que ce modèle n'est pas valable. Chacune de ces universités conserve un capital de plus de 10 Mds $.

- L'accusation d'élitisme, de ne défendre que les meilleures universités et de négliger les autres est très souvent reprise, alors que le rapport précise : « L'étude des exemples étrangers nous apprend que la promotion de l'excellence ne vise pas seulement à faire progresser quelques établissements à fort potentiel, mais crée un effet d'entraînement sur l'ensemble du système d'enseignement supérieur. »

C'est d'ailleurs ce qu'on a pu constater en France depuis 20 ans pour les écoles de commerce de province, dans le sillage des 3 parisiennes.

La proposition essentielle

Les réactions de ces universitaires sont d'autant plus étonnantes, que la principale recommandation du rapport porte sur la composition du conseil d'administration des universités. Après une année d'application, beaucoup de personnes favorables ou opposées à la réforme semblaient d'accord pour trouver que la plupart des conseils d'administration de 30 membres sont paralysés par des luttes et des coalitions aléatoires entre Professeurs, Maîtres de Conférences, Techniciens, Administratifs et Etudiants. Certains accusaient le mode d'élection, d'autres le niveau des quota attribués aux différents groupes.

Le rapport confirme que le conseil d'administration ne doit pas être un Parlement où s'affrontent des intérêts corporatifs à court terme ni un exécutif, mais un lieu où les objectifs sont fixés, où l'on vérifie qu'ils sont atteints et où l'on décide de la stratégie à moyen et long termes. Il recommande donc d'y donner le pouvoir à des personnes intéressées par un long terme qui se chiffre en décennies. Il faut le reconnaître, les salariés, même enseignants et les étudiants sont, en grande majorité, intéressés par leurs intérêts propres et par le court terme. Le rapport appelle à l'entrée de « trustees » dans les conseils d'administration, le même genre d'administrateurs indépendants qui sont recherchés pour les mêmes raisons dans les conseils d'administration des entreprises.